Je me souviens encore de ce matin d’été en 1985 quand la nouvelle a éclaté. Un dimanche tranquille transformé en chagrin national alors que 329 vies disparaissaient au-dessus de l’océan Atlantique. Le vol 182 d’Air India était tombé du ciel, et avec lui, des centaines d’histoires canadiennes se sont terminées en un instant.
Près de quatre décennies plus tard, l’ambassadeur du Canada à l’ONU, Bob Rae, s’est tenu devant une assemblée commémorative à Ottawa la semaine dernière, sa voix portant le poids de ce qui reste l’attaque terroriste la plus meurtrière du Canada. « Ce n’était pas simplement une tragédie qui est arrivée à « ces gens-là » », a souligné Rae. « C’étaient des Canadiens. C’est l’histoire canadienne. »
L’attentat d’Air India apparaît rarement de façon proéminente dans notre mémoire nationale collective. Visitez la plupart des musées d’histoire canadienne ou feuilletez des manuels scolaires, et vous pourriez manquer complètement ce chapitre dévastateur. Comme un participant à la commémoration m’a dit : « Parfois, on a l’impression que ces vies comptaient moins parce que la plupart des victimes avaient des noms de famille indiens. »
Cette observation douloureuse reflète un modèle troublant dans notre façon de traiter cette tragédie. L’attentat a coûté la vie à 280 citoyens canadiens, pourtant pendant des années, la couverture médiatique et la rhétorique politique l’ont présenté comme une attaque terroriste « étrangère » qui a touché le sol canadien. Les mots que nous utilisons sont importants, et comme l’a souligné Rae, le récit autour d’Air India a souvent exclu ces victimes de notre histoire nationale.
« Les leçons de cette tragédie continuent de nous hanter », a déclaré Rae, s’adressant aux familles qui portent leur deuil depuis 38 ans tout en luttant pour la reconnaissance. « Quand nous parlons de tragédies canadiennes, celle-ci doit être au premier plan. »
Les statistiques du ministère de la Sécurité publique montrent que la sensibilisation à l’attentat d’Air India se situe à environ 35 % chez les Canadiens nés après 1990, comparativement à plus de 87 % de reconnaissance pour le massacre de l’École Polytechnique. Les deux étaient des actes de violence horribles qui ont changé d’innombrables vies. Les deux méritent notre souvenir collectif.
Inderjit Singh Reyat reste la seule personne condamnée en lien avec l’attentat, purgeant une peine pour parjure et homicide involontaire. La justice est restée insaisissable pour les familles qui ont vu l’enquête complexe vaciller au milieu de la confusion juridictionnelle entre la GRC et le SCRS – un échec gouvernemental reconnu dans la Commission d’enquête de 2010 dirigée par l’ancien juge de la Cour suprême John Major.
« Le gouvernement a failli à ces familles non pas une fois, mais à plusieurs reprises », a déclaré Deepak Khandelwal, qui a perdu sa sœur et son beau-frère dans l’attentat. « D’abord dans la protection, puis dans l’enquête, et finalement dans la façon dont nous nous souvenons d’eux. »
Pour Susheel Gupta, qui avait 12 ans lorsque sa mère Ramwati Gupta est décédée à bord du vol 182, la lutte pour la reconnaissance continue. « Quand mes camarades de classe apprenaient l’histoire canadienne, le meurtre de ma mère ne faisait pas partie du programme », m’a-t-il confié après la commémoration. « Cela envoie un message sur l’histoire qui compte. »
Des changements récents aux programmes scolaires en Colombie-Britannique et en Ontario incluent maintenant l’attentat d’Air India dans les programmes d’histoire du secondaire. Mais ces changements ne sont intervenus qu’après des décennies de plaidoyer de la part des familles des victimes qui ont refusé que leurs proches soient oubliés.
Les commentaires de Rae reflètent une reconnaissance croissante que la façon dont nous définissons les histoires « canadiennes » est importante. Lorsque certaines tragédies sont centrées dans notre mémoire nationale alors que d’autres restent périphériques, nous créons une hiérarchie implicite d’appartenance. L’attentat d’Air India a exposé des failles dans notre appareil de sécurité nationale, mais aussi dans notre compréhension de qui compte dans l’histoire canadienne.
« Nous ne pouvons pas construire un pays véritablement inclusif si nous sommes sélectifs quant à la douleur qui mérite une commémoration nationale », a déclaré la professeure Chandrima Chakraborty, qui a largement documenté la mémoire culturelle de l’attentat à l’Université McMaster. Ses recherches montrent comment le cadrage initial de l’attaque comme « terrorisme étranger » a façonné sa place dans la conscience canadienne.
Les familles des victimes d’Air India ont transformé leur douleur en un puissant plaidoyer. Leur persévérance a conduit à l’enquête nationale, à l’amélioration des mesures de sécurité aérienne et à des changements dans la façon dont les agences de renseignement coordonnent les menaces terroristes. Leur travail se poursuit alors qu’elles poussent pour une inclusion plus complète dans la façon dont le Canada se comprend.
Lors de la commémoration de la semaine dernière, les participants ont déposé 329 roses au monument – une pour chaque vie perdue. Parmi eux se trouvaient des enfants et des petits-enfants de victimes, beaucoup nés des années après l’attentat mais portant néanmoins son héritage. Cette commémoration intergénérationnelle témoigne de la façon dont le traumatisme résonne à travers le temps lorsqu’il n’est pas correctement abordé.
« L’histoire n’est pas seulement ce qui s’est passé », a noté Rae dans ses remarques finales. « C’est ce que nous choisissons de nous rappeler, ce que nous enseignons à nos enfants et comment nous nous comprenons en tant que nation. »
Alors que le Canada navigue dans des questions complexes d’identité nationale et d’appartenance, l’attentat d’Air India offre d’importantes leçons. Lorsque nous intégrons pleinement cette tragédie dans notre conscience nationale – non pas comme une note de bas de page mais comme un chapitre central – nous affirmons que la douleur canadienne n’est pas définie par l’ethnicité ou l’origine, mais par notre humanité partagée.
Pour les familles qui se rassemblent chaque juin pour honorer leurs proches, la reconnaissance au sein de notre récit national n’est pas seulement une question d’exactitude historique. C’est finalement comme rentrer chez soi, dans le pays auquel ils ont toujours appartenu.