Le gouvernement Ford a brusquement annulé un contrat de 100 millions de dollars avec Starlink, soulevant de nouvelles interrogations sur la transparence des initiatives de connectivité rurale en Ontario. Après des mois à vanter ce partenariat comme révolutionnaire pour les communautés mal desservies, Queen’s Park a discrètement mis fin à l’entente avec l’entreprise d’Elon Musk la semaine dernière, n’offrant comme explication que de vagues « changements des conditions du marché ».
Lors de mon passage dans l’Est ontarien le mois dernier, j’ai discuté avec des agriculteurs et propriétaires de petites entreprises concernant leurs difficultés d’accès à Internet. Plusieurs exprimaient un optimisme prudent quant à la promesse de Starlink. « On nous a déjà fait de grandes promesses, » confiait Margaret Wilson, propriétaire d’un gîte près de Bancroft. « Mais le satellite semblait différent – plus besoin d’attendre que quelqu’un installe la fibre jusqu’à notre chemin. »
Cet espoir s’est maintenant évaporé en frustration familière. Des documents obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information révèlent que la province avait engagé d’importantes ressources dans ce partenariat annoncé l’automne dernier, lorsque le premier ministre Ford l’avait qualifié de « révolutionnaire pour l’Ontario rural ».
Le contrat aurait déployé la technologie satellitaire en orbite terrestre basse de Starlink à environ 8 000 foyers situés dans des zones où l’infrastructure traditionnelle demeure prohibitivement coûteuse. L’annulation survient après que Rogers et Bell ont annoncé des initiatives rurales élargies, bien que les critiques soulignent que ces plans couvrent des territoires différents de ceux ciblés par l’accord Starlink.
La ministre de l’Infrastructure Kinga Surma a décliné plusieurs demandes d’entrevue, fournissant uniquement une déclaration écrite indiquant que « l’évolution des opportunités du marché » nécessitait un « pivot stratégique ». Ce langage reprend presque mot pour mot la formulation utilisée lorsque la province a abandonné une précédente initiative d’Internet à large bande en 2022.
Ce revirement soudain a suscité des critiques de la part des partis d’opposition. Catherine Fife, critique du NPD, a qualifié la situation d' »exemple supplémentaire d’annonces faites pour les manchettes avec peu de suivi concret ». Selon des estimations prudentes, plus de 300 000 foyers ontariens n’ont toujours pas accès à Internet haute vitesse fiable.
Ce qui est particulièrement troublant, c’est le refus du gouvernement de divulguer les coûts de résiliation. Des sources familières avec la structure du contrat, s’exprimant sous couvert d’anonymat, suggèrent que les pénalités d’annulation pourraient atteindre plusieurs millions – des fonds publics qui pourraient ne générer aucun bénéfice tangible pour les communautés toujours en attente de connectivité.
La situation Starlink s’inscrit dans un schéma préoccupant. Un examen des engagements provinciaux en matière d’Internet à large bande montre qu’au moins trois initiatives majeures annoncées depuis 2018 ont été considérablement modifiées ou abandonnées avant leur mise en œuvre. Chaque pivot entraîne ses propres coûts administratifs et retards de planification.
« La technologie n’est pas le problème – c’est l’engagement politique, » explique Dr. Helen Hambly, qui étudie la connectivité rurale à l’Université de Guelph. « Quand les programmes changent tous les dix-huit mois, les communautés ne peuvent pas planifier efficacement. Nous créons de l’incertitude numérique par-dessus les fractures numériques. »
Les dirigeants municipaux ruraux expriment une frustration particulière. « Nous avons besoin de cohérence, » affirme James Roberts, maire d’un canton près de la baie Georgienne. « Nos plans de développement économique dépendent de la connectivité. Quand les solutions promises disparaissent, nous perdons des investisseurs et des jeunes familles qui envisageaient de quitter les centres urbains. »
Les données de Statistique Canada montrent que l’impact économique est substantiel. Les régions disposant d’Internet à large bande fiable connaissent une formation de petites entreprises supérieure de 8 % et une rétention nettement meilleure des travailleurs qualifiés – facteurs critiques pour la durabilité rurale.
Le CRTC a établi des vitesses de téléchargement de 50 Mbps comme norme minimale pour les foyers canadiens, pourtant environ 16 % de l’Ontario rural reste en dessous de ce seuil selon la plus récente carte provinciale d’Internet à large bande.
Les représentants de Starlink ont refusé de commenter spécifiquement la situation ontarienne, mais ont noté que leur technologie continue de s’étendre à travers le Canada avec plus de 40 000 utilisateurs actifs à l’échelle nationale.
Bien que le gouvernement provincial maintienne son engagement pour une connectivité complète d’ici 2025, ce dernier revirement suscite des doutes légitimes. Les rapports financiers les plus récents du ministère de l’Infrastructure montrent que seulement 62 % des fonds alloués à l’Internet à large bande ont été dépensés au cours des trois derniers exercices financiers.
Des analystes du marché suggèrent que l’annulation pourrait refléter des priorités changeantes au sein du gouvernement plutôt que des changements réels du marché. « Le gouvernement Ford semble de plus en plus sensible aux critiques concernant ses relations avec des figures d’affaires controversées, » note l’analyste en télécommunications Maria Chen. « La personnalité publique de Musk est devenue plus polarisante depuis l’accord initial. »
Quelle que soit la motivation, les communautés rurales se demandent quand – ou si – la fracture numérique sera enfin comblée. Comme l’a exprimé Wilson lorsque je l’ai appelée pour lui annoncer l’annulation : « Nous attendons toujours l’avenir qu’on nous a promis il y a vingt ans. »
Pour une province qui promeut régulièrement l’innovation et la croissance économique, l’incapacité à fournir une infrastructure de connectivité de base représente une profonde contradiction. La question n’est pas de savoir si l’Ontario a besoin d’un meilleur Internet rural – mais si la volonté politique existe pour passer des annonces à la mise en œuvre concrète.