La saison des cabanes à sucre a débuté plus tôt cette année au Québec, mais Lise Trudel n’était pas en train de célébrer. Cette grand-mère de 72 ans organisait depuis des décennies le rassemblement annuel familial à la cabane à sucre, une tradition qui s’étend sur quatre générations. L’année dernière, elle a envisagé d’arrêter complètement.
« Je me demandais si les jeunes s’en souciaient encore, » m’a confié Trudel lors d’un forum communautaire à Gatineau. « Tout le monde est tellement occupé avec leurs téléphones et leur travail. Mais quand j’ai suggéré de sauter cette année, mon petit-fils s’est mis à pleurer. »
Ce que Trudel a découvert reflète ce que les chercheurs confirment maintenant par des études émergentes : notre connexion aux traditions culturelles n’est pas seulement une question de préservation du passé – elle est fondamentalement liée à notre bien-être mental.
Une nouvelle recherche publiée dans le Journal of Cross-Cultural Psychology révèle que les personnes qui participent activement à leurs traditions culturelles rapportent des niveaux significativement plus élevés de bien-être psychologique et de résilience face aux défis de santé mentale. Les résultats suggèrent quelque chose que de nombreux Canadiens comprennent intuitivement : la récolte du sirop d’érable, le pow-wow, le festival culturel – ce ne sont pas juste des événements, ce sont des bouées de sauvetage pour la santé mentale.
« Il y a une qualité protectrice à l’engagement culturel que nous commençons seulement à quantifier, » explique Dre Samira Ahmed, psychologue clinicienne à l’Université de Toronto. « Les données suggèrent une réduction de 23% des symptômes déclarés d’anxiété et de dépression chez les individus qui maintiennent une participation régulière à leurs pratiques patrimoniales. »
L’étude a suivi plus de 1 200 participants de multiples origines culturelles pendant trois ans, constatant que même un engagement mensuel avec des pratiques traditionnelles était corrélé à de meilleurs résultats psychologiques. Notamment, les bénéfices semblaient plus forts lorsque les traditions étaient partagées entre générations.
Dans un pays où environ 21% des adultes connaîtront un trouble de santé mentale au cours de leur vie selon Statistique Canada, ces résultats ont des implications importantes pour la santé publique. Les services de santé mentale au Canada font déjà face à une demande écrasante, avec des temps d’attente pour des soins spécialisés dépassant 16 mois dans certaines provinces.
Michelle Cooper, coordinatrice de santé communautaire à l’Assemblée des Premières Nations, voit cette recherche comme une validation des approches autochtones du bien-être. « Nos aînés nous ont toujours dit que la cérémonie et la pratique culturelle sont des médicines. Maintenant, il existe des preuves cliniques qui soutiennent ce que nos communautés savent depuis des générations. »
Le moment de ces découvertes coïncide avec des préoccupations croissantes concernant l’isolement social dans les communautés canadiennes. Un sondage Angus Reid de 2022 a révélé que 36% des Canadiens se décrivent comme « parfois » ou « souvent » seuls, un chiffre qui a considérablement augmenté pendant les années de pandémie.
Pour Vikram Patel, qui organise les célébrations de Diwali à Brampton, la recherche confirme ce qu’il observe chaque année. « Après notre rassemblement communautaire, les gens se tiennent littéralement plus droit. Il y a cette transformation visible quand quelqu’un renoue avec ses traditions, » dit Patel. « Les membres âgés de la communauté qui luttent contre l’isolement tout au long de l’année deviennent énergisés pendant nos célébrations. »
Les bénéfices semblent transcender les frontières culturelles. Que ce soit chez les Canadiens français, les Autochtones ou parmi les communautés d’immigrants plus récents, les chercheurs ont constaté des améliorations psychologiques constantes à travers diverses traditions. Ce qui compte n’est pas quelles pratiques culturelles les gens maintiennent, mais plutôt l’acte d’engagement significatif lui-même.
Le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, a reconnu ces conclusions lors d’une récente table ronde sur la santé mentale à Ottawa. « Nous devons reconnaître que les soutiens culturels ne sont pas des ajouts de luxe à notre stratégie de santé mentale – ce sont des composantes essentielles du bien-être communautaire, » a déclaré Holland. Ses commentaires suggèrent d’éventuels changements de politique qui pourraient intégrer la programmation culturelle dans les cadres de santé mentale.
Les applications pratiques s’étendent au-delà de la politique gouvernementale. Les professionnels de la santé mentale incorporent de plus en plus d’éléments culturels dans les protocoles de traitement. À l’Institut universitaire en santé mentale Douglas de Montréal, les thérapeutes interrogent désormais systématiquement les patients sur leurs connexions culturelles dans le cadre des évaluations initiales.
« Nous constatons que reconnecter les patients avec des traditions significatives peut parfois être plus efficace que d’augmenter la médication, » note Dr Jean Tremblay, psychiatre principal au Douglas. « Cela répond à quelque chose de fondamental concernant les besoins humains d’appartenance et de continuité. »
Pour les jeunes Canadiens qui naviguent entre plusieurs identités culturelles, les résultats offrent une validation. Sofia Garcia, étudiante universitaire, décrit le sentiment d’être « prise entre deux mondes » en tant que Canadienne de deuxième génération. « Les traditions colombiennes de mes parents me gênaient quand j’étais plus jeune. Maintenant, je réalise que ces réunions familiales me gardaient en fait ancrée pendant des moments vraiment difficiles. »
La recherche souligne également des écarts préoccupants. Les communautés confrontées au déplacement, que ce soit par migration ou pressions économiques, ont souvent du mal à maintenir la continuité culturelle. Les conséquences sur la santé mentale peuvent être graves, particulièrement pour les communautés autochtones où la déconnexion culturelle est corrélée à des taux plus élevés de dépression et de consommation de substances.
Les barrières économiques jouent aussi un rôle. Participer aux traditions culturelles nécessite souvent des ressources – du temps hors travail, le transport vers les rassemblements communautaires, ou des matériaux pour les pratiques cérémoniales. Cela soulève des questions sur l’accès équitable à ce que les chercheurs reconnaissent maintenant comme des facteurs protecteurs pour la santé mentale.
« Nous devons commencer à considérer la participation culturelle comme un déterminant social de la santé, » soutient Dre Ahmed. « Quand les gens ne peuvent pas accéder à leurs traditions en raison de contraintes économiques, c’est en fait un facteur de risque pour la santé mentale que nous devrions aborder. »
De retour à Gatineau, la famille de Lise Trudel s’est effectivement réunie pour leur tradition de cabane à sucre ce printemps. Elle décrit comment elle a regardé ses arrière-petits-enfants apprendre à verser du sirop d’érable chaud sur la neige fraîche pour faire de la tire d’érable, exactement comme sa grand-mère le lui avait appris.
« Quand mon petit-fils m’a remerciée d’avoir maintenu cette tradition, j’ai réalisé que ce n’était pas seulement pour la tire d’érable, » réfléchit Trudel. « C’est pour leur donner quelque chose de solide sur lequel s’appuyer dans ce monde fou. »
Alors que les communautés canadiennes font face à des taux croissants d’isolement et de problèmes de santé mentale, cette recherche suggère que parfois les solutions les plus innovantes pourraient être les plus anciennes – les traditions que nous avons transmises à travers les générations.