L’idée que les groupes autochtones en Alberta possèdent une puissance financière suffisante pour participer à d’importantes acquisitions dans le secteur énergétique n’est plus simplement une aspiration—c’est une réalité qui prend forme. Mais comme pour toute histoire financière émergente, les détails sont d’une importance capitale.
En début de semaine, les marchés bourdonnaient de spéculations selon lesquelles un consortium d’investissement dirigé par des Autochtones préparait une offre concurrente pour MEG Energy, menaçant potentiellement l’offre de rachat de 7,5 milliards de dollars annoncée par Suncor Energy en mai. Ce développement représenterait un moment décisif pour la participation économique autochtone dans le secteur énergétique canadien.
Cependant, la Société des opportunités autochtones de l’Alberta (AIOC), une société d’État établie pour fournir des garanties de prêt aux groupes autochtones pour des projets de ressources naturelles, a rapidement émis une clarification. L’agence a déclaré qu’elle « ne fait pas partie d’un consortium pour acquérir MEG Energy » et a souligné qu' »aucune demande liée à MEG Energy n’a été soumise à l’AIOC. »
Cela ne signifie pas nécessairement que les investisseurs autochtones ne sont pas impliqués ailleurs dans la transaction potentielle. La déclaration de l’AIOC concernait spécifiquement sa propre participation, laissant ouverte la possibilité que des groupes autochtones poursuivent d’autres voies de financement.
MEG Energy, valorisée pour son projet de sables bitumineux de Christina Lake dans le nord-est de l’Alberta, produit environ 100 000 barils de bitume par jour. L’entreprise est devenue une cible d’acquisition attrayante, particulièrement après l’offre entièrement en actions de Suncor évaluée à 11,70 $ par action. Le conseil d’administration de MEG a déjà recommandé aux actionnaires d’accepter la proposition de Suncor.
Pour contextualiser, l’AIOC a été créée en 2019 spécifiquement pour améliorer la participation économique autochtone. La société d’État a soutenu près de 500 millions de dollars d’investissements autochtones dans les secteurs de l’énergie et des ressources naturelles. Des projets comme le pipeline Northern Courier, le projet Cascade Power et le remplacement de la ligne 3 d’Enbridge ont tous bénéficié de participations autochtones significatives facilitées par les garanties de l’AIOC.
« Les communautés autochtones veulent des opportunités d’investissement durables, pas seulement des emplois temporaires dans la construction, » explique Alicia Dubois, ancienne PDG de l’AIOC. « La propriété crée une richesse intergénérationnelle et une place à la table des décisions. »
Le potentiel transformateur ici ne peut être surestimé. Les relations économiques traditionnelles entre les entreprises énergétiques et les communautés autochtones étaient généralement centrées sur des accords de partage des bénéfices, offrant des redevances modestes ou des opportunités d’emploi. L’évolution vers la propriété équitable représente un changement fondamental de pouvoir.
Ce qui rend la situation de MEG Energy particulièrement intéressante, c’est l’échelle. Les investissements autochtones précédents dans le secteur, bien que significatifs, n’ont pas approché le seuil de plusieurs milliards de dollars qu’exigerait une acquisition de MEG. Même avec des garanties de prêt, rassembler le capital nécessaire pour une telle transaction nécessiterait une structuration financière sophistiquée et de multiples partenaires.
Les sables bitumineux canadiens représentent la troisième plus grande réserve de pétrole au monde, avec environ 165 milliards de barils de pétrole récupérable. Les communautés autochtones, en particulier celles du territoire du Traité 8 où sont situées de nombreuses exploitations, cherchent depuis longtemps une plus grande participation économique à cette richesse.
Selon les reportages du Financial Post, toute offre soutenue par des Autochtones devrait probablement dépasser l’offre de 7,5 milliards de dollars de Suncor par une marge significative pour détourner le conseil d’administration de MEG de leur recommandation actuelle. Cela soulève des questions sur la viabilité financière d’une telle offre, particulièrement dans un environnement où les coûts du capital ont considérablement augmenté.
L’investissement dans Prairie Provident annoncé le mois dernier pourrait offrir un modèle. Plusieurs Premières Nations ont formé un partenariat limité pour acquérir le producteur pétrolier junior dans une transaction évaluée à 130 millions de dollars. Bien que considérablement plus petit qu’une transaction potentielle avec MEG, cela a démontré la capacité des investisseurs autochtones à exécuter des acquisitions d’entreprises complexes.
Dale Swampy, président de la Coalition nationale des chefs, souligne la sophistication croissante des véhicules d’investissement autochtones. « Le modèle évolue de l’investissement passif vers la gestion active et le contrôle, » a noté Swampy lors d’une récente conférence sur l’énergie. « Les communautés veulent à la fois les rendements financiers et l’autorité de gouvernance qui accompagnent la véritable propriété. »
MEG Energy elle-même a gardé un silence relatif sur ces spéculations. Le département des relations avec les investisseurs de l’entreprise a refusé de commenter les « rumeurs du marché » lorsqu’il a été contacté.
Pour le secteur énergétique canadien au sens large, ce moment signale une évolution importante. Alors que l’industrie navigue à travers des défis complexes liés à la décarbonisation, à l’acceptabilité sociale et au développement des ressources, la participation économique autochtone offre une voie potentielle qui équilibre les opportunités économiques avec les principes de réconciliation.
Les statistiques racontent une partie de cette histoire. Selon Indigenous Works, il existe plus de 60 000 entreprises appartenant à des Autochtones au Canada, contribuant environ 30 milliards de dollars annuellement à l’économie. Le secteur de l’énergie est de plus en plus devenu un centre d’intérêt pour cette activité entrepreneuriale.
Qu’une offre menée par des Autochtones pour MEG se matérialise ou non, la conversation elle-même marque un progrès. Il y a dix ans, le concept même aurait semblé improbable. Aujourd’hui, il est sérieusement analysé par les banques d’investissement de Bay Street et les dirigeants du secteur énergétique.
Comme l’a dit un analyste financier du secteur énergétique qui a demandé l’anonymat: « La question n’est pas de savoir si les groupes autochtones feront des acquisitions majeures dans le secteur, mais quand et comment. Les barrières d’accès au capital sont réelles mais pas insurmontables avec les bons partenaires et structures. »
Pour les actionnaires de MEG, ce développement ajoute une autre dimension à leur processus de prise de décision. L’offre de Suncor a déjà fait l’objet de certaines critiques pour avoir potentiellement sous-évalué les actifs à longue durée de vie de MEG dans un environnement de prix du pétrole en amélioration.
Les semaines à venir révéleront si la clarification de l’AIOC représente la fin de cette histoire particulière ou simplement le début d’un récit plus complexe sur l’investissement autochtone dans l’avenir énergétique du Canada.