Traverser les frontières provinciales au Canada ne nécessite pas de passeport, mais l’expédition de marchandises à travers ces mêmes limites ressemble souvent à une expédition internationale.
L’Accord de libre-échange canadien (ALEC) a célébré son septième anniversaire en avril dernier, pourtant les entreprises d’un bout à l’autre du pays continuent de naviguer dans un réseau complexe de différences réglementaires qui coûtent des milliards à notre économie chaque année. Malgré les promesses d’un marché intérieur unifié, de nombreux entrepreneurs canadiens se retrouvent encore empêtrés dans la bureaucratie lorsqu’ils tentent de se développer à l’échelle nationale.
Trevor Tombe, professeur d’économie à l’Université de Calgary qui a largement étudié cette question, estime que l’élimination de ces barrières pourrait augmenter le PIB du Canada de 3,8% à 7,9%. « C’est comme ajouter une province de la taille du Manitoba à notre économie, » a expliqué Tombe lors d’un récent forum politique à l’Institut C.D. Howe.
Prenons l’expérience de Sarah McConnell, propriétaire d’une microbrasserie albertaine, qui souhaitait vendre sa IPA primée dans la Colombie-Britannique voisine. « J’ai pratiquement dû créer une structure commerciale parallèle juste pour naviguer entre les différentes réglementations sur les alcools, » m’a-t-elle confié. « Les formalités administratives ont pris des mois, et les coûts supplémentaires ont failli rendre l’ensemble du projet non rentable. »
Ces barrières prennent de nombreuses formes. Les exigences de certification professionnelle diffèrent d’une province à l’autre, créant des maux de tête pour tous, des coiffeurs aux ingénieurs. Les produits agricoles font face à diverses normes d’inspection. Les matériaux de construction approuvés dans une province peuvent nécessiter des tests supplémentaires dans une autre. Même les réglementations sur la taille et le poids des camions changent aux frontières provinciales, obligeant les transporteurs à reconfigurer les charges ou à utiliser différents véhicules.
Mais pourquoi ces barrières persistent-elles à l’ère des accords internationaux de libre-échange?
Les politologues évoquent une combinaison de précédents historiques, de protectionnisme régional et de division constitutionnelle des pouvoirs. La fédération canadienne a été conçue avec une importante autonomie provinciale et, au fil du temps, chaque province a développé ses propres cadres réglementaires. Démanteler ces structures signifie persuader les gouvernements provinciaux d’abandonner une partie de leur contrôle, ce qu’ils sont souvent réticents à faire.
« Il y a aussi cette vérité inconfortable que certaines barrières existent précisément parce qu’elles profitent à certaines industries ou travailleurs locaux, » explique Martha Hall Findlay, présidente de la Canada West Foundation. « Les politiciens font face à la pression de ces électeurs pour maintenir le statu quo. »
Les impacts vont au-delà de la frustration des entreprises. Une étude du FMI de 2019 a révélé que les barrières commerciales internes sont particulièrement préjudiciables aux provinces plus petites, où les entreprises ont des marchés locaux plus limités et un plus grand besoin de vendre à travers les lignes provinciales. Pour les consommateurs, ces barrières se traduisent par des prix plus élevés et moins de choix.
Des progrès récents offrent un certain espoir. La Table de conciliation et de coopération en matière de réglementation établie dans le cadre de l’ALEC s’est attaquée à des irritants spécifiques comme les différentes exigences en matière de santé et sécurité au travail. La Colombie-Britannique et l’Alberta ont signé l’Accord de partenariat commercial du nouveau-ouest, rejointes plus tard par la Saskatchewan et le Manitoba, pour réduire les barrières dans l’ouest canadien.
La pandémie a accéléré de façon inattendue certaines réformes. Lorsque les pénuries d’équipements de protection individuelle ont menacé les systèmes de santé, les provinces ont rapidement harmonisé les normes pour faciliter la circulation interprovinciale de fournitures essentielles. Le travail à distance a également mis en évidence l’absurdité de certaines barrières d’octroi de licences professionnelles.
Pourtant, une réforme globale reste insaisissable. Le Comité sénatorial des banques, du commerce et du commerce a récemment entendu des témoignages de chefs d’entreprise décrivant des défis persistants malgré des années de promesses gouvernementales.
« Ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement fondamental d’approche, » soutient Perrin Beatty, président de la Chambre de commerce du Canada. « Plutôt que de négocier quelles barrières supprimer, nous devrions établir le principe que tous les biens et services qui répondent aux normes dans une province sont automatiquement acceptés partout ailleurs. »
Cette approche – la reconnaissance mutuelle – a fait ses preuves en Australie et dans l’Union européenne. Mais elle nécessite une volonté politique qui semble faire défaut dans la fédération canadienne.
Le gouvernement fédéral possède des outils constitutionnels pour forcer la question. L’article 121 de la Loi constitutionnelle interdit les barrières au commerce interprovincial, tandis que le pouvoir de « commerce et échanges » en vertu de l’article 91 donne à Ottawa l’autorité de réglementer l’activité économique traversant les frontières provinciales. Cependant, les gouvernements fédéraux successifs ont préféré la négociation à la confrontation, méfiants des réactions provinciales.
Pendant ce temps, les entreprises s’adaptent et les consommateurs en paient le prix. Les buveurs de bière de l’Ontario n’ont pas facilement accès à la sélection du Québec, les entrepreneurs du Manitoba peinent à travailler en Saskatchewan, et les transformateurs de fruits de mer de l’Atlantique font face à des obstacles pour vendre au centre du Canada.
Pour les entrepreneurs autochtones comme Jennifer Harper, fondatrice de Cheekbone Beauty en Ontario, le labyrinthe réglementaire crée des barrières supplémentaires en plus des défis existants. « J’essaie de construire une marque nationale tout en naviguant entre différentes réglementations provinciales sur les cosmétiques. Pour une petite entreprise, ces coûts de conformité réduisent les ressources qui pourraient être consacrées à la croissance et à la création d’emplois. »
Les services numériques offrent un point positif. Les entreprises de logiciels et les fournisseurs de services en ligne font généralement face à moins de barrières interprovinciales, ce qui explique potentiellement la croissance rapide du secteur dans l’économie canadienne.
La recherche économique montre constamment que l’élimination de ces barrières stimulerait la productivité, les salaires et l’innovation à travers le Canada. Alors que la concurrence mondiale s’intensifie et que l’incertitude économique augmente, le luxe de maintenir des barrières internes inefficaces semble de plus en plus inabordable.
« En fin de compte, il ne s’agit pas d’une théorie économique abstraite, » conclut Dan Kelly, président de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. « Il s’agit d’entreprises réelles qui luttent pour se développer, de travailleurs incapables d’utiliser leurs compétences là où on en a besoin, et de consommateurs qui paient plus que nécessaire. »
Alors que le Canada approche de son 157e anniversaire, la promesse d’un espace économique véritablement uni reste non tenue. La question n’est pas de savoir si les barrières commerciales interprovinciales nuisent à notre prospérité – les preuves sont claires qu’elles le font. La vraie question est de savoir si nos dirigeants politiques auront enfin le courage de les démanteler.