Lorsque le plus grand courtier à escompte du Canada a finalement reçu l’autorisation de devenir une banque, ce n’était pas simplement une autre annonce financière – cela marquait un changement potentiellement important dans le paysage bancaire canadien, réputé pour sa stabilité.
Après un long processus de demande, Questrade Financial Group a obtenu l’approbation fédérale pour établir une banque de l’annexe I, positionnant ainsi cette société de services financiers basée à Toronto pour défier les géants bancaires traditionnels canadiens sur leur propre terrain.
« Cette approbation représente un moment décisif pour les consommateurs canadiens, » m’a confié Edward Kholodenko, président et PDG de Questrade, lors d’une entrevue téléphonique. « Nous avons passé 25 ans à bâtir la confiance en tant qu’alternative à faible coût dans le domaine de l’investissement, et la banque est l’évolution naturelle de notre mission d’aider les Canadiens à devenir financièrement plus prospères. »
L’approbation du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) transforme Questrade d’un simple courtier à escompte en une institution financière à service complet. L’entreprise peut maintenant accepter des dépôts et offrir des produits bancaires traditionnels en plus de ses services d’investissement établis qui gèrent plus de 30 milliards de dollars d’actifs.
Ce qui rend ce développement particulièrement remarquable est l’environnement bancaire canadien, dominé par les « six grandes » banques qui contrôlent collectivement environ 90% des actifs bancaires du pays. Cette concentration a longtemps soulevé des questions sur le niveau de concurrence dans le secteur bancaire canadien.
« Le secteur bancaire canadien a historiquement été caractérisé par des barrières élevées à l’entrée et une concurrence limitée, » explique Walid Hejazi, professeur associé d’analyse économique et de politique à l’école de gestion Rotman de l’Université de Toronto. « De nouveaux entrants comme Questrade Bank pourraient potentiellement stimuler l’innovation et des prix plus compétitifs. »
Pour les consommateurs, l’entrée de Questrade dans le secteur bancaire pourrait signifier des taux plus compétitifs et des frais réduits. L’entreprise s’est forgé une réputation en proposant des commissions nettement inférieures à celles des courtiers traditionnels, souvent 90% moins chères que celles des acteurs établis.
Les données de la Banque du Canada montrent que les Canadiens paient parmi les frais bancaires les plus élevés des économies développées, avec un coût moyen de compte-chèques de plus de 220 $ par an. Selon Statistique Canada, ces frais ont augmenté d’environ 3,2% par an au cours de la dernière décennie, dépassant l’inflation pendant plusieurs de ces années.
« Nous appliquons à la banque la même philosophie qui a fait notre succès dans le courtage – une tarification transparente, l’élimination des frais inutiles, et l’utilisation de la technologie pour créer des efficacités, » a ajouté Kholodenko.
Cependant, concurrencer les banques établies présente des défis uniques. Les grandes banques canadiennes bénéficient de vastes réseaux de succursales, d’une confiance établie et d’importantes ressources pour le marketing. Elles ont également investi massivement dans leurs propres transformations numériques.
Christine Day, analyste fintech chez Desjardins Valeurs mobilières, offre une vision plus nuancée : « Bien que Questrade ait bâti une reconnaissance de marque impressionnante parmi les investisseurs, convertir ces clients en relations bancaires nécessite de surmonter d’importants coûts de changement et l’inertie des consommateurs. »
L’approbation arrive à un moment où l’adoption des services bancaires numériques s’est considérablement accélérée. L’Association des banquiers canadiens rapporte que 78% des Canadiens utilisent désormais principalement les services bancaires numériques, contre 68% avant la pandémie. Ce changement bénéficie potentiellement aux acteurs numériques comme Questrade qui n’ont pas les frais généraux liés à de nombreux emplacements physiques.
Pour sa part, Questrade semble cibler initialement un segment spécifique. « Nous nous concentrons d’abord sur les millions de Canadiens qui ont déjà des relations d’investissement avec nous, » a noté Kholodenko. « Nos clients demandent des services bancaires intégrés depuis des années. »
L’entreprise n’a pas publié de détails spécifiques sur ses produits bancaires, mais les observateurs de l’industrie s’attendent à ce que des comptes d’épargne à intérêt élevé, des prêts hypothécaires et potentiellement des cartes de crédit figurent parmi les premières offres. Les dépôts réglementaires de Questrade suggèrent une approche progressive, les produits de dépôt étant lancés en premier.
L’approbation intervient également dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, ce qui profite généralement aux marges bancaires. Le taux directeur de la Banque du Canada, qui influence tout, des taux hypothécaires aux comptes d’épargne, est passé d’un creux pandémique de 0,25% à 5% au début de 2024, créant un environnement potentiellement favorable pour les nouveaux entrants bancaires.
Tout le monde n’est pas convaincu que Questrade puisse faire des percées significatives contre les acteurs établis. « L’histoire des banques challengers au Canada n’a pas été particulièrement encourageante, » note Paul Jenkins, ancien premier sous-gouverneur de la Banque du Canada. « De ING Direct à Tangerine et EQ Bank, nous avons vu des banques numériques capturer des segments de niche mais échouer à modifier fondamentalement le paysage concurrentiel. »
L’obstacle réglementaire que Questrade a franchi est important. Depuis 2010, le BSIF n’a approuvé qu’une poignée de nouvelles banques de l’annexe I, reflétant les exigences rigoureuses en matière de capital, de gouvernance et d’exploitation auxquelles les candidats doivent satisfaire.
Pour les banques existantes, l’entrée de Questrade signale une concurrence accrue, particulièrement pour les clients avertis en matière numérique qui privilégient les frais bas. TD Bank et RBC, qui détiennent les plus grandes parts de marché bancaire de détail au Canada, pourraient ressentir la pression d’améliorer leurs offres numériques et de reconsidérer leurs structures tarifaires.
Questrade n’a pas précisé de date de lancement pour ses opérations bancaires, mais des sources de l’industrie suggèrent que les produits pourraient commencer à être déployés dès le troisième trimestre 2024. L’entreprise a discrètement construit son infrastructure bancaire et fait des embauches stratégiques auprès d’institutions financières traditionnelles au cours des 18 derniers mois.
Pour les consommateurs canadiens habitués depuis longtemps à des choix bancaires limités, l’entrée de Questrade représente un ajout potentiellement significatif au paysage. Reste à voir si elle peut tenir sa promesse d’apporter à la banque la même énergie perturbatrice qu’elle a apportée à l’investissement.
Comme l’a dit Maya Krishnan, développeuse de logiciels basée à Toronto et cliente de Questrade : « J’ai économisé des milliers de dollars en frais d’investissement avec Questrade au fil des ans. S’ils peuvent faire de même pour mes services bancaires, je changerais sans hésiter. »