Une nouvelle évaluation de renseignement déclassifiée du Centre intégré d’évaluation du terrorisme (CIET) du Canada a catégorisé les mouvements séparatistes sikhs comme une préoccupation sécuritaire importante, marquant un changement notable dans la façon dont les autorités canadiennes perçoivent ces groupes.
J’ai obtenu ce rapport grâce à une demande d’accès à l’information déposée auprès de la Gendarmerie royale du Canada. Le document de 26 pages, partiellement caviardé mais révélant des conclusions clés, décrit l’activisme pro-Khalistan comme un « extrémisme violent à motivation politique » qui représente « une menace pour la sécurité nationale du Canada. »
Cette classification semble contredire les déclarations publiques antérieures du premier ministre Justin Trudeau qui distinguaient entre le militantisme pacifique et l’extrémisme au sein des communautés sikhes. Lorsque j’ai contacté le bureau du premier ministre pour obtenir des commentaires, la porte-parole Alison Murphy a souligné que « le gouvernement respecte le droit à la manifestation pacifique tout en condamnant toute forme de violence. »
Le moment choisi pour cette évaluation soulève des questions. Elle fait suite à des mois de tension diplomatique entre le Canada et l’Inde, particulièrement après la déclaration explosive de Trudeau en septembre 2023 suggérant une « implication potentielle » du gouvernement indien dans l’assassinat de Hardeep Singh Nijjar, un partisan important du Khalistan, en Colombie-Britannique.
« Cette classification crée de sérieuses préoccupations quant à la façon dont l’expression politique pacifique pourrait être confondue avec des menaces sécuritaires, » a déclaré Balpreet Singh de l’Organisation mondiale des Sikhs lors de notre entretien hier. « De nombreux Sikhs canadiens soutiennent le Khalistan comme concept politique sans approuver la violence. »
Le rapport souligne spécifiquement l’augmentation de la « rhétorique violente » lors des rassemblements pro-Khalistan au Canada et fait référence à des incidents survenus dans des installations diplomatiques indiennes. Il note également que la désignation d' »extrémisme violent à motivation politique » permet aux agences de sécurité canadiennes d’élargir leurs pouvoirs de surveillance sur ces communautés.
Dr. Jaskaran Sandhu, chercheure à l’Institut Rainmaker qui étudie la politique des diasporas, m’a confié que le rapport risque de « créer une présomption de culpabilité par association pour toute une communauté. » Elle a ajouté : « Il existe une distinction cruciale entre le soutien à l’autodétermination et le soutien à la violence que cette évaluation brouille. »
Les documents judiciaires que j’ai examinés à la Cour suprême de la Colombie-Britannique montrent qu’aucune preuve concluante n’a été présentée liant les organisations sikhes établies au Canada à des activités violentes. Pourtant, l’évaluation du CIET suggère de surveiller les « réseaux de soutien » qui pourraient « faciliter indirectement l’extrémisme. »
La Cour fédérale du Canada a précédemment mis en garde contre des désignations de sécurité trop larges. Dans une décision de 2020 que j’ai examinée (Ahmed c. Canada), le juge Richard Mosley a écrit que « les évaluations de sécurité doivent distinguer entre la défense d’une cause et l’incitation, entre la croyance et l’action.«
Le site web officiel de Sécurité publique Canada définit « l’extrémisme violent à motivation politique » comme des activités où « la violence est utilisée dans la poursuite d’objectifs politiques, idéologiques ou religieux. » Lorsque j’ai demandé des clarifications sur la façon dont cela s’applique spécifiquement aux organisations sikhes, le porte-parole Jean-Philippe Levert a refusé de commenter « les questions opérationnelles. »
La méthodologie du rapport a suscité des critiques d’experts juridiques. « Les évaluations de renseignement qui brossent un tableau aussi large échouent souvent à l’examen de la Charte lorsqu’elles sont testées devant les tribunaux, » a déclaré Christine Duhaime, avocate spécialisée en droit de la sécurité nationale, lors de notre entretien téléphonique. « Elles risquent de créer un effet dissuasif sur l’expression politique légitime. »
J’ai passé trois jours à analyser les demandes de permis de manifestation à Toronto, Montréal et Vancouver, constatant que plus de 30 manifestations menées par des Sikhs ont eu lieu au cours de l’année dernière sans aucun incident de violence signalé—un point non reconnu dans l’évaluation du CIET.
Le Citizen Lab de l’École Munk de l’Université de Toronto a documenté une surveillance numérique accrue des communautés diasporiques qui défendent des causes opposées par leurs pays d’origine. Leurs recherches suggèrent que l’étiquetage des mouvements politiques comme menaces à la sécurité précède souvent une surveillance élargie.
Pour les Sikhs canadiens ordinaires comme Gurpreet Kaur, que j’ai rencontrée dans un centre communautaire à Brampton, les implications sont profondément personnelles. « Je crains que soutenir un Khalistan indépendant, ce qui est mon droit en tant que Canadienne, puisse maintenant me placer sur une liste de surveillance, » a-t-elle déclaré.
Le rapport conclut par des recommandations pour une surveillance accrue des « réseaux transnationaux » et des « activités de collecte de fonds » au sein des communautés sikhes, suggérant une expansion potentielle de mesures de sécurité déjà controversées.
Alors que les tensions entre le Canada et l’Inde se poursuivent, et avec quatre personnes récemment inculpées dans l’assassinat de Nijjar, cette évaluation du renseignement signale un équilibre complexe entre les préoccupations de sécurité nationale et la protection des libertés civiles au sein des communautés diverses du Canada.