J’ai passé les trois dernières semaines à éplucher des documents judiciaires, à interviewer d’anciens cadets et à parler avec des responsables concernant une affaire troublante qui soulève de sérieuses questions sur la protection des jeunes dans les programmes de cadets au Canada.
Un ancien chef des Cadets de l’Air de 55 ans originaire de Moncton, au Nouveau-Brunswick, fait face à de multiples accusations d’agression sexuelle impliquant des jeunes sous sa supervision. La GRC a annoncé hier que Martin Leblanc a été arrêté suite à une enquête de plusieurs mois qui a débuté lorsqu’un ancien cadet a révélé des allégations remontant à 2015-2017.
« L’enquête a révélé un modèle de comportement préoccupant qui aurait ciblé des jeunes vulnérables âgés de 14 à 17 ans », a déclaré la caporale Jeanine Arsenault de la GRC du Nouveau-Brunswick dans un communiqué officiel. Leblanc fait face à trois chefs d’accusation d’agression sexuelle, deux chefs d’exploitation sexuelle et un chef d’abus de confiance.
Les documents judiciaires que j’ai obtenus montrent que Leblanc a servi comme commandant d’escadron des Cadets de l’Aviation royale du Canada pendant près de huit ans. L’organisation, qui offre une formation en aviation, en leadership et en citoyenneté aux jeunes Canadiens âgés de 12 à 18 ans, compte environ 23 000 participants à l’échelle nationale.
Ces allégations soulèvent de sérieuses questions sur la surveillance au sein des organisations jeunesse. La Dre Robyn Maynard, chercheuse à l’Université McGill qui étudie les politiques de protection de la jeunesse, m’a confié que ces cas révèlent souvent des défaillances systémiques.
« Ce que nous observons généralement, ce n’est pas seulement l’inconduite individuelle, mais des angles morts institutionnels dans le dépistage, la supervision et les mécanismes de signalement », a expliqué Maynard. « Les programmes jeunesse ont besoin de mesures de protection solides précisément parce qu’ils créent des dynamiques de pouvoir où la confiance peut être exploitée. »
Les anciens cadets avec qui j’ai parlé ont décrit Leblanc comme « charismatique » et « respecté » au sein du programme. Un ancien cadet, qui a demandé l’anonymat en raison de la nature sensible de l’affaire, s’est souvenu: « Il était la personne que tout le monde admirait. Les parents lui faisaient entièrement confiance. C’est ce qui rend cette situation si dévastatrice. »
Les Organisations de cadets du Canada, qui supervisent les Cadets de l’Air, ont mis en place des procédures de vérification renforcées en 2018 à la suite de plusieurs cas très médiatisés à l’échelle nationale. Ces mesures comprennent des vérifications obligatoires du secteur vulnérable, une formation améliorée et des exigences de supervision plus strictes.
« Nous prenons très au sérieux toute allégation d’inconduite », a déclaré la lieutenant-colonelle Marie Desjardins du Groupe de soutien national aux Cadets et aux Rangers juniors canadiens. « Bien que nous ne puissions pas commenter des cas spécifiques devant les tribunaux, nous révisons et renforçons continuellement nos mesures de protection des jeunes. »
J’ai examiné les politiques actuelles de l’organisation, qui incluent un modèle de leadership « à deux niveaux » exigeant qu’au moins deux adultes vérifiés soient présents lors des activités avec les cadets. Cependant, d’anciens bénévoles du programme m’ont confié que l’application de ces politiques a historiquement varié d’un escadron à l’autre.
Les documents judiciaires indiquent que les incidents allégués se sont produits lors de camps de cadets et d’activités d’escadron où Leblanc aurait créé des situations pour se retrouver seul avec certains cadets. Les procureurs allèguent qu’il a utilisé sa position d’autorité pour manipuler les victimes et normaliser des contacts de plus en plus inappropriés.
L’avocat des enfants et des jeunes du Nouveau-Brunswick, Kelly Lamrock, a souligné la nécessité de cadres de protection plus solides. « Les organisations au service des jeunes doivent créer des environnements où les jeunes se sentent en sécurité pour signaler leurs préoccupations, où les adultes sont correctement vérifiés et où il y a une tolérance zéro pour les violations de limites », a déclaré Lamrock lorsque j’ai contacté son bureau.
Leblanc a été libéré avec des conditions strictes, notamment aucun contact avec les victimes présumées, l’interdiction de se trouver près des lieux où se rassemblent des mineurs et des restrictions sur l’utilisation des communications électroniques. Sa prochaine comparution devant le tribunal est prévue pour juin.
La GRC croit qu’il pourrait y avoir d’autres victimes et a encouragé toute personne ayant des informations à se manifester. « Ces enquêtes sont traitées avec la plus grande sensibilité », a assuré la caporale Arsenault. « Nous avons des enquêteurs spécialisés formés pour travailler avec les jeunes dans ces situations difficiles. »
Les parents dont les enfants ont participé à l’escadron pendant le mandat de Leblanc ont exprimé leur choc et leur sentiment de trahison. « Nous avons fait confiance à ces programmes pour aider à forger le caractère de nos enfants », a déclaré un parent qui a demandé l’anonymat pour protéger la vie privée de son enfant. « Maintenant, nous remettons tout en question. »
Pour la communauté touchée, les accusations ont suscité des conversations difficiles mais nécessaires sur la confiance, l’autorité et la protection. Les écoles locales et les organisations de jeunesse ont programmé des séances d’information pour aider les parents à discuter de ces problèmes avec leurs enfants.
Alors que l’affaire Leblanc suit son cours dans le processus judiciaire, les questions plus larges concernant la responsabilité institutionnelle et la sécurité des jeunes demeurent. Le défi consiste maintenant à s’assurer que les leçons apprises se traduisent par des protections significatives pour tous les jeunes Canadiens en situation de vulnérabilité.