En fin d’après-midi du 7 mai, des voitures de police ont convergé devant un modeste café de la Petite Italie de Montréal. Ce qui a suivi n’était pas simplement une descente ordinaire, mais l’aboutissement d’une enquête de plusieurs mois sur ce que les autorités décrivent comme une campagne d’extorsion coordonnée ciblant les restaurants locaux.
La police de Montréal a arrêté 13 individus présumément liés à un réseau criminel qui exigeait de « l’argent de protection » auprès des propriétaires de restaurants dans plusieurs quartiers. Selon la commandante Caroline Cournoyer, qui dirige la division du crime organisé, les suspects ciblaient principalement des établissements tenus par des immigrants.
« Ces commerçants sont venus au Canada pour construire une vie meilleure, » m’a confié Cournoyer lors d’un entretien téléphonique. « Au lieu de cela, ils se sont retrouvés face à des menaces qui les ont suivis depuis les endroits mêmes qu’ils avaient quittés. »
L’enquête, nom de code Opération Bouclier, a débuté après que plusieurs restaurateurs aient approché la police en janvier avec des récits similaires : des hommes en vêtements sombres entrant dans leurs établissements aux heures d’affluence, demandant des rencontres privées, puis exigeant des paiements mensuels de 500 $ à 1 500 $.
Les documents judiciaires que j’ai consultés révèlent des schémas troublants. Dans un cas, au sein d’un restaurant syrien à Villeray, le propriétaire a signalé que des suspects avaient brisé trois fenêtres après son refus de payer. Un autre restaurateur à Saint-Léonard a vu son véhicule de livraison vandalisé à l’acide lorsqu’il a tenté de négocier des « frais » moins élevés.
La juge Martine St-Louis de la Cour supérieure du Québec, qui a signé les mandats de perquisition, a noté la nature sophistiquée de l’opération. « Les preuves suggèrent une coordination qui va au-delà d’un crime opportuniste, » a-t-elle écrit dans son autorisation.
Ces arrestations surviennent dans un contexte d’inquiétude croissante concernant l’infiltration du crime organisé dans les entreprises légitimes. Le professeur Antonio Nicaso de l’Université Queen’s, qui étudie les entreprises criminelles depuis trois décennies, y voit des schémas familiers.
« L’extorsion économique suit des cycles prévisibles, » a expliqué Nicaso. « Les groupes criminels identifient des commerces vulnérables – souvent tenus par des immigrants, des opérations à forte intensité de liquidités avec une réticence culturelle à impliquer les autorités. La pandémie a créé des vulnérabilités supplémentaires pour des restaurants déjà en difficulté financière. »
J’ai passé du temps à parcourir le quartier de la Petite-Patrie, où plusieurs restaurants ciblés sont établis. De nombreux propriétaires restaient hésitants à parler officiellement. Un restaurateur, qui a demandé à être identifié uniquement comme Farid, a décrit recevoir des visites chaque premier lundi du mois.
« Ils commandaient un café, s’asseyaient tranquillement jusqu’à la fermeture, puis expliquaient leur ‘police d’assurance.’ Ils disaient pouvoir garantir l’absence de problèmes – incendies, vitres brisées, mauvaises critiques en ligne, » a rappelé Farid. « La menace était claire sans être explicite. »
La police a saisi environ 120 000 $ en espèces, trois armes de poing et des registres détaillés lors de perquisitions dans cinq résidences. Les registres contenaient ce qui semble être un suivi systématique des paiements provenant de plus de 30 restaurants.
L’Association des restaurateurs de Montréal estime que l’extorsion touche jusqu’à 15 % des restaurants indépendants de la ville, bien que la plupart des cas ne soient pas signalés. La directrice de l’association, Marie-Claude Lortie, a salué l’action policière tout en reconnaissant que le problème va au-delà de ces arrestations.
« Les marges des restaurants étaient déjà très minces avant la pandémie, » a déclaré Lortie. « Quand quelqu’un exige 1 000 $ par mois, cela peut représenter la différence entre rester ouvert ou fermer définitivement. »
Le conseil municipal de Montréal a récemment approuvé un financement supplémentaire pour une unité spécialisée dans les crimes économiques axée sur la protection des petites entreprises. Le conseiller Abdelhaq Sari, qui a défendu cette initiative, croit que la sensibilité culturelle est cruciale pour lutter contre l’extorsion dans les communautés immigrantes.
« Beaucoup de commerçants viennent de pays où la police n’est pas digne de confiance, » a expliqué Sari. « Nous établissons des agents de liaison issus de milieux divers qui comprennent les nuances culturelles et peuvent établir des relations avec les communautés vulnérables. »
Les suspects font face à des accusations comprenant l’extorsion, le complot criminel et des infractions liées aux armes. S’ils sont reconnus coupables, ils pourraient être condamnés à jusqu’à 14 ans d’emprisonnement en vertu de l’article 346 du Code criminel du Canada.
Pour des restaurateurs comme Maya Chami, qui exploite un établissement libanais à Saint-Michel, les arrestations apportent un soulagement prudent. « Nous sommes venus au Canada pour échapper à ce genre de peur, » m’a-t-elle confié tout en préparant des pains plats dans sa cuisine. « J’espère que cela signifie que nous pourrons nous concentrer à nouveau sur notre cuisine, sans avoir à regarder par-dessus notre épaule. »
Les experts juridiques préviennent que les réseaux d’extorsion s’adaptent souvent plutôt que de disparaître après des actions policières. Alain Roy, un ancien procureur qui enseigne maintenant à la faculté de droit de l’Université de Montréal, note que des poursuites réussies nécessitent une coopération soutenue des témoins.
« Le défi n’est pas de procéder à des arrestations mais d’obtenir des témoignages jusqu’au procès, » a déclaré Roy. « Les témoins font souvent l’objet d’intimidation continue, et les affaires s’effondrent sans leur participation continue. »
La police a mis en place une ligne téléphonique confidentielle pour les autres propriétaires d’entreprises qui auraient pu subir des tentatives d’extorsion similaires. La commandante Cournoyer a souligné que le statut d’immigration ne sera pas remis en question pour ceux qui se manifestent.
Alors que le soir tombait sur la scène diversifiée des restaurants de Montréal, ces arrestations représentaient une étape importante vers la protection des petits commerçants. Pourtant, pour beaucoup, la peur demeure juste sous la surface – un coût des affaires qui ne peut être inscrit dans aucun registre.