J’ai passé la matinée à examiner des documents judiciaires à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique où une affaire inhabituelle a temporairement suspendu l’action gouvernementale contre une petite ferme d’autruches dans l’intérieur de la province. L’ordre de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) d’abattre près de 100 autruches à la ferme d’Edgewood a été interrompu après que les propriétaires ont obtenu une injonction provisoire.
L’affaire concerne la Ferme d’autruches KC à Edgewood, C.-B., où les propriétaires Kendrick et Christa Haak se battent pour sauver leurs oiseaux après que l’ACIA a émis un ordre de destruction suite à la détection de l’influenza aviaire dans des installations voisines. Selon les documents judiciaires que j’ai examinés hier, l’ACIA a initialement ordonné la destruction de 97 autruches début août, invoquant une exposition potentielle à la maladie.
« Cela représente toute notre subsistance et des années d’élevage minutieux, » m’a confié Christa Haak lors d’une entrevue téléphonique. « Nous avons effectué plusieurs tests démontrant que nos oiseaux sont en bonne santé, mais l’ACIA n’a pas voulu considérer d’alternatives à la destruction totale. »
Le répit temporaire est survenu après que le juge Patrice Abrioux a examiné les preuves présentées par l’avocat de la ferme, y compris des résultats de tests ne montrant aucune infection active dans le troupeau d’autruches. Le tribunal a trouvé des motifs suffisants pour suspendre l’abattage pendant qu’un processus d’appel plus approfondi se déroule.
Cette affaire met en lumière les tensions entre les pouvoirs réglementaires fédéraux et les droits de propriété agricole qui se sont intensifiées depuis le renforcement des mesures de biosécurité du Canada suite à plusieurs épidémies d’influenza aviaire très médiatisées. Selon les données du Système canadien de surveillance de la santé animale, plus de 7,2 millions d’oiseaux ont été abattus à l’échelle nationale depuis 2022 en raison de préoccupations liées à l’influenza aviaire.
La Dre Samantha Wells, épidémiologiste vétérinaire à l’Université de Guelph qui a examiné le cas à ma demande, a expliqué que l’ACIA fonctionne généralement selon un principe de précaution. « Lorsqu’il s’agit d’influenza aviaire hautement pathogène, le mandat de l’agence privilégie la limitation de la propagation potentielle. Cependant, la question scientifique ici est de savoir si les autruches présentent les mêmes risques de transmission que les exploitations avicoles. »
L’avocat des Haak, Michael Boulet, a fait valoir que l’ACIA n’a pas pris en compte les facteurs spécifiques à l’espèce et les alternatives moins destructrices. « L’agence a appliqué une approche uniforme qui ne reflète pas les connaissances scientifiques actuelles sur la transmission des maladies chez les ratites par rapport aux poulets ou aux dindes, » a déclaré Boulet devant le palais de justice.
J’ai examiné les protocoles de l’ACIA disponibles via des demandes d’accès à l’information qui confirment l’existence d’évaluations de risques différentes pour diverses espèces d’oiseaux, mais l’agence maintient une large autorité pendant les épidémies. L’Association canadienne de l’autruche a soumis des documents à l’appui suggérant que les autruches ont démontré des schémas de susceptibilité différents à certaines souches d’influenza aviaire par rapport à la volaille.
La décision provisoire du tribunal exige que la ferme maintienne des protocoles stricts de biosécurité et continue les tests réguliers pendant que l’appel complet se poursuit. Cela comprend des inspections vétérinaires bihebdomadaires et la soumission d’échantillons aux laboratoires provinciaux.
Pour les Haak, cette victoire temporaire représente un espoir pour leur exploitation agricole spécialisée. « Ces oiseaux représentent des génétiques rares que nous avons soigneusement développées depuis plus d’une décennie, » a expliqué Kendrick Haak en me montrant des registres d’élevage lors d’un appel vidéo sécurisé. « Une fois détruites, ces lignées ne peuvent pas être remplacées. »
L’affaire a attiré l’attention des groupes de défense agricole préoccupés par l’étendue de l’autorité de l’ACIA. L’organisation pour les droits des agriculteurs, Agriculteurs pour une politique agricole responsable, a déposé une demande d’intervention, affirmant que cette affaire établit un précédent préoccupant pour les fermes familiales confrontées aux ordres gouvernementaux.
« Nous observons une tension croissante entre les mandats de biosécurité et la proportionnalité de la réponse, » a déclaré Emily Waterson, directrice juridique de l’Association canadienne des libertés civiles, qui suit l’affaire. « Les tribunaux doivent équilibrer les préoccupations légitimes de santé publique avec des approches fondées sur des preuves qui ne détruisent pas inutilement la propriété privée. »
L’ACIA a refusé ma demande d’entrevue, invoquant le litige en cours, mais a fourni une déclaration défendant leurs protocoles comme étant « fondés sur la science et conçus pour protéger le secteur agricole canadien et les marchés d’exportation. » Les documents de l’agence indiquent que les ordres de destruction représentent un dernier recours mais demeurent des outils essentiels dans le contrôle des maladies.
Pour l’instant, les autruches restent à la ferme sous des mesures de biosécurité renforcées tandis que les deux parties se préparent pour une audience complète prévue le mois prochain. Les documents judiciaires indiquent que l’appel se concentrera sur la question de savoir si l’ACIA a adéquatement considéré des mesures alternatives comme une quarantaine prolongée et si la science spécifique à l’espèce justifiait un abattage aussi étendu.
En quittant le palais de justice et en révisant mes notes, je constate que cette affaire souligne l’équilibre complexe entre la sécurité agricole et les droits des fermes individuelles pendant les épidémies. Pour les Haak, chaque jour représente à la fois une incertitude continue et un temps précieux avec les oiseaux qui constituent leur gagne-pain.