L’acquisition de Cormark Securities par ATB Financial représente bien plus qu’une simple transaction bancaire—c’est une déclaration claire que l’énergie demeure fondamentale pour la vision économique de l’Alberta, même alors que le monde navigue dans un chemin de transition incertain.
La transaction de 107 millions de dollars annoncée hier positionne la société d’État provinciale pour renforcer ses capacités en banque d’investissement tout en réaffirmant son engagement envers les producteurs d’énergie traditionnels qui font face à un examen croissant de la part des institutions financières nationales.
« Nous approfondissons notre engagement envers le secteur énergétique à un moment où de nombreuses banques reculent, » m’a confié Curtis Stange, PDG d’ATB Financial, lors d’une entrevue. « Il existe cette perception que soutenir l’énergie traditionnelle signifie ignorer la transition énergétique. C’est un faux choix. Nous pouvons faire les deux. »
Cette acquisition survient après que plusieurs grandes banques canadiennes ont réduit leur exposition au pétrole et au gaz en réponse aux pressions environnementales et à l’évolution des mandats d’investissement. Rien qu’au dernier trimestre, RBC et TD ont collectivement réduit leurs portefeuilles de prêts pétroliers et gaziers d’environ 2,8 milliards de dollars, selon leurs rapports trimestriels.
Dans ce contexte, la démarche d’ATB est particulièrement remarquable. En acquérant Cormark, qui s’est bâti une solide réputation dans la banque d’investissement énergétique, ATB acquiert une expertise spécialisée tant dans les combustibles fossiles traditionnels que dans les technologies propres émergentes—exactement la combinaison nécessaire pour naviguer dans l’avenir énergétique complexe de l’Alberta.
Scott Davidson, PDG de Cormark qui continuera de diriger l’entreprise après la clôture de l’acquisition, a souligné ce point : « Nous avons bâti notre réputation sur la compréhension du spectre complet du développement énergétique. Cela signifie soutenir les producteurs conventionnels tout en ayant l’expertise pour les aider à évoluer. »
Le moment n’est pas accidentel. Les actions énergétiques ont surpassé le marché général au cours des 18 derniers mois, l’indice plafonné de l’énergie S&P/TSX affichant un rendement de 27 % alors que le composite S&P/TSX n’a gagné que 11 %. Cette performance contredit les prédictions selon lesquelles les investissements dans les combustibles fossiles s’effondreraient sous les pressions ESG.
Ce qui est particulièrement intéressant dans cette transaction, c’est comment elle reflète l’approche pragmatique de l’Alberta face à la transition énergétique. Plutôt que d’abandonner son moteur économique traditionnel, la province utilise son institution financière pour assurer que les capitaux continuent d’affluer vers un développement énergétique responsable.
« La privation de capital n’est pas une stratégie climatique efficace, » a noté Jackie Forrest, Directrice exécutive de l’ARC Energy Research Institute. « Les entreprises qui produisent de l’énergie aujourd’hui devront être celles qui investissent dans les solutions de demain, qu’il s’agisse de capture de carbone, d’hydrogène ou d’autres technologies. »
L’acquisition de Cormark renforce particulièrement la capacité d’ATB à servir les entreprises énergétiques de taille moyenne—celles dont la capitalisation boursière se situe entre 100 millions et 2 milliards de dollars—qui ont trouvé de plus en plus difficile d’accéder aux capitaux et aux services de conseil alors que les grandes banques se concentrent soit sur les acteurs majeurs, soit se retirent complètement du secteur.
Pour les Albertains ordinaires, les implications vont au-delà de la banque. Le secteur énergétique soutient directement et indirectement environ 187 000 emplois dans la province, selon les données récentes de Statistique Canada. Garantir que ces entreprises maintiennent l’accès aux services financiers a des implications pour l’emploi provincial, les recettes fiscales et la stabilité économique.
Cependant, cette démarche n’est pas sans risques. L’acquisition représente le plus grand investissement d’ATB dans les capacités des marchés de capitaux à ce jour, survenant à un moment où les marchés énergétiques mondiaux font face à d’importantes incertitudes de transition. L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande de pétrole atteindra son maximum avant 2030, bien que les estimations varient considérablement quant au calendrier et aux impacts.
« C’est un pari calculé que la transition énergétique se mesurera en décennies, pas en années, » a déclaré Adam Legge, Président du Conseil des affaires de l’Alberta. « ATB se positionne pour être le partenaire financier qui comprend à la fois où se trouve l’industrie aujourd’hui et où elle doit aller. »
L’acquisition soulève également des questions sur le mandat d’ATB en tant que société d’État. Fondée pendant la Grande Dépression pour servir les Albertains ruraux quand d’autres banques ne le faisaient pas, ATB a considérablement évolué tout en maintenant sa structure de propriété publique. Cette dernière démarche brouille davantage la ligne entre institution publique et banque commerciale.
Le ministre des Finances de l’Alberta a défendu l’acquisition, notant qu’ATB fonctionne indépendamment du gouvernement malgré sa propriété publique. « C’est une décision d’affaires qui a un sens stratégique, » a déclaré le ministre dans un communiqué de presse. « ATB continue de remplir son mandat en veillant à ce que les secteurs critiques de notre économie aient accès aux services financiers dont ils ont besoin. »
Une fois complétée, cette transaction fera d’ATB l’une des institutions financières canadiennes les plus axées sur l’énergie, précisément au moment où une grande partie du monde financier reconsidère sa relation avec les combustibles fossiles. Cette approche à contre-courant pourrait s’avérer visionnaire ou problématique selon l’évolution des marchés énergétiques.
Ce qui est certain, c’est qu’ATB parie sur une voie médiane—soutenir l’énergie traditionnelle tout en développant des capacités pour financer la transition. Dans une province où l’énergie représente environ 27 % du PIB, selon le gouvernement provincial, cette approche équilibrée pourrait être exactement ce dont on a besoin.
Comme l’a exprimé un dirigeant du secteur énergétique basé à Calgary qui a demandé à rester anonyme : « Nous n’avons pas besoin de cheerleaders ou de critiques. Nous avons besoin de partenaires financiers qui comprennent la complexité de ce que nous essayons de faire—maintenir les opérations actuelles tout en investissant dans de nouvelles technologies et approches. »
La transaction devrait être conclue au quatrième trimestre, sous réserve des approbations réglementaires.