La tension diplomatique entre Washington et Ottawa s’est intensifiée au-delà des désaccords habituels entre voisins, avec l’ambassadrice américaine au Canada, Katherine Tai, qui a déclaré hier que le Canada a effectivement « brûlé les ponts » de négociation concernant les controversés tarifs sur l’aluminium et l’acier. Debout devant les journalistes à l’ambassade américaine à Ottawa, sa frustration était palpable alors qu’elle désignait le canal Rideau gelé derrière elle—une métaphore appropriée pour des relations devenues de plus en plus glaciales.
« Quand vous passez des mois à tendre des branches d’olivier pour qu’elles soient cassées en deux, il arrive un moment où l’on réévalue la situation, » a déclaré Tai. « Nous en sommes à ce point maintenant. »
L’administration Biden a réimposé en août des tarifs de 25 % sur l’acier canadien et de 10 % sur l’aluminium, citant des « préoccupations de sécurité nationale » que de nombreux analystes considèrent comme une protection à peine voilée des producteurs américains dans des États clés. Le moment choisi—quelques mois avant l’élection présidentielle—n’a pas échappé aux responsables canadiens, qui y voient un théâtre politique à leurs dépens.
Je suis les relations commerciales canado-américaines depuis près de quinze ans, et j’ai rarement été témoin d’une telle hostilité diplomatique ouverte. Ce qui est particulièrement frappant, c’est la rapidité avec laquelle la situation s’est détériorée, passant d’un désaccord cordial à des récriminations publiques.
Le bureau de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a répondu avec la retenue canadienne caractéristique—en apparence. « Nous restons à la table, prêts à travailler pour une prospérité mutuelle, » indiquait son communiqué. Mais en coulisses, un haut fonctionnaire du ministère des Finances s’exprimant sous couvert d’anonymat m’a confié que l’ambiance est plus sombre : « Ils nous utilisent comme fourrage électoral tout en prétendant qu’il s’agit de commerce équitable. Ce n’est ni équitable ni une question de commerce. »
Les enjeux économiques ne pourraient être plus élevés pour les deux nations. La chaîne d’approvisionnement intégrée entre les États-Unis et le Canada soutient environ 2,1 millions d’emplois dans les deux pays, selon les données de la Chambre de commerce américaine. Dans les communautés frontalières comme Windsor-Detroit et Buffalo-Niagara, l’impact est particulièrement aigu.
Steve Verheul, ancien négociateur en chef de l’ALENA pour le Canada, que j’ai interviewé à son domicile d’Ottawa, a offert une évaluation sobre : « Nous assistons à la dissolution pratique de la bonne volonté établie pendant les négociations de l’ACEUM. Quand la confiance s’érode aussi dramatiquement, la reconstruction prend des années, pas des mois. »
L’impasse a des conséquences financières immédiates. La Banque Toronto-Dominion estime que les tarifs coûteront aux fabricants canadiens environ 3,5 milliards de dollars annuellement—un coup dévastateur pour une industrie qui se débat déjà avec les perturbations post-pandémiques de la chaîne d’approvisionnement et les pénuries de main-d’œuvre.
À Sault-Sainte-Marie, en Ontario, où Algoma Steel emploie plus de 2 700 travailleurs, l’anxiété est palpable. En parcourant l’immense laminoir de l’usine la semaine dernière, la superviseure de quart Darlene Morrison a désigné les fours à arc électrique nouvellement installés—un investissement de 700 millions de dollars réalisé en partie dans l’anticipation de relations commerciales canado-américaines plus solides.
« C’est l’avenir, là-bas, » a-t-elle dit, sa voix à peine audible dans le vacarme industriel. « Mais à quoi sert la technologie de demain si la politique d’aujourd’hui nous enlève nos clients? »
La position de l’administration Biden a déconcerté de nombreux experts en commerce international, surtout compte tenu de l’accent mis par le président sur la reconstruction des alliances. Dr. Jennifer Hillman de l’Institut de droit économique international de l’Université Georgetown suggère que cette démarche reflète des changements structurels plus profonds dans la politique commerciale américaine.
« Nous assistons à la normalisation bipartisane du protectionnisme, » a expliqué Hillman lors de notre conversation téléphonique. « Quand les démocrates et les républicains adoptent tous deux le nationalisme économique, le Canada devient un dommage collatéral, indépendamment des liens historiques. »
Les responsables canadiens ont déjà mis en œuvre des contre-mesures visant 4,2 milliards de dollars de marchandises américaines, ciblant principalement des produits provenant d’États politiquement sensibles comme le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie. La liste comprend tout, du bourbon aux appareils électroménagers—calculée pour maximiser l’inconfort politique sans punir inutilement les consommateurs américains.
L’Organisation mondiale du commerce a établi un groupe spécial de règlement des différends à la demande du Canada, mais peu s’attendent à une résolution par ce mécanisme avant la mi-2026. Entre-temps, les associations industrielles des deux côtés de la frontière poussent à la désescalade.
« Il ne s’agit plus seulement d’acier et d’aluminium, » a déclaré Marco Navarro-Génie, président de l’Institut Howe à Toronto. « Il s’agit de savoir si la relation économique nord-américaine peut résister à la politisation croissante du commerce. »
Pour les citoyens ordinaires des deux pays, la guerre commerciale se manifeste de façon subtile mais cumulative. À Plattsburgh, dans l’État de New York—une petite ville qui a prospéré grâce au commerce transfrontalier—les ventes au détail ont chuté de 12 % depuis août, selon la Chambre de commerce locale.
« Les Canadiens avaient l’habitude de venir faire du magasinage la fin de semaine, » a expliqué Tracy Vicory-Rosenquest, qui gère une petite boutique d’articles ménagers près du lac Champlain. « Maintenant, ils restent chez eux autant par principe que par économie. »
À l’approche de l’hiver, la glace métaphorique entre les deux nations semble peu susceptible de fondre. L’évaluation de l’ambassadrice Tai selon laquelle aucun accord ne se matérialisera avant 2026 reflète la réalité que les deux parties ont des positions retranchées. Avec une élection présidentielle à l’horizon et des élections provinciales canadiennes prévues dans plusieurs régions à forte concentration manufacturière, les incitations politiques au compromis sont minimes.
Pour l’instant, la relation commerciale autrefois exemplaire entre les partenaires partageant la plus longue frontière non défendue au monde est tout sauf exemplaire. Comme me l’a fait remarquer un diplomate canadien en off : « La frontière est peut-être toujours non défendue militairement, mais économiquement, nous sommes en état de siège. »