Les couloirs habituellement bruyants du palais de justice de Montréal sont tombés dans un silence pesant hier lorsqu’une femme de 35 ans a comparu pour son audience de libération sous caution après avoir été accusée d’avoir abandonné sa fille de sept ans dans leur appartement pendant près d’une semaine. Le juge Dennis Galiatsatos de la Cour du Québec a fixé l’audience à lundi prochain, accordant ainsi aux procureurs le temps de préparer leur dossier contre la mère, dont l’identité demeure protégée par une interdiction de publication afin de préserver l’anonymat de sa fille.
Les documents judiciaires que j’ai consultés indiquent que la mère fait face à trois accusations : abandon d’enfant, défaut de fournir les nécessités de la vie et négligence criminelle. Selon le témoignage de la procureure de la Couronne Yasmine Cadotte, la situation s’est révélée lorsque la police a découvert la jeune fille seule dans un appartement du quartier Ville-Marie après que des voisins eurent signalé ne pas avoir vu la mère depuis plusieurs jours.
« L’enfant avait été laissée avec un minimum de nourriture et tentait de prendre soin d’elle-même, » a déclaré Cadotte au tribunal lors des procédures préliminaires. La fillette aurait survécu en mangeant des céréales et des craquelins alors qu’elle était seule dans l’appartement du 12 au 18 février, moment où les autorités sont intervenues.
Mon enquête sur cette affaire révèle une chronologie troublante. Les rapports policiers montrent que des voisins ont contacté les autorités après avoir entendu des pleurs provenant de l’appartement et remarqué l’accumulation de courrier devant la porte. Lorsque les agents sont entrés dans le domicile, ils ont trouvé l’enfant en détresse mais physiquement indemne. Elle a immédiatement été placée sous la protection de la Direction de la protection de la jeunesse du Québec.
Marie-Ève Cloutier, experte en protection de l’enfance au Centre de recherche sur l’enfance et la famille de l’Université McGill, a expliqué lors de notre entretien que de tels cas mettent en évidence des lacunes critiques dans les systèmes de soutien communautaire. « Les enfants peuvent passer entre les mailles du filet lorsque les réseaux de soutien familial sont absents ou lorsque les parents font face à de multiples facteurs de stress sans ressources adéquates, » a précisé Cloutier. « L’impact psychologique de l’abandon peut être profond et durable. »
L’Hôpital de Montréal pour enfants a signalé 127 cas de négligence grave nécessitant une intervention l’année dernière, selon leur rapport annuel sur la sécurité. Dr Alain Ptito, psychologue pédiatrique que j’ai consulté pour obtenir du contexte, a noté que les cas d’abandon complet restent relativement rares mais représentent « l’extrémité d’un spectre de négligence qui commence souvent par de petites ruptures dans les soins. »
L’avocat de la défense, Me Michel Labelle, a demandé une évaluation psychologique approfondie avant de procéder à l’audience de libération sous caution. Lors de notre bref échange à l’extérieur de la salle d’audience, Me Labelle a souligné que « des considérations importantes en matière de santé mentale doivent être prises en compte pour comprendre le contexte complet de cette situation. »
La mère, qui semblait visiblement bouleversée pendant la procédure, restera en détention jusqu’à l’audience de lundi. Elle essuyait occasionnellement des larmes pendant la lecture des accusations, ne faisant que brièvement contact visuel avec son avocat.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec a indiqué qu’il s’opposera à la libération sous caution, citant des préoccupations concernant la stabilité de la mère et la sécurité de l’enfant. Les documents judiciaires que j’ai obtenus montrent que les procureurs feront valoir que « la nature délibérée et la durée de l’abandon » constituent des motifs de détention continue.
Les responsables de la protection de la jeunesse ont refusé de commenter spécifiquement l’affaire, mais ont confirmé que l’enfant reçoit un soutien psychologique et un placement temporaire en famille d’accueil. Catherine Rudel-Tessier, porte-parole de l’agence, m’a confié que leur priorité demeure « d’assurer la sécurité immédiate de l’enfant tout en travaillant vers l’arrangement à long terme le plus approprié. »
L’affaire a relancé les discussions sur le système de protection de l’enfance du Québec. Pierre Bourdeau, directeur du groupe montréalais de défense des droits des enfants Enfants Avant Tout, a souligné les problèmes systémiques qui ont pu contribuer à cette situation. « Nous voyons souvent des signes avant-coureurs non traités en raison des services sociaux surchargés, » a expliqué Bourdeau lors de notre entretien téléphonique. « La prévention nécessite des soutiens communautaires constants pour les familles vulnérables avant que les crises ne surviennent. »
Si elle est reconnue coupable, la mère pourrait faire face à jusqu’à cinq ans de prison pour les accusations les plus graves. Cependant, les experts juridiques notent que les tribunaux envisagent de plus en plus des peines axées sur la réhabilitation dans les cas impliquant des aidants principaux.
Pour l’instant, la fillette reste sous protection pendant que le processus judiciaire se déroule. Les documents judiciaires indiquent qu’une audience distincte concernant sa garde à long terme aura lieu au tribunal de la famille le mois prochain, indépendamment des procédures criminelles contre sa mère.