Un juge montréalais a stupéfié la salle d’audience mardi en rejetant toutes les accusations contre Laurent Desjardins dans l’affaire très médiatisée du meurtre du directeur d’assurance Marc Bélanger. Ce jugement représente l’effondrement spectaculaire de ce que les procureurs avaient décrit comme une « affaire en béton » il y a à peine six mois.
J’ai passé la matinée à examiner les 78 pages du jugement, qui cite des « violations profondes et irréparables des droits garantis par la Charte » par les enquêteurs qui poursuivaient Desjardins, l’ancien vice-président d’Assurance Nationale, suite à l’assassinat par balle de Bélanger dans un stationnement souterrain en avril 2022.
« Le processus de collecte des preuves a été fondamentalement compromis », a écrit la juge Claudine Paquet dans son évaluation cinglante. « Quand la police contourne délibérément les exigences de mandat et manipule les témoignages, l’intégrité de notre système judiciaire exige des conséquences. »
Le rejet repose sur des révélations explosives selon lesquelles les enquêteurs auraient illégalement accédé aux données de localisation du téléphone portable de Desjardins par ce que le tribunal a appelé une « construction parallèle » – obtenir des informations sans autorisation appropriée, puis créer des justifications alternatives après coup.
L’avocate de la défense, Emmanuelle Tremblay, m’a confié à l’extérieur du palais de justice que l’accusation s’était « effondrée sous le poids de ses propres inconduite ». Elle a expliqué comment l’expert en forensique numérique Claude Morneau avait identifié des horodatages cruciaux prouvant que les témoignages policiers sur la découverte des preuves ne correspondaient pas à leur chronologie documentée.
« Ils prétendaient avoir trouvé l’arme du crime après avoir suivi des pistes d’enquête légitimes », a expliqué Tremblay, « mais les registres numériques prouvent qu’ils savaient déjà où chercher en raison du suivi cellulaire non autorisé. »
Le ministère de la Justice du Québec a refusé de commenter spécifiquement d’éventuelles mesures disciplinaires contre les enquêteurs impliqués, offrant seulement une brève déclaration reconnaissant le jugement. « Nous respectons la décision du tribunal et examinerons le jugement en profondeur », a déclaré la porte-parole Marie-Claude Gagnon.
Pour la famille de la victime, le rejet représente un revers dévastateur. La fille de Bélanger, Camille, a exprimé son indignation en quittant le palais de justice. « Le système a failli à mon père », a-t-elle déclaré. « Quelqu’un l’a exécuté pour des affaires commerciales, et maintenant cette personne est libre à cause de technicalités. »
L’affaire avait initialement capté l’attention du public en raison d’allégations selon lesquelles le meurtre de Bélanger découlait de sa découverte d’une opération d’écrémage de primes de plusieurs millions de dollars chez Assurance Nationale. Selon les documents judiciaires que j’ai obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information, les enquêteurs croyaient que Desjardins avait orchestré le meurtre après que Bélanger eut menacé d’exposer le stratagème.
Pierre Langevin, expert en gouvernance d’entreprise à l’Université de Montréal qui a suivi l’affaire de près, m’a confié que le rejet soulève des questions troublantes sur les enquêtes à enjeux élevés. « Quand la police se sent pressée de résoudre rapidement des affaires importantes, des raccourcis sont pris », a déclaré Langevin. « Mais ce jugement envoie un message clair concernant les limites constitutionnelles. »
L’enquête semblait initialement solide. Des images de surveillance montraient une silhouette correspondant à celle de Desjardins entrant dans le garage quelques minutes avant la fusillade. L’analyse forensique avait trouvé des résidus de poudre sur des vêtements récupérés à son domicile. Des témoignages plaçaient son véhicule près de la scène.
Cependant, la juge Paquet a déterminé que le mandat de perquisition pour la résidence de Desjardins contenait des « fausses représentations matérielles » et omettait des preuves contradictoires. Plus dommageable encore fut la révélation que les enquêteurs avaient utilisé les données de localisation du téléphone de Desjardins sans autorisation judiciaire, puis construit un récit alternatif sur la façon dont ils l’avaient identifié comme suspect.
Vanessa Dionne, du Projet Innocence du Canada, qui a observé la procédure, a noté que l’affaire illustre des problèmes systémiques. « Quand la police croit qu’une personne est coupable, elle travaille parfois à rebours à partir de cette conclusion », a expliqué Dionne. « Cette affaire démontre pourquoi les garanties procédurales existent. »
Le procureur de la Couronne Jean-Philippe Rousseau semblait visiblement frustré après le jugement mais a indiqué que l’accusation ne ferait pas appel. « Nous respectons la décision du tribunal tout en maintenant notre conviction quant à l’implication du défendeur », a déclaré Rousseau.
Pour Desjardins, qui a maintenu son innocence tout au long des 18 mois de bataille juridique, le rejet met fin à un cauchemar personnel mais laisse une incertitude professionnelle. Son équipe juridique a indiqué qu’il poursuivrait des réclamations pour poursuite abusive.
L’enquête sur le meurtre de Bélanger reste techniquement ouverte, mais des sources au sein du Service de police de Montréal m’ont confié que la probabilité de nouvelles accusations est minime étant donné les preuves contaminées et le passage du temps.
« Il ne s’agit pas seulement d’une affaire », a souligné Me Tremblay. « Ce jugement renforce l’idée que les protections constitutionnelles ne sont pas des obstacles à la justice – elles définissent la justice elle-même. »
En quittant le palais de justice, j’ai remarqué les deux familles – victime et accusé – partir séparément en silence, chacune semblant porter le poids d’un système qui, quelle que soit la perspective, n’avait pas réussi à apporter une résolution.