L’air du matin était inhabituellement calme lorsque je me suis approché de la clôture de la Ferme d’autruches Horizon dans le sud de l’Alberta la semaine dernière. Michelle Levesque attendait, ses mains usées par le travail tenant une tasse de voyage de café refroidi. Derrière elle, soixante-trois autruches se déplaçaient en groupes nerveux à travers l’enclos—une fraction des 400 oiseaux que sa famille élevait avant l’arrivée des inspecteurs fédéraux en octobre.
« Ce ne sont pas que du bétail pour nous, » a dit Levesque, regardant un mâle exhiber son plumage noir et blanc. « Nous avons élevé certains de ces oiseaux depuis qu’ils étaient poussins. Maintenant, on nous dit qu’ils doivent tous partir. »
La ferme de Levesque est l’une des dix-huit exploitations d’autruches spécialisées confrontées à des abattages obligatoires après que l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a détecté la grippe aviaire H5N1 dans la région. Des documents obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information révèlent l’ampleur du plan gouvernemental d’élimination de près de 3 000 autruches—le plus grand abattage de bétail alternatif de l’histoire canadienne.
Cette action a divisé les communautés rurales et soulevé des questions quant à savoir si les autorités vont trop loin dans leur approche de la gestion des risques de grippe aviaire dans les exploitations avicoles non traditionnelles.
Depuis la première apparition du H5N1 dans l’aviculture commerciale canadienne en 2021, plus de 7,5 millions d’oiseaux ont été détruits, selon les données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. La plupart étaient des poulets et des dindes provenant d’exploitations industrielles. Mais la décision d’inclure les fermes d’autruches—où les oiseaux sont logés différemment et présentent des taux d’infection minimes—a suscité une forte résistance.
« Les autruches ne sont pas des poulets, » a expliqué Dr Ava Singh, pathologiste aviaire à l’Université de Saskatchewan. « Leur physiologie et leur susceptibilité à la grippe aviaire se présentent différemment. Bien que nous ayons documenté l’infection H5N1 chez les autruches, la dynamique de transmission semble distincte de celle des volailles gallinacées. »
Singh a souligné des recherches publiées dans le Journal vétérinaire canadien suggérant que les autruches pourraient porter le virus avec moins d’excrétion virale que les poulets ou les dindes, présentant potentiellement un risque de transmission plus faible. Cependant, l’ACIA maintient que tout réservoir potentiel du virus représente une menace significative pour l’industrie avicole canadienne et potentiellement pour la santé publique.
Des documents judiciaires déposés par l’Association canadienne de l’autruche révèlent les enjeux économiques. L’industrie canadienne de l’autruche, bien que petite, génère environ 25 millions de dollars annuellement grâce à la viande, au cuir et aux plumes. Des fermes comme celle de Levesque représentent des investissements multigénérationnels en connaissances spécialisées et en infrastructure.
« Nous avons tout investi dans cette exploitation, » m’a dit Levesque alors que nous marchions parmi les oiseaux. L’un d’eux s’est approché prudemment, son apparence préhistorique semblant digne malgré les circonstances. « L’indemnisation est loin de couvrir ce que nous perdrons si ces oiseaux sont détruits. »
L’impact financier s’étend au-delà des agriculteurs. À Medicine Hat, Thomas Chen, maître artisan du cuir, a bâti une entreprise prospère fabriquant des articles de luxe en cuir d’autruche. Son atelier, rempli de ce cuir distinctif à fossettes à différents stades de production, pourrait bientôt se retrouver vide.
« Nous avons développé des relations avec ces fermes locales depuis quinze ans, » a déclaré Chen, passant sa main sur une peau richement texturée. « Si elles disparaissent, je devrai m’approvisionner à l’international à des coûts bien plus élevés. Plusieurs de mes employés risquent de perdre leur emploi. »
Alors que les responsables de l’ACIA ont refusé les demandes d’entrevue, des courriels internes du Groupe de travail sur la grippe aviaire de l’agence montrent des perspectives contradictoires parmi les scientifiques gouvernementaux quant à savoir si l’abattage des autruches est proportionnel au risque.
« Il faudrait envisager des mesures de confinement alternatives pour les ratites étant donné leur profil de susceptibilité distinct, » a écrit un pathologiste vétérinaire de l’ACIA dans des courriels datés du 28 septembre. Une autre réponse notait: « Les cadres politiques ne distinguent pas actuellement entre les types de volailles malgré les preuves émergentes. »
Pour les communautés autochtones de l’Alberta qui ont développé des relations culturelles et économiques avec les producteurs d’autruches, l’abattage représente un autre exemple de politiques gouvernementales mises en œuvre sans consultation.
« Nous travaillons avec ces agriculteurs depuis des années, » a expliqué l’aînée nêhiyaw Margaret Cardinal, qui a aidé à établir un programme de travail des plumes reliant les artisans autochtones aux fermes d’autruches. « Ces oiseaux fournissent des matériaux pour des œuvres cérémonielles et artistiques qui apportent la guérison à notre peuple. »
Le programme de Cardinal emploie douze membres de la communauté qui transforment les plumes pour des éventails cérémoniels et des parures. « Quand ils parlent d’indemnisation, cela inclut-il ce que notre communauté perd? Les compétences qui ne seront pas transmises si ces sources disparaissent? »
Des contestations juridiques ont temporairement arrêté l’abattage dans quatre fermes pendant que la Cour fédérale examine si l’ACIA a correctement évalué les alternatives comme la quarantaine, les protocoles de dépistage ou la vaccination—des stratégies employées avec succès dans l’importante industrie de l’autruche sud-africaine face à des épidémies similaires.
Dr Etienne Rousseau de l’Organisation mondiale de la santé animale note que les normes internationales encouragent « la proportionnalité et la spécificité » dans les mesures de contrôle des maladies. « La tendance mondiale est aux approches fondées sur des preuves adaptées aux différents systèmes de production plutôt qu’aux politiques générales, » a-t-il expliqué lors d’une récente conférence virtuelle.
De retour à la Ferme Horizon, Levesque m’a conduit vers un enclos d’isolement où ils ont mis en œuvre des mesures de biosécurité rigoureuses—bains de pieds, vêtements dédiés et barrières physiques—espérant démontrer des alternatives à l’abattage.
« Nous ne nions pas la gravité de la grippe aviaire, » a-t-elle dit, « mais nous demandons des décisions basées sur la science qui tiennent compte des caractéristiques uniques de nos oiseaux et de nos exploitations. »
À mesure que les secteurs d’élevage spécialisés du Canada se diversifient, ce cas met en évidence les défis d’application des cadres réglementaires conçus pour l’agriculture conventionnelle aux systèmes alimentaires émergents. Il soulève également des questions difficiles sur l’équilibre entre le contrôle des maladies et la proportionnalité, les valeurs culturelles et les moyens de subsistance ruraux.
La Cour fédérale devrait se prononcer sur l’injonction d’ici mi-novembre. Pour Levesque et d’autres agriculteurs, l’attente crée son propre fardeau.
« Chaque matin, je sors en me demandant si c’est la dernière fois que je verrai ces oiseaux, » a-t-elle dit alors que nous retournions vers la ferme. « Quoi qu’il arrive, l’agriculture canadienne doit tirer des leçons de cette situation—la façon dont nous gérons les menaces de maladies tout en respectant la diversité de nos systèmes alimentaires est importante pour tous nos avenirs. »
Dans l’enclos derrière nous, les autruches poursuivaient leur mouvement nerveux, participants involontaires à une intersection complexe entre science, politique et vies humaines.