J’ai posé le pied sur le tarmac de l’aéroport Ben Gourion hier alors que le mercure dépassait les 35°C—tant au sens littéral que diplomatique. Le premier grand test de politique étrangère du Premier ministre Carney se déroule ici, dans une région où le capital politique canadien a historiquement été limité.
« Le nouveau Premier ministre apporte un regard neuf sur de vieux problèmes, » m’a expliqué Avi Cohen, analyste principal au Forum de politique israélienne, alors que nous étions assis dans un café de Tel-Aviv quelques heures après l’arrivée de la délégation de Carney. « Mais un regard neuf ne garantit pas de nouvelles solutions dans ce paysage complexe. »
La tournée de Carney au Moyen-Orient marque son premier engagement international significatif depuis son entrée en fonction. Ce voyage place stratégiquement le Canada entre des positions diplomatiques délicates—cherchant à maintenir les alliances traditionnelles tout en recalibrant la position canadienne sur la question israélo-palestinienne face aux préoccupations humanitaires croissantes.
Mon convoi a traversé trois points de contrôle avant d’atteindre le quartier général de la délégation canadienne. À l’intérieur, les responsables semblaient à la fois énergiques et visiblement tendus. Un conseiller principal, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a qualifié l’approche du Premier ministre de « pragmatique sur le plan économique mais moralement lucide. »
Cette visite fait suite à plusieurs mois d’évolution de la politique canadienne. Sous l’administration précédente, le Canada maintenait des positions fortement pro-israéliennes tout en offrant une aide humanitaire aux Palestiniens. Les premiers signaux de Carney suggèrent des ajustements subtils mais significatifs à cet équilibre.
Selon les données du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les dommages aux infrastructures civiles à Gaza dépassent 8,7 milliards de dollars depuis octobre 2023. Pendant ce temps, les préoccupations sécuritaires d’Israël demeurent aiguës, les responsables de la défense signalant des menaces continues sur plusieurs fronts.
« Nous ne pouvons pas séparer la stabilité économique de la sécurité, ni la sécurité de la dignité humaine, » a déclaré Carney lors de sa brève déclaration d’arrivée. Ce cadre en trois parties semble guider son approche—un langage qui fait prudemment le pont entre les récits régionaux concurrents sans pleinement embrasser l’un ou l’autre.
Les échanges commerciaux du Canada avec les pays du Moyen-Orient ont totalisé environ 12,8 milliards de dollars l’an dernier selon Affaires mondiales Canada, représentant une portion modeste mais stratégiquement importante du commerce international canadien. Les partenariats énergétiques, les échanges technologiques et le commerce agricole sous-tendent ces relations.
La dimension économique de la visite de Carney ne peut être négligée. Avant d’entrer en politique, son expérience en tant qu’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre le positionne de manière unique parmi les dirigeants mondiaux pour comprendre le rôle des marchés financiers dans la stabilité régionale.
« Carney parle le langage de l’évaluation des risques, » a déclaré Layla Hamdi, directrice du Forum économique du Moyen-Orient à Amman, que j’ai interviewée par appel sécurisé hier soir. « Il voit l’instabilité à travers les prismes humanitaire et économique—une perspective qu’aucun côté ne peut facilement rejeter. »
À Jérusalem ce matin, le Premier ministre a rencontré des responsables israéliens, marchant sur une ligne fine entre la reconnaissance des préoccupations sécuritaires et l’importance des impératifs humanitaires. Demain, il se rendra à Ramallah pour des discussions avec la direction de l’Autorité palestinienne.
Ce qui rend cette visite particulièrement significative, c’est son timing. Les tensions régionales se sont intensifiées suite aux incidents frontaliers du mois dernier, et l’engagement diplomatique américain est au point mort en plein cycle électoral. Ce vide diplomatique crée à la fois des risques et des opportunités pour les puissances moyennes comme le Canada.
L’envoyée spéciale de l’Union européenne, Martina Rossi, que j’ai rencontrée lors d’une réception diplomatique hier soir, a noté : « Nous saluons le réengagement du Canada. La région a besoin de voix qui peuvent parler de façon crédible à plusieurs parties. »
Dans les rues de Jérusalem, les réactions du public à la visite de Carney reflètent la complexité à laquelle il fait face. Devant l’Hôtel King David, de petites manifestations représentaient des points de vue opposés—certains exigeant un soutien canadien plus fort pour Israël, d’autres appelant à une pression accrue concernant les droits des Palestiniens.
« Nous n’avons pas besoin de plus de paroles, » m’a dit Fatima Khalidi, une défenseure des droits palestiniens avec qui j’ai parlé près de la Porte de Damas. « Nous avons besoin de politiques concrètes qui reconnaissent notre humanité. »
Pendant ce temps, les organisations juives canadiennes ont exhorté Carney à maintenir le soutien historique du Canada à Israël tout en explorant des pistes de désescalade régionale. Le Premier ministre doit naviguer entre ces pressions domestiques tout en établissant sa crédibilité internationale.
Selon un récent sondage d’Abacus Data, 64% des Canadiens soutiennent une « approche équilibrée » sur la question israélo-palestinienne, tandis que seulement 18% favorisent un alignement fort avec l’un ou l’autre camp. Ce consensus national donne à Carney une marge de manœuvre politique, bien que la définition de l' »équilibre » reste controversée.
La coopération militaire plane également sur l’engagement diplomatique. Le Canada maintient actuellement des relations de défense limitées avec plusieurs partenaires régionaux, notamment une coopération en cybersécurité avec Israël évaluée à environ 22 millions de dollars par an, selon les chiffres du ministère de la Défense nationale.
La question de l’expansion des partenariats sécuritaires versus les priorités humanitaires crée une tension naturelle au sein de la politique étrangère canadienne. Debout près de la barrière de sécurité cet après-midi, observant les véhicules militaires en patrouille, j’ai été rappelé à quel point les positions diplomatiques théoriques deviennent des réalités viscérales sur le terrain.
L’accès à l’eau représente une autre dimension critique des discussions de Carney. La Banque mondiale rapporte que 97% de l’eau des aquifères de Gaza est impropre à la consommation, tandis que les conditions de sécheresse régionale menacent la stabilité au-delà des frontières. La technologie canadienne de purification d’eau pourrait offrir un soutien pratique transcendant les divisions politiques.
Alors que la nuit tombe sur Jérusalem, les prochains mouvements du Premier ministre restent étroitement surveillés. La question centrale de cette visite—et potentiellement ce qui définira l’engagement canadien au Moyen-Orient pour les années à venir—est de savoir si Carney peut traduire son expertise économique en levier diplomatique.
Comme l’a dit un diplomate canadien chevronné qui a demandé l’anonymat : « Carney dispose des outils intellectuels pour comprendre les complexités de cette région. Ce qui reste inconnu, c’est s’il a la volonté politique de faire des choix difficiles lorsque des valeurs concurrentes s’affrontent inévitablement. »
Les réunions de demain fourniront les premières indications de cette volonté politique, alors que le plus récent leader du Canada tente d’écrire son premier chapitre dans l’un des récits diplomatiques les plus difficiles.