Les chiffres sont tombés, et ils racontent une histoire fascinante sur la transformation démographique rapide du Canada. Les dernières données de Statistique Canada montrent que notre population a dépassé les 41 millions d’habitants ce printemps, avec une croissance qui fait tourner les têtes des économistes, des experts en logement et des planificateurs politiques.
Derrière ce chiffre global se cache une narration économique complexe qui touche à tout, de votre loyer mensuel à la file d’attente de votre café préféré.
« Nous assistons à ce qu’on pourrait appeler le Grand Ajustement démographique du Canada, » explique Rowan Patterson, économiste en chef chez BMO Marchés des capitaux. « Il ne s’agit pas seulement d’avoir plus de personnes, mais de la vitesse à laquelle notre infrastructure économique doit s’adapter pour les soutenir. »
Les chiffres bruts sont frappants. Le Canada a accueilli près de 1,3 million de nouveaux résidents au cours de la dernière année, la migration internationale représentant la grande majorité. Ce taux de croissance de 3,2 % dépasse pratiquement toutes les autres économies développées et représente l’expansion démographique la plus rapide depuis le baby-boom des années 1950.
Pour mettre les choses en perspective, le Canada croît environ trois fois plus vite que les États-Unis en pourcentage. Cette poussée a créé ce que le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a récemment décrit comme des « dynamiques inhabituelles » dans l’économie.
L’impact le plus visible concerne le logement. Les taux d’inoccupation dans les grands centres urbains ont chuté à des niveaux historiquement bas, Toronto et Vancouver affichant des taux inférieurs à 1 %. Cette rareté a fait grimper le loyer moyen national de 8,6 % sur un an, selon les données de Rentals.ca.
« Les mathématiques ne fonctionnent tout simplement pas, » explique Murtaza Haider, professeur de gestion immobilière à l’Université métropolitaine de Toronto. « Nous ajoutons de nouveaux résidents à un rythme environ trois fois supérieur à celui de la construction de nouveaux logements. Cette équation mène inévitablement à des coûts de logement plus élevés et à une augmentation de la formation des ménages—plusieurs familles partageant des espaces conçus pour une seule. »
Mais l’histoire va bien au-delà du logement. Entrez dans n’importe quelle salle d’urgence d’hôpital, et la poussée démographique devient immédiatement apparente. Les systèmes de santé conçus pour une population bien plus petite sont maintenant sous pression, avec des temps d’attente pour les procédures non urgentes qui ont augmenté en moyenne de 12 % à l’échelle nationale au cours de la dernière année.
De même, les inscriptions dans les écoles publiques ont explosé, le conseil scolaire du district de Toronto signalant sa première augmentation significative de la population étudiante depuis plus d’une décennie. Cela inverse des années de planification basées sur des projections de baisse des inscriptions.
Le marché du travail raconte une histoire tout aussi complexe. Alors que le taux de chômage du Canada est passé à 6,4 % le mois dernier, des secteurs comme la santé, la construction et la restauration signalent des difficultés persistantes à pourvoir les postes. Cette contradiction apparente reflète ce que les économistes appellent le « chômage frictionnel »—le temps nécessaire aux nouveaux travailleurs pour trouver des postes appropriés correspondant à leurs compétences.
« L’immigration est essentielle pour relever nos défis démographiques, » note Sarah Doyle, économiste en chef au Conseil canadien des affaires. « Mais nous constatons d’importants problèmes de reconnaissance des diplômes et des inadéquations de compétences qui empêchent de nombreux nouveaux arrivants d’utiliser pleinement leurs capacités. »
Les impacts économiques de cette poussée démographique sont multiples. D’une part, l’augmentation des dépenses de consommation a aidé les entreprises à se remettre des pertes liées à la pandémie. Les volumes des ventes au détail ont augmenté de 3,2 % sur un an, avec des performances particulièrement fortes dans les produits essentiels comme l’alimentation, les articles ménagers et les télécommunications.
L’offre supplémentaire de main-d’œuvre a également atténué les pressions inflationnistes sur les salaires dans certains secteurs, donnant à la Banque du Canada plus de flexibilité dans ses décisions de taux d’intérêt. Les entreprises signalent que des bassins de candidats plus larges pour les postes de premier échelon leur ont permis d’étendre leurs activités sans faire face à des coûts de main-d’œuvre prohibitifs.
Cependant, la croissance rapide a créé des tensions importantes sur les infrastructures. Les systèmes de transport en commun signalent une surpopulation aux heures de pointe, tandis que les systèmes municipaux d’eau et de déchets conçus il y a des décennies peinent à gérer l’augmentation du volume. La congestion routière s’est considérablement aggravée dans les grands centres urbains, avec des temps de trajet moyens augmentant de près de 15 minutes dans la région du Grand Toronto par rapport aux niveaux pré-pandémiques.
Plus préoccupante encore est la pression sur l’abordabilité du logement. La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) estime que pour rétablir l’abordabilité aux niveaux de 2019, le pays doit construire 5,8 millions de nouveaux logements d’ici 2030—dépassant largement la capacité de construction actuelle.
« Nous construisons des logements à un rythme d’environ 240 000 par an, » déclare Aled ab Iorwerth, économiste principal à la SCHL. « Compte tenu de notre trajectoire démographique, ce rythme devrait presque doubler, ce qui présente d’énormes défis en termes de main-d’œuvre, de matériaux et d’approbations municipales. »
Les gouvernements provinciaux et fédéral ont commencé à répondre à ces pressions. L’Ontario a récemment adopté une législation pour accélérer le développement du logement autour des stations de transport en commun, tandis que la Colombie-Britannique a pris des mesures pour restreindre les locations à court terme et éliminer certaines restrictions de zonage. Au niveau fédéral, le gouvernement a annoncé un financement élargi des infrastructures ciblant spécifiquement les communautés à forte croissance.
La communauté des affaires s’est adaptée avec une rapidité remarquable. L’industrie de la restauration a adopté l’automatisation et les options libre-service pour gérer un volume accru de clients avec moins de personnel. Les entreprises de construction se tournent de plus en plus vers des composants de construction préfabriqués pour accélérer les délais des projets. Les détaillants ont élargi leurs opérations de commerce électronique pour servir plus de clients sans augmenter proportionnellement leur empreinte physique.
Pour les Canadiens, cette poussée démographique crée à la fois des opportunités et des défis. Les jeunes professionnels signalent plus d’options d’emploi et de possibilités d’avancement de carrière, particulièrement dans les secteurs en croissance comme l’énergie propre et la technologie. Cependant, beaucoup décrivent également une concurrence intensifiée pour le logement et une frustration croissante face aux services publics surchargés.
Alors que nous naviguons dans cette période de croissance extraordinaire, la question clé demeure de savoir si nos infrastructures, nos logements et nos services peuvent évoluer assez rapidement pour maintenir la qualité de vie. La réponse façonnera la trajectoire économique du Canada pour les décennies à venir.
« Ce que nous vivons n’est pas temporaire—c’est une restructuration fondamentale de notre réalité démographique, » affirme Patterson de BMO. « Les pays qui prospéreront au 21e siècle seront ceux qui réussiront à gérer la croissance démographique tout en maintenant la qualité de vie et les opportunités. Le Canada dispose des ressources et des compétences pour réussir, mais la période d’ajustement présente de réels défis. »
Ces défis domineront probablement le discours économique et politique alors que les Canadiens naviguent collectivement dans ce changement démographique sans précédent—et déterminent si notre croissance rapide devient un net positif pour la prospérité ou un conte de mise en garde sur les limites de la capacité d’absorption.