J’ai d’abord remarqué le dossier qui prenait la poussière parmi une pile de litiges en attente dans un palais de justice de Vancouver. Ce qui a commencé comme une recherche routinière de cas concernant les libertés civiles a depuis révélé l’un des plus importants défis constitutionnels à la loi sur la santé mentale dans l’histoire canadienne.
Le Conseil des Canadiens avec déficiences et deux plaignants individuels contestent actuellement la Loi sur la santé mentale de la Colombie-Britannique devant la Cour suprême de la C.-B., soutenant que les dispositions provinciales sur la détention involontaire et le traitement forcé violent plusieurs droits garantis par la Charte. Cette affaire pourrait fondamentalement redéfinir comment notre système de santé équilibre l’autonomie des patients avec la nécessité médicale perçue.
« La question fondamentale est de savoir si l’État peut détenir et traiter de force quelqu’un qui n’a pas commis de crime mais qui vit une détresse en santé mentale, » explique Laura Johnston, directrice juridique chez Health Justice, l’une des organisations représentant les plaignants. « Nous nous demandons si notre approche actuelle respecte la dignité humaine fondamentale et l’autonomie. »
Après avoir examiné les documents judiciaires et parlé avec des experts juridiques, j’ai constaté que la contestation se concentre sur plusieurs aspects troublants du régime de santé mentale de la C.-B. La loi permet aux médecins de détenir des personnes qu’ils jugent atteintes d’un trouble mental nécessitant une protection ou une hospitalisation. Une fois détenues, ces personnes peuvent être médicamentées de force sans consentement et maintenues indéfiniment en détention grâce à des certificats de renouvellement.
L’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, qui a le statut d’intervenant dans cette affaire, m’a fourni des statistiques montrant que les détentions involontaires ont augmenté de plus de 70 % au cours de la dernière décennie. L’année dernière seulement, plus de 20 000 Britanno-Colombiens ont été détenus en vertu de cette loi.
« La plupart des Canadiens seraient choqués d’apprendre qu’en 2024, nous avons encore un système où les gens peuvent être détenus indéfiniment et médicamentés contre leur gré sans garanties juridiques significatives, » affirme Jay Aubrey, avocate à la BCCLA. « Il ne s’agit pas seulement de technicités juridiques – il s’agit de droits humains fondamentaux. »
J’ai parlé avec Dr. Marina Morrow, professeure à l’Université York qui étudie les politiques de santé mentale. Elle a souligné que l’approche de la C.-B. contraste fortement avec la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, que le Canada a ratifiée. La Convention met l’accent sur la prise de décision assistée plutôt que sur le jugement substitué.
« De nombreuses juridictions évoluent vers des modèles qui respectent l’autonomie des patients tout en fournissant des soutiens communautaires solides, » m’a dit Morrow. « La recherche montre de plus en plus que les approches coercitives peuvent traumatiser les gens et les dissuader de chercher de l’aide quand ils en ont besoin. »
Les documents judiciaires révèlent des témoignages particulièrement troublants d’anciens détenus qui ont décrit avoir été injectés de force avec des médicaments causant des effets secondaires graves, y compris des troubles permanents du mouvement. Un plaignant a décrit l’expérience comme « avoir sa personnalité effacée. »
La province défend la loi comme nécessaire pour protéger les personnes vulnérables qui manquent de discernement sur leur état. Les avocats du gouvernement soutiennent que sans dispositions de traitement involontaire, certains patients risqueraient une détérioration, des préjudices ou l’itinérance.
Cependant, après avoir examiné les preuves soumises par des organisations de défense des droits des personnes handicapées, j’ai constaté que plusieurs autres provinces canadiennes ont adopté des lois sur la santé mentale plus respectueuses des droits. L’Ontario, par exemple, sépare les décisions de détention des décisions de traitement, permettant à une personne d’être détenue pour des raisons de sécurité tout en conservant le droit de refuser certains traitements.
« Nous ne suggérons pas d’abandonner les personnes en crise, » a souligné Johnston. « Nous préconisons un système qui offre du soutien sans supprimer les droits. Les preuves montrent que des relations de confiance et un engagement volontaire mènent à de meilleurs résultats que la coercition. »
L’affaire soulève également des questions profondes sur les voix qui comptent dans la politique de santé mentale. Les transcriptions du tribunal révèlent des témoignages d’experts survivants psychiatriques qui ont décrit comment le traitement forcé a érodé leur confiance dans le système de santé.
« Une fois qu’on vous a maintenu et injecté contre votre volonté, ce traumatisme reste avec vous, » a témoigné un témoin. « Il devient plus difficile, et non plus facile, de chercher de l’aide quand vous êtes en difficulté. »
Des documents obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information montrent que la province est depuis longtemps consciente des préoccupations relatives aux droits de la personne concernant la Loi sur la santé mentale. Une note interne du ministère de la Santé de 2016 reconnaissait que « certains aspects de la législation sur la santé mentale de la C.-B. pourraient être vulnérables à une contestation en vertu de la Charte » mais notait que des amendements nécessiteraient « un développement politique significatif et une consultation des parties prenantes. »
Les plaignants demandent des déclarations selon lesquelles des sections de la Loi violent les droits à la liberté, à la sécurité de la personne et à l’égalité garantis par la Charte. Ils demandent également au tribunal de suspendre sa déclaration d’invalidité pour donner au législateur le temps d’élaborer une législation conforme aux droits.
En observant le déroulement des procédures la semaine dernière, j’ai été frappé par le contraste entre les arguments juridiques sur les droits garantis par la Charte et les expériences vécues décrites par ceux qui ont traversé le système. Cette tension met en lumière une question sociétale plus large : comment équilibrer les préoccupations légitimes concernant à la fois la sécurité et l’autonomie?
« Cette affaire ne concerne pas seulement la doctrine juridique, » affirme Michael Bach de l’Institut de recherche et de développement sur l’inclusion et la société. « Il s’agit de savoir si nous croyons vraiment que les personnes ayant des problèmes de santé mentale méritent les mêmes droits et le même respect que tout le monde. »
Le procès devrait se poursuivre pendant plusieurs semaines encore, avec une décision probablement dans plusieurs mois. Mais quel que soit le résultat, ce défi a déjà réussi à attirer l’attention du public sur un système qui fonctionne largement dans l’ombre, affectant chaque année des milliers de Britanno-Colombiens vulnérables.
Pour une société qui se targue de son leadership en matière de droits humains, l’affaire offre un miroir – reflétant si notre engagement envers la dignité et l’autonomie s’étend à tous, même à ceux qui vivent leurs moments les plus sombres.