Dans une salle de conférence remplie de défenseurs de la sécurité alimentaire et d’experts en politiques publiques, Josh Smee ne pouvait cacher son enthousiasme. Le PDG de Food First NL a passé des années à faire pression pour une action nationale sur l’insécurité alimentaire, et le Budget 2025 a finalement apporté une victoire partielle.
« C’est une avancée significative, » m’a confié Smee lors de notre conversation à leur siège social à Saint-Jean de Terre-Neuve. « Le programme national d’alimentation scolaire représente le type d’approche structurelle que nous défendons depuis longtemps. »
L’engagement du gouvernement fédéral de 1,5 milliard de dollars sur cinq ans pour établir le premier programme national d’alimentation scolaire du Canada a été salué comme un moment décisif par les organisations de sécurité alimentaire à travers le pays. Le programme vise à fournir des repas nutritifs à des milliers d’écoliers, comblant une lacune critique dans le filet de sécurité sociale du Canada.
Mais pour les communautés comme celles dispersées le long de la côte de Terre-Neuve-et-Labrador, où les coûts alimentaires peuvent être 40% plus élevés que dans les centres urbains, la célébration s’accompagne de prudence.
« Regardez les chiffres, » dit Smee, en pointant les données de Statistique Canada qui montrent que près d’un ménage canadien sur six a connu l’insécurité alimentaire en 2023. « Les repas scolaires s’attaquent à une pièce d’un puzzle beaucoup plus grand. »
L’insécurité alimentaire—l’accès limité ou incertain à des aliments nutritionnellement adéquats—est devenue une crise de plus en plus visible au Canada. Le problème va bien au-delà des réfrigérateurs vides, affectant les résultats de santé, la réussite scolaire et la productivité de la main-d’œuvre.
L’allocation du Budget 2025 se traduit par environ 300 millions de dollars par an—un montant significatif, mais qui reste inférieur aux 2,7 milliards de dollars que les défenseurs de la Coalition pour une saine alimentation scolaire avaient recommandés pour une couverture complète. Le programme sera d’abord déployé dans les provinces disposant d’infrastructures existantes avant de s’étendre à l’échelle nationale.
Le ministre de l’Agriculture Lawrence MacAulay a défendu cette approche progressive lorsque je l’ai rencontré après une réunion de comité. « Nous construisons quelque chose de durable, pas seulement des annonces, » a déclaré MacAulay. « La fondation doit être solide avant que nous puissions nous développer. »
Les critiques soutiennent que le calendrier laisse trop d’enfants vulnérables en attente. La porte-parole du NPD sur la sécurité alimentaire, Leah Gazan, n’a pas mâché ses mots lorsque je lui ai parlé au téléphone depuis sa circonscription de Winnipeg.
« Les enfants ont faim aujourd’hui, » a souligné Gazan. « Pendant que les Libéraux font des tours de victoire, les familles choisissent encore entre payer le loyer ou acheter des provisions. Ce programme est bienvenu mais insuffisant. »
Ces tensions reflètent des débats plus larges sur l’approche du Canada en matière de sécurité alimentaire. Alors que le gouvernement a mis l’accent sur des programmes ciblés, de nombreux défenseurs poussent pour des réformes plus fondamentales s’attaquant aux causes profondes de la pauvreté.
« Les programmes alimentaires scolaires fonctionnent mieux dans le cadre d’une stratégie globale, » explique Dr Valerie Tarasuk, chercheure principale chez PROOF, une équipe de recherche étudiant l’insécurité alimentaire. « Ils complètent—mais ne remplacent pas—des soutiens au revenu adéquats et des politiques de logement abordable. »
Au-delà des écoles, le Budget 2025 contenait des dispositions plus modestes pour la sécurité alimentaire: 85 millions de dollars pour les systèmes alimentaires nordiques et autochtones et 40 millions pour élargir les initiatives alimentaires communautaires. Ces montants sont nettement inférieurs à ce que des organisations comme Banques alimentaires Canada avaient demandé.
Dans des communautés comme Nain, au Labrador, où une boîte d’œufs peut coûter 7 dollars et les légumes frais sont des articles de luxe pendant les mois d’hiver, ces investissements sont d’une importance capitale. Lors de ma visite l’automne dernier, des leaders communautaires ont décrit comment les systèmes alimentaires traditionnels—chasse, pêche, cueillette—sont de plus en plus mis à rude épreuve par les pressions climatiques et les contraintes économiques.
« Nous voyons les connaissances traditionnelles menacées alors que les aliments du commerce restent inabordables, » m’a confié Sarah Abel, coordinatrice locale de la sécurité alimentaire, lors de cette visite. « Les programmes qui connectent nos jeunes à la terre tout en assurant une nutrition de base sont essentiels. »
L’approche fédérale reflète des considérations politiques concurrentes. Les critiques conservateurs soutiennent que des politiques économiques de lutte contre l’inflation amélioreraient naturellement l’accessibilité des aliments. Parallèlement, les voix progressistes maintiennent que les solutions de marché seules ne peuvent pas résoudre les inégalités structurelles dans le système alimentaire.
Le Budget 2025 continue également de financer le Fonds d’infrastructure alimentaire locale, qui soutient les jardins communautaires, les banques alimentaires et les installations de transformation à petite échelle depuis 2019. Ces projets ont montré des promesses dans le développement de la résilience locale mais luttent souvent avec la durabilité à long terme une fois que le financement fédéral se termine.
Pour Smee et d’autres défenseurs, l’élément clé manquant reste une politique alimentaire nationale globale avec des mécanismes de responsabilité et des repères clairs.
« D’autres pays suivent l’insécurité alimentaire comme un indicateur clé du bien-être social, » note Smee. « Nous avons besoin d’engagements similaires ici, avec des rapports réguliers au Parlement sur nos progrès. »
En quittant les bureaux de Food First NL, Smee se préparait déjà pour la prochaine vague de plaidoyer. Sur son bureau se trouvaient des notes d’information pour les consultations à venir sur la Prestation canadienne pour les personnes handicapées promise, qui pourrait avoir un impact significatif sur la sécurité alimentaire des personnes handicapées.
« Les victoires budgétaires sont des jalons importants, » a-t-il réfléchi, « mais le vrai travail se fait entre les annonces, dans les communautés où les gens trouvent des moyens créatifs de se nourrir mutuellement. »
Pour des millions de Canadiens qui naviguent face à la hausse des coûts alimentaires, cette créativité est devenue une nécessité plutôt qu’une vertu—quelque chose que le Budget 2025 reconnaît mais n’aborde pas pleinement.