La montée alarmante de l’antisémitisme dans les salles de classe de l’Ontario aurait trouvé un coupable potentiel, selon une importante organisation éducative juive. Liberation75, un groupe dédié à l’éducation sur l’Holocauste, pointe du doigt les politiques identitaires comme force motrice derrière l’hostilité croissante envers les élèves juifs dans les écoles de la province.
Dans un rapport publié mardi, l’organisation a documenté des incidents troublants où des élèves juifs ont fait face à la discrimination, au harcèlement et à l’isolement. Plus préoccupant encore sont les témoignages d’enseignants et d’administrateurs qui n’ont pas correctement répondu à ces situations.
« Ce que nous observons n’est pas simplement de la taquinerie de cour d’école, » affirme Marilyn Sinclair, fondatrice de Liberation75. « Il existe une incompréhension systématique de l’antisémitisme qui laisse les élèves juifs vulnérables dans des espaces censés les protéger. »
Le rapport souligne comment les tensions politiques du conflit israélo-palestinien ont débordé dans les couloirs des écoles, créant des environnements hostiles pour les jeunes juifs. Liberation75 a interrogé plus de 2 400 élèves et enseignants juifs à travers le Canada, les réponses de l’Ontario révélant des tendances particulièrement inquiétantes.
Près de 60% des élèves juifs ont signalé avoir subi de l’antisémitisme à l’école, avec des incidents allant des blagues sur l’Holocauste à l’intimidation physique. Un élève a décrit s’être fait dire « Hitler aurait dû finir le travail » par des camarades de classe qui n’ont subi aucune conséquence.
L’organisation établit un lien entre ces incidents et ce qu’elle décrit comme un cadre « oppresseur-opprimé » de plus en plus courant dans l’éducation à la diversité. Cette approche, selon eux, caractérise à tort les Juifs comme universellement privilégiés et mine la reconnaissance de l’antisémitisme comme forme de discrimination.
« Quand les écoles enseignent une vision simplifiée de la justice sociale qui place les groupes dans des catégories rigides d »oppresseur’ ou d »opprimé’, les expériences juives deviennent invisibles, » explique Daniel Held, expert en éducation juive consulté pour le rapport. « Cela crée des angles morts où l’antisémitisme prospère. »
Le ministère de l’Éducation de l’Ontario a pris acte du rapport, le ministre Stephen Lecce affirmant son engagement à assurer la sécurité des élèves juifs. « La haine sous toutes ses formes n’a pas sa place dans nos écoles, » a déclaré Lecce dans une déclaration aux journalistes mardi. « Nous examinons attentivement ces conclusions. »
Il ne s’agit pas simplement d’une préoccupation politique abstraite. Pour des élèves comme Rachel Cohen (nom modifié pour protéger sa vie privée), une élève de 11e année dans la région du Grand Toronto, l’impact est immédiat et personnel. « Après le 7 octobre, certains camarades de classe ont commencé à me traiter différemment, » m’a-t-elle confié lors d’une conversation sur le rapport. « Quand j’ai exprimé mon inquiétude pour ma famille en Israël, un enseignant m’a suggéré que je devrais ‘considérer les deux côtés’ avant de m’exprimer. »
La Commission ontarienne des droits de la personne a déjà identifié l’antisémitisme comme une forme persistante de discrimination dans les milieux éducatifs. Leur document d’orientation de 2018 reconnaissait que les élèves juifs font face à des défis uniques qui ne sont pas toujours abordés dans les cadres plus larges de lutte contre le racisme.
Les recommandations de Liberation75 appellent à une approche globale: amélioration de la formation des enseignants sur la reconnaissance de l’antisémitisme, mises à jour des programmes pour aborder les expériences juives avec nuance, et protocoles plus clairs pour répondre aux incidents.
Les critiques soutiennent que le rapport simplifie à l’excès des discussions complexes sur la politique mondiale et l’identité. La Fédération des enseignantes et des enseignants des écoles secondaires de l’Ontario a noté que les éducateurs doivent naviguer dans des conversations difficiles sur les conflits internationaux tout en maintenant des salles de classe inclusives.
« Les enseignants font de leur mieux dans des circonstances difficiles, » a déclaré Karen Littlewood, présidente de la FEESO. « Beaucoup accueilleraient favorablement plus de ressources et de soutien pour aborder efficacement ces sujets sensibles. »
Ce qui ressort du rapport est le décalage entre les réponses institutionnelles et les expériences vécues. Bien que de nombreux conseils scolaires aient mis en place des politiques contre la haine, la mise en œuvre semble incohérente. Des élèves juifs rapportent qu’on leur a dit que l’antisémitisme ne relève pas des initiatives antiracistes ou qu’on leur a conseillé de garder leur identité juive privée pour éviter les problèmes.
Le Conseil scolaire du district de Toronto, le plus grand du Canada, a créé un plan d’action spécifique pour lutter contre l’antisémitisme suite à des préoccupations similaires soulevées par des parents et des organisations communautaires. Leur approche comprend une formation obligatoire du personnel et des ressources pédagogiques abordant spécifiquement les expériences juives.
« Les écoles doivent reconnaître que l’antisémitisme fonctionne différemment des autres formes de discrimination, » note Jaime Kirzner-Roberts du Centre pour Israël et les affaires juives. « Il dépeint souvent les Juifs comme puissants et contrôlants, ce qui le rend plus difficile à reconnaître lorsqu’on utilise des cadres antiracistes traditionnels. »
Au-delà des recommandations politiques, Liberation75 souligne l’importance d’une éducation sur l’Holocauste qui relie l’antisémitisme historique à ses manifestations contemporaines. Leurs données suggèrent que les écoles dotées de solides programmes d’éducation sur l’Holocauste signalent moins d’incidents antisémites.
La publication de ce rapport coïncide avec la montée de l’antisémitisme mondial suite à l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre et la guerre subséquente à Gaza. Les services de police canadiens ont signalé des augmentations significatives des crimes haineux antisémites au cours des six derniers mois.
Pour le système éducatif de l’Ontario, le défi consiste maintenant à répondre de façon significative à ces préoccupations tout en maintenant des espaces pour une discussion réfléchie sur des questions mondiales complexes. Comme l’a dit un enseignant juif cité dans le rapport: « Les élèves doivent apprendre à aborder des sujets difficiles sans recourir à la haine ou à la discrimination. »
La réponse de la province sera suivie de près par les organisations communautaires, les parents et les élèves eux-mêmes—tous à la recherche d’assurances que les écoles ontariennes peuvent être des environnements d’apprentissage sûrs pour tous, y compris les élèves juifs naviguant dans un monde de plus en plus compliqué.