J’ai arpenté le plancher d’exposition du Carrefour d’innovation de Toronto d’innombrables fois, observant des entrepreneurs présenter leurs solutions fabriquées au Canada. Mais l’annonce d’hier par Mark Carney offre à ces innovateurs quelque chose de plus tangible qu’un autre programme d’incubation ou crédit d’impôt.
Le nouveau Plan économique d’achat canadien dévoilé mardi représente la politique industrielle la plus ambitieuse d’Ottawa depuis des décennies, engageant 5 milliards de dollars pour revitaliser la fabrication nationale tout en érigeant des barrières tarifaires conçues pour donner un avantage aux entreprises canadiennes face à la concurrence étrangère.
« Nous ne pouvons plus simplement espérer que les marchés mondiaux favoriseront naturellement l’innovation canadienne, » a déclaré Carney devant un parterre de leaders industriels et de décideurs politiques. « Parfois, il faut créer les conditions du succès chez soi avant de pouvoir concurrencer à l’étranger. »
En tant qu’observateur de la lutte perpétuelle du Canada pour faire croître ses entreprises locales, ceci marque un virage philosophique important. Pendant des années, les gouvernements successifs ont prêché l’évangile du libre-échange tout en regardant les industries nationales lutter contre des concurrents internationaux fortement subventionnés.
Le plan comporte trois composantes majeures qui méritent d’être analysées : des incitatifs ciblés pour la fabrication, des tarifs stratégiques sur certaines importations, et des exigences d’approvisionnement Achat canadien pour les projets fédéraux.
L’impact le plus immédiat provient du Fonds de compétitivité manufacturière de 5 milliards de dollars, qui offrira des subventions de contrepartie aux entreprises qui étendent leurs installations de production dans des secteurs désignés : énergie propre, semi-conducteurs, minéraux critiques, aérospatiale et fabrication pharmaceutique.
Ce qui distingue ce programme des précédents est l’accent explicite mis sur le rapatriement des capacités de production délocalisées. Les entreprises qui s’engagent à ramener des emplois manufacturiers au Canada auront un accès prioritaire au financement—avec des incitatifs supplémentaires pour s’implanter dans les régions les plus durement touchées par la désindustrialisation.
Le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne a souligné qu’il ne s’agit pas « d’aide aux entreprises » mais d’investissement stratégique. « Nous ciblons des secteurs où le Canada possède déjà des avantages en matière de connaissances, mais manque d’échelle de production, » a-t-il expliqué lors d’une entrevue subséquente.
La deuxième composante—de nouveaux tarifs ciblant les importations de pays qui « subventionnent injustement leurs industries »—représente l’aspect le plus controversé du plan. À partir de septembre, le Canada imposera des droits allant de 10% à 25% sur des produits sélectionnés provenant de pays jugés comme pratiquant des méthodes non marchandes.
Bien que les officiels aient évité de nommer des nations spécifiques, la cible est incontestablement la Chine, dont la fabrication soutenue par l’État a dominé les marchés mondiaux dans tout, des panneaux solaires aux batteries de véhicules électriques.
Thomas d’Aquino, ancien PDG du Conseil canadien des chefs d’entreprises, voit à la fois des opportunités et des risques dans cette approche. « Le Canada reconnaît enfin ce que d’autres pays ont compris il y a des années—parfois, il faut protéger sa base industrielle, » m’a-t-il confié. « Mais des mesures de représailles pourraient nuire aux exportateurs canadiens si la situation s’aggrave. »
Le troisième pilier du plan exige que les projets d’infrastructure fédéraux s’approvisionnent à au moins 65% en matériaux et services auprès de fournisseurs canadiens lorsque c’est possible—une augmentation par rapport aux directives actuelles plutôt souples qui conduisent souvent à un approvisionnement étranger moins coûteux.
Cette disposition Achat canadien reflète des exigences similaires établies depuis longtemps aux États-Unis, où le Buy American Act a contribué à maintenir la capacité de fabrication nationale malgré des coûts plus élevés.
Les économistes demeurent divisés sur la question de savoir si la stratégie produira les résultats promis. Trevor Tombe de l’Université de Calgary prévient que les industries protégées deviennent souvent moins compétitives avec le temps. « Protéger les entreprises de la concurrence mondiale peut créer des emplois à court terme, mais de l’inefficacité à long terme, » avertit-il.
Les données de Statistique Canada montrent pourquoi les décideurs se sentent obligés d’agir. La fabrication en pourcentage du PIB est passée de 16% en 2000 à tout juste moins de 10% aujourd’hui, représentant des centaines de milliers d’emplois perdus pour la classe moyenne. Pendant ce temps, le déficit commercial du Canada dans les produits de technologie avancée a atteint 25 milliards de dollars l’an dernier.
Ce qui est le plus intéressant dans ce virage politique, c’est le soutien bipartisan qu’il reçoit. Les critiques conservateurs qui s’opposeraient typiquement à l’intervention gouvernementale sont restés notablement silencieux, reconnaissant la popularité du nationalisme économique auprès de leur base.
La réaction des entreprises a été prudemment positive. L’Association des manufacturiers et exportateurs du Canada l’a qualifié de « reconnaissance tardive que la politique industrielle compte, » tandis que les entreprises de technologies propres y voient un soutien vital contre des concurrents subventionnés.
Pour le secteur technologique canadien, ce plan aborde un défi persistant : commercialiser l’innovation canadienne au pays. Trop souvent, les technologies développées dans les universités ou les startups canadiennes finissent par être fabriquées ailleurs en raison de meilleurs incitatifs à l’étranger.
« Nous développons ici une technologie de batterie de classe mondiale, mais la fabrication se fait en Asie, » explique Jennifer Wagner, présidente de CarbonCure Technologies. « Cela pourrait aider à compléter ce cycle d’innovation à production à l’intérieur de nos frontières. »
Cependant, les défenseurs des petites entreprises craignent que les avantages ne profitent principalement aux grandes sociétés ayant la capacité de naviguer dans des demandes de financement et des exigences réglementaires complexes.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a déjà appelé à des processus simplifiés pour garantir que les petits fabricants puissent accéder au programme. « Si cela aide simplement les grandes entreprises à devenir plus grandes, nous aurons manqué une opportunité, » note leur président Dan Kelly.
La réaction internationale a été, comme prévu, mitigée. Les partenaires commerciaux ont exprimé leur inquiétude, le ministère du Commerce chinois publiant une déclaration qualifiant le plan de « protectionnisme à peine voilé » et promettant de « prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits des entreprises chinoises. »
Le moment est significatif. Avec l’approche des élections américaines et les deux grands partis qui adoptent une politique industrielle, le Canada semble se prémunir contre d’éventuelles perturbations du commerce continental, quel que soit le vainqueur en novembre.
Ce qui reste flou, c’est si ces mesures représentent une réponse temporaire au nationalisme économique mondial ou un changement permanent dans la philosophie économique canadienne. Ce dernier marquerait la fin du consensus néolibéral qui guide la politique depuis les années 1980.
Pour les Canadiens ordinaires, le test ultime sera de savoir si ces politiques créent des emplois durables et bien rémunérés sans augmenter significativement les prix à la consommation. C’est l’équilibre délicat que Carney et le gouvernement doivent trouver.
En tant qu’observateur de l’évolution économique du Canada depuis deux décennies, je vois cela comme un moment décisif. Qu’il représente un pragmatisme nécessaire ou un écart coûteux par rapport aux principes économiques éprouvés ne deviendra clair que dans les années à venir.
Ce qui est certain, c’est que le Canada a décidé qu’il ne peut plus se permettre d’être le dernier véritable croyant en la mondialisation sans entraves pendant que d’autres nations gèrent activement leur avenir industriel.