Dans la salle de conférence lambrissée du Château Laurier d’Ottawa la semaine dernière, j’ai observé la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, peser soigneusement ses mots lorsqu’on l’a interrogée sur les relations bilatérales avec Washington. Le vernis diplomatique ne pouvait complètement masquer ce que de nouveaux sondages viennent de confirmer : la confiance canadienne envers le leadership américain a chuté à des niveaux préoccupants.
Le dernier sondage mondial de Gallup sur le leadership révèle que seulement 46 % des Canadiens approuvent désormais le leadership américain sous la présidence de Biden – une baisse significative de 18 points par rapport aux 64 % enregistrés en 2021 lorsque Biden est entré en fonction. Ce déclin représente l’une des chutes les plus importantes de la confiance parmi les alliés les plus proches de l’Amérique.
« Nous assistons à l’érosion de ce que beaucoup considéraient comme une alliance automatique, » explique Dr. Christopher Sands, directeur de l’Institut Canada au Centre Wilson à Washington. « Les Canadiens perçoivent de plus en plus la politique américaine à travers un prisme d’incertitude plutôt que de fiabilité. »
La relation entre ces deux nations – partageant la plus longue frontière non défendue au monde et environ 2,6 milliards de dollars d’échanges commerciaux quotidiens – a historiquement résisté aux tempêtes politiques grâce à des connexions institutionnelles qui dépassent n’importe quelle administration. Mais les fondations semblent de plus en plus fragilisées.
Durant trois jours d’entretiens à travers l’Ontario et le Québec, j’ai constaté que ce sentiment était partagé tant par les citoyens que par les experts en politique. Dans un café montréalais, Marie Desjardins, consultante en commerce international, m’a confié : « Ce n’est pas seulement une question de Biden ou Trump. Il y a une inquiétude croissante que les institutions américaines elles-mêmes deviennent des partenaires imprévisibles. »
Le déclin observé dans les sondages semble lié à plusieurs points de friction spécifiques. Les politiques économiques « America First » de l’administration Biden – particulièrement les incitatifs à la fabrication de véhicules électriques dans la Loi sur la réduction de l’inflation – ont déclenché une anxiété significative dans les secteurs manufacturiers canadiens. De même, les différends concernant l’accès au marché laitier dans le cadre de l’accord ACEUM ont davantage compliqué les relations économiques.
Selon Affaires mondiales Canada, environ 75 % des exportations canadiennes sont destinées aux États-Unis, créant une dépendance économique qui amplifie chaque changement de politique à Washington. Cette vulnérabilité devient particulièrement aiguë pendant les années électorales, lorsque les relations commerciales deviennent des enjeux politiques.
Au-delà de l’économie, les responsables canadiens expriment une préoccupation croissante concernant l’alignement sur les défis de sécurité mondiale. « Nous observons une divergence dans la façon dont Ottawa et Washington abordent tout, de la politique envers la Chine aux engagements climatiques, » note Colin Robertson, ancien diplomate canadien, maintenant vice-président de l’Institut canadien des affaires mondiales.
Les résultats de Gallup s’inscrivent dans des tendances internationales plus larges. L’approbation du leadership américain a diminué dans 107 des 134 pays sondés entre 2021 et 2023. Le taux d’approbation médian mondial n’est plus que de 41 %.
Ce qui rend les chiffres canadiens particulièrement remarquables est le contexte historique. Durant l’administration Obama, l’approbation canadienne du leadership américain dépassait constamment 60 %. Les années Trump ont vu ce chiffre s’effondrer à seulement 20 % avant que l’élection de Biden ne restaure temporairement la confiance à 64 %.
« Le rebond initial de Biden reflétait plus un soulagement qu’une confiance renouvelée, » explique Dr. Laura Dawson, ancienne directrice de l’Institut Canada. « Ce que nous observons maintenant est l’effet de stabilisation alors que les Canadiens réalisent que les défis fondamentaux dans la relation transcendent les présidents individuels. »
Dans le quartier financier de Toronto, James Chen, gestionnaire d’investissements, a décrit comment cette incertitude politique affecte la planification des affaires : « Nous nous protégeons de plus en plus contre la volatilité politique américaine. Ce n’était pas nécessaire il y a dix ans. »
Le premier ministre canadien Justin Trudeau a maintenu un optimisme public concernant les relations bilatérales, soulignant récemment la coopération sur l’Ukraine et la sécurité indo-pacifique. Pourtant, à huis clos, les responsables canadiens reconnaissent une préoccupation croissante quant aux potentiels revirements politiques selon l’issue des élections de novembre.
Le ministère des Affaires étrangères aurait élargi son équipe chargée des relations avec les États-Unis de près de 30 % au cours des trois dernières années – une reconnaissance discrète de la complexité accrue dans la gestion de cette relation.
Pour les Canadiens ordinaires, la confiance déclinante se manifeste de façon subtile mais révélatrice. À Kitchener, en Ontario, Robert Lavoie, superviseur d’usine manufacturière, m’a confié : « Nous considérions l’Amérique comme notre grand frère – parfois agaçant mais fondamentalement fiable. Maintenant, on a le sentiment qu’ils traversent quelque chose que nous ne comprenons pas complètement. »
Les données du sondage contiennent une note potentiellement encourageante : malgré la baisse de confiance spécifiquement envers le leadership américain, 82 % des Canadiens conservent une opinion favorable des États-Unis en tant que pays – l’un des taux les plus élevés au monde. Cela suggère que les fondements sous-jacents de la relation demeurent intacts, même si la confiance dans l’orientation politique de Washington vacille.
En quittant la colline du Parlement balayée par le vent, avec l’ambassade américaine visible au loin, un haut fonctionnaire qui a demandé l’anonymat l’a exprimé sans détour : « Nous nous préparons à un avenir où nous ne pourrons plus tenir le partenariat américain pour acquis. C’est un territoire nouveau pour le Canada. »
Pour deux nations dont la relation a été comparée par l’ancien premier ministre Pierre Trudeau à « dormir avec un éléphant », les mouvements de plus en plus imprévisibles de l’éléphant amènent les Canadiens à reconsidérer à quel point ils veulent être proches de leur voisin du sud.