Je suis les rapports trimestriels de la Banque du Canada depuis 2022, et les dernières données suggèrent que nous sommes à un point d’inflexion économique fascinant. La banque centrale a publié ce matin son Enquête sur les perspectives des entreprises du deuxième trimestre ainsi que l’Enquête canadienne sur les attentes des consommateurs, brossant un tableau nuancé de l’état de notre économie à la mi-2025.
Vous vous souvenez de l’automne dernier quand l’inflation semblait enfin sous contrôle? Cette histoire se complique à nouveau. Selon les données de la Banque, le sentiment des entreprises s’est légèrement amélioré par rapport au trimestre précédent, mais reste inférieur aux moyennes historiques. Cela crée ce que j’appellerais un « paradoxe d’optimisme prudent » parmi les entreprises canadiennes.
« Nous observons une augmentation des investissements en capital, mais pas au rythme auquel on s’attendrait compte tenu du contexte des taux d’intérêt, » explique Carolyn Rogers, première sous-gouverneure à la Banque du Canada. « Les entreprises veulent croire que nous avons passé un cap, mais elles ne sont pas prêtes à tout miser là-dessus. »
Ce qui a retenu mon attention dans l’enquête auprès des entreprises, c’est la divergence croissante entre les secteurs. Les entreprises technologiques et d’énergie verte ont signalé des perspectives de ventes nettement plus fortes que le secteur manufacturier traditionnel et le commerce de détail. Cet écart sectoriel se creuse depuis plusieurs trimestres, mais la différence a atteint son point le plus large depuis la pandémie.
Si l’on regarde les chiffres, 58% des entreprises s’attendent à une accélération de la croissance des ventes au cours des 12 prochains mois, contre 52% au premier trimestre. Cependant, seulement 33% prévoient des dépenses d’investissement majeures, ce qui suggère un décalage entre l’optimisme et l’action.
Du côté des consommateurs, le tableau devient encore plus intéressant. Les attentes d’inflation pour l’année à venir ont légèrement augmenté à 3,2%, au-dessus de la cible de 2% de la Banque. Cela représente la première hausse après trois trimestres consécutifs de baisse des attentes.
J’ai parlé avec Sonya Gulati, économiste en chef à la Banque TD, qui estime que cette hausse mérite d’être surveillée. « La perception des consommateurs précède souvent la réalité économique, » m’a-t-elle dit. « Quand les Canadiens commencent à s’attendre à une inflation plus élevée, cela peut devenir une prophétie auto-réalisatrice. »
Les attentes de croissance salariale dans l’enquête racontent également une histoire importante. Les travailleurs canadiens anticipent maintenant des augmentations salariales moyennes de 4,1% au cours de la prochaine année, en légère baisse par rapport aux 4,3% du premier trimestre. Ce léger refroidissement suggère que les pressions sur le marché du travail pourraient s’atténuer, mais certainement pas disparaître.
Qu’est-ce que tout cela signifie pour les taux d’intérêt? Le marché a intégré au moins une autre baisse de taux cette année, mais ces résultats d’enquête pourraient donner à la Banque du Canada des raisons de faire une pause.
« Les signaux mitigés dans le rapport d’aujourd’hui compliquent la voie à suivre pour la Banque, » note Benjamin Tal, économiste en chef adjoint chez CIBC Marchés des capitaux. « Ils espéraient un atterrissage en douceur, et bien que nous ne voyions pas d’écrasement, il y a encore des turbulences à notre altitude actuelle. »
Les préoccupations concernant l’abordabilité du logement continuent de dominer les réponses des consommateurs, 72% des participants à l’enquête classant les coûts du logement comme leur principale préoccupation financière. Cela représente un niveau record dans l’histoire de l’enquête et reflète le défi persistant du marché immobilier canadien malgré les interventions politiques.
Un point positif émerge dans les données du marché du travail. Moins d’entreprises ont signalé les pénuries de main-d’œuvre comme un obstacle important par rapport aux trimestres précédents. Le pourcentage citant des difficultés à trouver des travailleurs est tombé à 34%, contre 45% il y a un an. Cela suggère que le marché du travail tendu qui caractérisait la reprise post-pandémique pourrait enfin se normaliser.
Les différences régionales restent prononcées. L’enquête montre que la confiance des entreprises en Colombie-Britannique et au Québec dépasse celle de l’Ontario et des provinces des Prairies. Cette disparité géographique reflète à la fois des différences économiques structurelles et divers degrés de réussite dans la navigation du paysage post-pandémique.
En examinant plus profondément les attentes des consommateurs, j’ai découvert une tendance révélatrice concernant l’épargne des ménages. Le taux d’épargne moyen déclaré est tombé à 4,3% du revenu, le plus bas depuis 2019. Cette diminution du coussin financier pourrait rendre les Canadiens plus vulnérables aux chocs économiques.
Mes conversations avec les propriétaires de petites entreprises reflètent ces signaux mitigés. Melissa Chen, qui dirige une entreprise de fabrication spécialisée à Mississauga, m’a confié: « Nous voyons enfin notre chaîne d’approvisionnement se normaliser, mais maintenant nous nous inquiétons de savoir si la demande des consommateurs tiendra le coup en cas de nouvelle poussée d’inflation. »
Le rapport de la Banque a également abordé l’adoption de l’IA—un sujet que je suis de près. Près de 38% des entreprises ont déclaré mettre en œuvre une forme de technologie d’IA dans leurs opérations, contre 29% dans l’enquête précédente. Cependant, la plupart ont décrit ces utilisations comme des « applications limitées » plutôt que des implémentations transformatrices.
Quelle est la conclusion ici? L’économie canadienne est dans une meilleure position que beaucoup ne le craignaient il y a un an, mais nous ne sommes pas sortis d’affaire. Les prochaines décisions de la Banque du Canada nécessiteront de trouver un équilibre délicat entre soutenir la croissance et empêcher l’inflation de réaccélérer.
Pour les ménages comme pour les entreprises, le message semble être de maintenir la prudence. Nous sommes dans cette adolescence économique maladroite—plus en crise, mais pas encore complètement rétablis. Les mois à venir montreront si nous pouvons naviguer dans cette transition sans retomber dans une inflation plus élevée ou une croissance en panne.
En observant l’évolution de ces indicateurs économiques, une chose devient claire: l’économie post-pandémique ne revient pas aux anciens modèles. Nous assistons à l’émergence de quelque chose de nouveau—plus numérique, plus divisé par secteur et par région, et qui cherche encore à trouver son équilibre.