Je suis de près un changement subtil dans l’approche du Canada en matière de transformation numérique qui pourrait remodeler notre avenir économique. Le cadre stratégique numérique publié la semaine dernière par Ottawa révèle à la fois des promesses et des préoccupations persistantes quant à notre préparation nationale face aux exigences technologiques de la prochaine décennie.
Ce cadre arrive à un moment critique. Le Canada se classe actuellement au 14e rang mondial en matière de compétitivité numérique selon le classement mondial de l’IMD – une position respectable mais qui ne correspond guère à un rôle de leader pour une nation du G7 disposant de nos ressources et de notre bassin de talents.
« Nous observons une approche plus coordonnée que les tentatives précédentes, » note Dr. Sarah Chen, chercheuse en politique technologique à l’Université de Toronto. « Mais le calendrier de mise en œuvre reste préoccupant compte tenu de la rapidité avec laquelle les autres juridictions avancent. »
Les trois piliers du cadre – modernisation des infrastructures, harmonisation réglementaire et développement des compétences numériques – représentent une vision cohérente. Cependant, les détails révèlent une tension politique canadienne familière entre ambition et exécution.
Les engagements en matière d’infrastructure comprennent l’expansion de l’accès au haut débit en milieu rural pour atteindre 98% des ménages d’ici 2027 et l’allocation de 1,2 milliard de dollars aux centres de recherche en informatique quantique à Waterloo, Montréal et Vancouver. Ces initiatives comblent des lacunes de connectivité de longue date tout en positionnant le Canada dans des domaines technologiques émergents.
Pourtant, nous avons déjà entendu des promesses similaires. Le Fonds pour la large bande universelle lancé en 2020 a donné des résultats mitigés, de nombreuses communautés rurales attendant toujours les connexions à haut débit promises il y a des années. Les données récentes du CRTC montrent qu’environ 87% des ménages ruraux ont actuellement accès à un service à large bande adéquat – c’est un progrès, mais toujours en retard par rapport aux centres urbains.
Le volet harmonisation réglementaire tente de répondre à une plainte persistante du secteur technologique canadien: naviguer entre plusieurs cadres réglementaires provinciaux crée des frictions inutiles pour les entreprises en croissance. Le Bureau de réglementation des marchés numériques proposé coordonnerait les normes entre les provinces et territoires, éliminant potentiellement les obstacles qui ont historiquement poussé les startups canadiennes vers l’expansion américaine.
Michael Davidson, PDG de WaveAI, une startup torontoise spécialisée en apprentissage automatique, partage son point de vue: « Chaque heure que nous passons à naviguer entre différentes exigences provinciales est une heure que nous ne consacrons pas à l’innovation ou à l’expansion de notre équipe. Une approche de marché numérique unique serait transformatrice pour des entreprises comme la nôtre. »
Le volet développement des compétences est peut-être l’aspect le plus crucial mais sous-développé du cadre. Bien qu’il engage 340 millions de dollars pour étendre les programmes d’enseignement en informatique et d’alphabétisation numérique, ce chiffre est bien inférieur aux investissements de nations concurrentes comme la Corée du Sud, qui a récemment annoncé 2,7 milliards de dollars pour des initiatives similaires.
Les données de Statistique Canada révèlent le défi à venir: 42% des emplois canadiens nécessiteront une importante mise à niveau des compétences numériques dans les cinq prochaines années. Pendant ce temps, nos établissements postsecondaires ne produisent qu’environ 30 000 diplômés en informatique et en génie par an – soit environ la moitié de la demande annuelle prévue.
Le cadre aborde également la gouvernance de l’intelligence artificielle, proposant une extension de la Loi sur l’intelligence artificielle et les données pour inclure des exigences d’évaluation des risques plus robustes pour les systèmes d’IA déployés dans des secteurs critiques. Cette approche réglementaire tente d’équilibrer l’innovation avec les garde-fous nécessaires.
« Le Canada a l’occasion d’établir une voie médiane entre l’approche réglementaire stricte de l’UE et le modèle plus laissez-faire des États-Unis, » explique Renée Légaré, défenseure des droits numériques et fondatrice de Tech Ethics Canada. « Mais une gouvernance significative de l’IA nécessite à la fois une expertise technique et une autorité réglementaire – le cadre reste vague sur la façon dont ces organismes de surveillance seront dotés en personnel et habilités. »
Ce qui est notamment absent du cadre est une stratégie claire concernant la position du Canada dans le domaine des semi-conducteurs. Alors que des pays du monde entier investissent massivement dans la fabrication et la conception de puces – notamment les États-Unis avec leur CHIPS Act de 52 milliards de dollars – le cadre canadien ne mentionne les semi-conducteurs qu’en passant.
Cette omission est particulièrement préoccupante compte tenu des vulnérabilités récentes de la chaîne d’approvisionnement et de l’importance stratégique de la technologie des semi-conducteurs pour tout, de l’informatique quantique aux véhicules électriques – des secteurs où le Canada espère être compétitif.
Le cadre comprend des incitatifs fiscaux prometteurs pour les entreprises technologiques nationales, notamment une réduction du taux d’imposition des sociétés pour les entreprises de services numériques qualifiées sous contrôle canadien et des crédits élargis pour la R&D. Ces mesures s’attaquent directement à la fuite des capitaux qui a entravé la croissance du secteur technologique canadien.
La réaction de l’industrie a été prudemment optimiste. Le Conseil canadien des innovateurs a salué les propositions d’harmonisation réglementaire tout en exprimant des inquiétudes quant aux délais de mise en œuvre. Parallèlement, les groupes de défense des consommateurs se sont demandé si le cadre aborde adéquatement les protections de la vie privée numérique et la transparence algorithmique.
L’élément peut-être le plus encourageant est la tentative du cadre de définir une approche distinctement canadienne de la transformation numérique – une approche qui équilibre les opportunités économiques avec les considérations d’équité et les protections de la vie privée.
Alors que nous envisageons la mise en œuvre, la question clé reste de savoir si ce cadre se traduira par des actions significatives ou rejoindra les stratégies numériques précédentes qui accumulent la poussière sur les étagères gouvernementales. Le paysage technologique n’attendra pas une politique parfaite; il continue d’évoluer à un rythme effréné.
Pour que le Canada construise véritablement son avenir numérique, les politiques décrites dans ce cadre doivent passer rapidement de la proposition à la mise en œuvre. Notre compétitivité économique et notre prospérité future en dépendent. La vision est là – maintenant, il nous faut une exécution à la hauteur.