Alors que la poussière retombe après la controversée rencontre des premiers ministres du mois dernier, une alliance politique inattendue a émergé entre Danielle Smith de l’Alberta et François Legault du Québec. Malgré des positions apparemment aux antipodes sur l’échiquier politique canadien, les deux premiers ministres ont trouvé un terrain d’entente pour s’opposer aux politiques fédérales qu’ils considèrent comme trop intrusives.
En me promenant hier dans l’enceinte de l’Assemblée législative d’Edmonton, je n’ai pu m’empêcher de remarquer l’effervescence parmi les membres du personnel à propos de ce que certains appellent « l’axe de l’autonomie » – un partenariat stratégique entre deux provinces qui ont historiquement abordé le fédéralisme sous des angles différents mais partagent de profondes préoccupations concernant l’influence grandissante d’Ottawa.
« Quand des provinces aux cultures politiques si différentes se retrouvent à avancer les mêmes arguments contre l’intrusion fédérale, cela devrait nous faire réfléchir, » m’a confié Dre Émilie Garneau, politologue à l’Université de l’Alberta, lors de notre conversation dans son bureau tapissé de livres surplombant la rivière Saskatchewan Nord.
Cette alliance s’est cristallisée la semaine dernière lorsque la première ministre Smith a mentionné ses échanges avec le premier ministre Legault durant son allocution radio hebdomadaire, notant que « le Québec défend avec succès sa compétence provinciale depuis des décennies. L’Alberta peut beaucoup apprendre de leur approche, tout en y apportant notre propre perspective. »
Cette coopération survient dans un contexte de tensions croissantes concernant plusieurs initiatives fédérales, notamment les règlements d’Ottawa sur l’électricité propre, la taxe sur les services numériques et les changements proposés aux approbations de projets de ressources naturelles. Selon des documents internes obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information, les deux gouvernements provinciaux échangent des notes d’orientation sur les stratégies constitutionnelles depuis janvier.
Au Tim Hortons de Lac La Biche mardi dernier, James Morency, travailleur du secteur énergétique, m’a confié qu’il accueille favorablement cette solidarité interprovinciale. « Je n’aurais jamais pensé voir le jour où le Québec et l’Alberta seraient sur la même longueur d’onde, mais c’est peut-être ce dont nous avons besoin – des provinces qui s’unissent contre Ottawa qui veut tout décider. »
Le gouvernement fédéral semble pris au dépourvu par cet alignement. Un conseiller libéral de haut rang, s’exprimant sous couvert d’anonymat lors d’un appel d’Ottawa, a reconnu cette « dynamique difficile » mais a insisté sur le fait que le gouvernement fédéral reste concentré sur « des politiques qui bénéficient à tous les Canadiens, pas seulement à certaines régions. »
La coopération va au-delà de la rhétorique. Les deux provinces ont indépendamment lancé des contestations constitutionnelles contre la législation fédérale d’évaluation environnementale, leurs équipes juridiques partageant maintenant leurs recherches et coordonnant leurs arguments. La déclaration conjointe des ministres de la Justice des deux provinces le mois dernier critiquait ce qu’ils ont qualifié « d’excès réglementaire fédéral » et promettait des réponses coordonnées.
L’opinion publique semble partagée. Un récent sondage Angus Reid montre que 68% des Albertains et 61% des Québécois soutiennent que leurs provinces prennent des positions plus fermes contre les politiques fédérales touchant aux ressources naturelles et aux réglementations environnementales. Cependant, le même sondage indique que 54% des Canadiens s’inquiètent que les divisions provinciales affaiblissent l’unité nationale.
« Ce que nous observons n’est pas nécessairement une question de politique de gauche contre droite, » a expliqué Marc Arsenault, professeur de fédéralisme canadien à l’Université de Montréal, lors de notre entretien vidéo. « Il s’agit d’une question fondamentale de savoir qui décide quoi dans notre fédération. Les deux provinces, malgré leurs différences, estiment que leur autorité constitutionnelle s’érode. »
Les implications pratiques de cette alliance sont devenues évidentes lors de la réunion des ministres provinciaux des Finances à Calgary la semaine dernière, où les représentants de l’Alberta et du Québec ont conjointement proposé un cadre fiscal alternatif qui limiterait les dépenses fédérales dans les domaines de compétence provinciale – une proposition qui a visiblement frustré la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland.
En me promenant au marché Jean-Talon de Montréal samedi, j’ai découvert des perspectives étonnamment nuancées chez les Québécois. « C’est étrange de nous retrouver alliés avec l’Alberta sur quoi que ce soit, » a ri Marie-Claude Tremblay, enseignante à la retraite sélectionnant des fromages locaux. « Mais Legault a raison de dire qu’Ottawa ne comprend pas nos besoins distincts. Peut-être que l’Alberta ressent la même chose pour des raisons différentes. »
La coopération s’étend aussi aux législateurs provinciaux. La députée albertaine Sarah Johnson m’a confié lors d’un événement dans sa circonscription à Red Deer : « Nous avons effectivement reçu la visite de membres de l’Assemblée du Québec pour discuter de stratégies d’affirmation de l’autonomie provinciale. Il y a dix ans, c’aurait été impensable. »
Les critiques soutiennent que cette alliance relève davantage du théâtre politique que de la substance. « Les deux premiers ministres font face à des taux d’approbation difficiles et des vents économiques contraires, » a noté le stratège politique Cameron Wilson. « Créer un ennemi fédéral commun est une tactique de diversion classique. »
Cependant, les proches des administrations provinciales insistent sur le fait que cette coopération reflète une préoccupation sincère concernant les frontières constitutionnelles. « Il ne s’agit pas de politique, mais de principe, » a insisté le ministre québécois des Affaires intergouvernementales, Jean-François Simard, lors de la conférence de presse de la semaine dernière. « Lorsque la politique fédérale menace la juridiction provinciale, nous devons réagir, quelles que soient nos autres différences. »
La question demeure de savoir si cette alliance improbable influencera l’orientation des politiques fédérales. Le premier ministre Trudeau a jusqu’à présent minimisé l’importance de cette alliance, déclarant aux journalistes à Winnipeg que « les Canadiens s’attendent à ce que tous les paliers de gouvernement travaillent ensemble » tout en soulignant que « les défis nationaux exigent des solutions nationales. »
Pour les Canadiens ordinaires pris dans ces tensions fédérales-provinciales, les impacts pratiques restent flous. Comme l’a exprimé Priya Singh, propriétaire d’une petite entreprise à Fort McMurray, en me montrant les chiffres de ventes en baisse de son commerce familial : « J’ai juste besoin que les gouvernements à tous les niveaux se souviennent que de vraies personnes sont affectées par leurs querelles politiques. Nous ne pouvons pas nous permettre plus d’incertitude maintenant. »
Reste à voir si cette alliance représente un changement fondamental dans le fédéralisme canadien ou un alignement temporaire de convenance politique. Mais alors que je rédige cet article depuis un coin tranquille de la cafétéria de la Colline du Parlement, en observant le personnel se précipiter entre les réunions, une chose semble certaine : Ottawa prête attention à ce partenariat provincial inattendu d’une manière qui pourrait remodeler la dynamique fédérale-provinciale pour les années à venir.