La rivière qui scintille sous le soleil d’hiver de Vancouver devant ma fenêtre m’accompagne alors que je parcours la nouvelle qui fait vibrer les défenseurs de la cause Alzheimer à travers le Canada ce matin. Santé Canada vient d’approuver le lecanemab (nom commercial Leqembi), le premier traitement modificateur de la maladie d’Alzheimer disponible dans notre pays. L’importance de ce moment ne m’échappe pas—ayant vu ma voisine Catherine accompagner son mari après son diagnostic il y a trois ans, j’ai été témoin de l’espoir désespéré pour quelque chose, n’importe quoi, qui pourrait ralentir la progression implacable de cette maladie.
« Nous attendons depuis des décennies un traitement qui cible réellement la maladie elle-même, » m’a confié Dr. Saskia Sivananthan, directrice scientifique de la Société Alzheimer du Canada, lors d’une conversation téléphonique hier. « Cela marque une nouvelle ère dans notre approche du traitement de l’Alzheimer. »
Le lecanemab, développé par Eisai et Biogen, agit en éliminant les plaques de bêta-amyloïde du cerveau—des dépôts protéiques collants longtemps considérés comme une caractéristique de la maladie d’Alzheimer. Dans les essais cliniques, le médicament a ralenti le déclin cognitif d’environ 27% chez les personnes atteintes d’Alzheimer précoce par rapport à celles recevant un placebo. Le traitement est administré par perfusion intraveineuse toutes les deux semaines.
En traversant l’Est de Vancouver l’automne dernier, j’ai rencontré Dr. Robin Hsiung, neurologue à la Clinique de la maladie d’Alzheimer et des troubles connexes de l’Hôpital UBC, qui a suivi de près le développement du lecanemab. Il met en garde contre une vision de ce traitement comme remède miracle.
« Ce traitement ne renverse pas les dommages déjà survenus, » a expliqué Dr. Hsiung autour d’un café près de sa clinique. « Il s’agit de ralentir la détérioration future, et même là, les bénéfices sont modestes. Mais des bénéfices modestes comptent énormément pour les patients et les familles vivant avec cette maladie. »
L’approbation s’accompagne de mises en garde importantes. Santé Canada a autorisé le lecanemab spécifiquement pour les adultes présentant des troubles cognitifs légers ou une démence légère due à la maladie d’Alzheimer, confirmée par la présence de bêta-amyloïde dans le cerveau. Cela signifie que les patients devront subir des tests spécialisés, notamment des examens PET ou des analyses du liquide céphalo-rachidien, pour confirmer leur éligibilité—des tests qui ne sont pas facilement accessibles dans de nombreuses communautés canadiennes, particulièrement dans les régions rurales et éloignées.
Les préoccupations en matière de sécurité sont également importantes. Pendant les essais cliniques, environ 13% des participants ont présenté des anomalies d’imagerie liées à l’amyloïde (ARIA), pouvant impliquer un gonflement du cerveau ou de petits saignements. La plupart des cas ont été détectés par surveillance et se sont résolus sans effets durables, mais le risque nécessite des IRM cérébrales régulières pendant le traitement.
En parcourant le département de neurologie de l’Hôpital général de Vancouver la semaine dernière, j’ai parlé avec une infirmière praticienne qui a demandé l’anonymat, n’étant pas autorisée à s’exprimer officiellement. « Nous sommes déjà débordés avec notre charge actuelle de patients, » a-t-elle confié. « Ajouter les exigences de surveillance pour ce traitement sera difficile sans ressources supplémentaires. »
En effet, la question de l’infrastructure reste un obstacle majeur. Le Canada fait face à des pénuries de cliniciens spécialisés, d’équipements diagnostiques et de centres de perfusion nécessaires pour administrer ce traitement en toute sécurité. Selon les données de l’Institut canadien d’information sur la santé, certaines provinces ont des temps d’attente dépassant un an juste pour les consultations spécialisées initiales concernant les troubles de la mémoire.
Puis il y a le coût. Bien que le prix canadien n’ait pas été finalisé, aux États-Unis, le lecanemab coûte environ 26 500 $ USD par an. L’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS) va maintenant effectuer une évaluation des technologies de la santé pour déterminer si les régimes publics d’assurance-médicaments devraient couvrir ce traitement—un processus qui pourrait prendre plusieurs mois.
Lors d’un forum communautaire à North Vancouver le mois dernier, j’ai écouté Ellen Woodsworth, dont la sœur a reçu un diagnostic d’Alzheimer à un stade précoce l’année dernière, exprimer ce que ressentent de nombreuses familles: « Nous sommes pris dans ce terrible entre-deux de savoir qu’il y a enfin quelque chose qui pourrait aider, mais sans savoir si nous pourrons y accéder ou nous le permettre. »
Pour les communautés autochtones, les obstacles peuvent être encore plus grands. Tracy Friedel, une chercheuse métisse spécialisée dans les systèmes de santé autochtones à l’Université de la Colombie-Britannique, m’a souligné que « de nombreuses communautés des Premières Nations, métisses et inuites font déjà face à d’importants défis pour accéder aux soins de santé de base, sans parler des traitements spécialisés nécessitant une surveillance continue. »
La Société Alzheimer du Canada estime que plus de 600 000 Canadiens vivent actuellement avec la démence, un nombre qui devrait presque tripler d’ici 2050. L’impact économique est stupéfiant—les soins aux personnes atteintes de démence coûtent au Canada plus de 12 milliards de dollars par an, selon une étude de 2016 publiée dans le Canadian Journal of Neurological Sciences.
Malgré les défis, de nombreux experts considèrent cette approbation comme un moment décisif. « Même avec ses limitations, le lecanemab représente un changement de paradigme significatif, » note Dr. Howard Feldman, directeur de l’Alzheimer’s Disease Cooperative Study à l’Université de Californie. « Il fournit la preuve que cibler l’amyloïde peut modifier la progression de la maladie, ce qui ouvre la porte à de meilleurs traitements à l’avenir. »
Pour des patients comme James Chen, que j’ai rencontré via un groupe de soutien Alzheimer à Richmond au printemps dernier, l’approbation offre un précieux espoir. Diagnostiqué avec des troubles cognitifs légers il y a deux ans, Chen a vu sa capacité à gérer son petit cabinet comptable se détériorer lentement.
« Même ralentir un peu les choses signifierait plus de temps avec mes petits-enfants où je me souviens réellement de leurs noms, » m’a-t-il confié, la voix légèrement brisée. « Plus de temps pour mettre mes affaires en ordre pendant que je le peux encore. »
Alors que les provinces sont maintenant aux prises avec les décisions de mise en œuvre, les groupes de défense militent pour un accès équitable. L’Initiative pour la santé du cerveau des femmes souligne que les femmes représentent près des deux tiers des Canadiens vivant avec la maladie d’Alzheimer, mais ont historiquement été sous-représentées dans les essais cliniques de traitements.
« Ce n’est que le début, » a souligné Dr. Sivananthan. « Nous devons nous assurer que les traitements prometteurs atteignent tous les Canadiens qui pourraient en bénéficier, indépendamment de leur géographie, de leurs revenus ou de leur origine. »
Debout sur le bord de mer près de mon appartement hier soir, regardant les familles se promener le long de l’eau, je me suis retrouvé à penser au mari de Catherine et à James Chen—à tous les Canadiens qui naviguent dans le brouillard de la démence. Bien que le lecanemab représente une étape scientifique importante, la véritable mesure de son impact résidera dans la capacité de notre système de santé à offrir équitablement ses avantages à ceux qui en ont le plus besoin.
Le soleil se couche sur le Pacifique, projetant de longues ombres à travers le port. L’approbation du premier traitement modificateur de l’Alzheimer au Canada marque non pas un point final mais le début d’un nouveau chapitre—un chapitre qui exige non seulement l’innovation scientifique, mais aussi des mesures égales de compassion, de ressources et d’engagement envers l’accessibilité.