Le gouvernement fédéral a finalement mis son argent au service de sa politique d’approvisionnement. L’annonce du Budget 2025 de la semaine dernière signale un engagement substantiel pour remodeler la façon dont Ottawa dépense ses milliards en pouvoir d’achat annuel, avec des implications importantes tant pour les fabricants nationaux que pour les relations commerciales internationales.
Pendant des années, les entreprises canadiennes ont vu les contrats gouvernementaux aller vers des fournisseurs étrangers malgré les promesses politiques de soutenir les entreprises locales. Le nouveau budget alloue 2,4 milliards de dollars sur cinq ans spécifiquement pour renforcer la politique d’approvisionnement « Achat canadien » — une mesure qui représente le soutien le plus concret que cette initiative a reçu depuis son introduction conceptuelle en 2022.
« Ce n’est pas simplement une note de bas de page politique », explique Karen McIntyre, analyste en approvisionnement à l’Institut des marchés financiers. « Nous parlons d’exploiter environ 22 milliards de dollars d’achats fédéraux annuels pour créer des avantages pour la fabrication nationale, particulièrement dans les secteurs où nous avons perdu du terrain face à la concurrence étrangère. »
La politique renforcée cible plusieurs secteurs stratégiques, notamment les technologies propres, l’équipement de soins de santé et le matériel de défense. Pour les fabricants canadiens qui se plaignent depuis longtemps d’être exclus des dépenses de leur propre gouvernement, cela représente un moment potentiellement décisif.
Alex Laplante, PDG de MedTech Ontario, une association de fabricants de dispositifs médicaux, me confie que ce changement était désespérément nécessaire. « Quand la pandémie a frappé, nous avons soudainement réalisé à quel point nous étions vulnérables sans capacité nationale pour les fournitures médicales de base. Mes membres attendaient des actions concrètes qui dépassent les bonnes intentions. »
Le budget décrit une mise en œuvre en trois phases, commençant par une préférence pour les soumissions canadiennes dans des secteurs spécifiques d’ici janvier 2026, suivie d’une couverture élargie à davantage de catégories d’approvisionnement jusqu’en 2028. D’ici 2030, le gouvernement prévoit qu’environ 40 % des dépenses d’approvisionnement fédérales passeront par des entreprises canadiennes — contre environ 25 % actuellement.
Cependant, la politique maintient un équilibre délicat quant aux obligations commerciales internationales. Le Canada reste lié par divers accords commerciaux qui limitent sa capacité à favoriser ouvertement les fournisseurs nationaux, notamment l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) et l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne.
Les documents budgétaires reconnaissent ces contraintes, précisant que la mise en œuvre restera « conforme aux engagements commerciaux internationaux du Canada ». Cet exercice d’équilibre crée ce que les avocats spécialisés en commerce appellent une voie d’implémentation étroite.
« Le gouvernement cherche essentiellement les espaces entre nos engagements commerciaux où ils peuvent légalement préférer les entreprises canadiennes », note Patricia Zhou, conseillère en commerce international chez Riverbed Law. « Cela pourrait inclure des achats stratégiques de défense, des contrats plus petits sous certains seuils, ou des secteurs spécifiques avec des implications de sécurité nationale. »
La politique a déjà soulevé des inquiétudes parmi les partenaires commerciaux. Un porte-parole du bureau du Représentant au commerce des États-Unis a fourni une déclaration mesurée indiquant qu’ils « surveillent attentivement les développements pour assurer la conformité avec les obligations bilatérales », un langage diplomatique qui signale généralement une préoccupation.
Le Budget 2025 aborde ce défi en créant ce qu’il appelle un « approvisionnement à double voie », où certains achats jugés essentiels au renforcement des capacités nationales ou à la sécurité nationale peuvent bénéficier d’un traitement préférentiel pour les fournisseurs canadiens.
Pour les petits et moyens fabricants comme Quantum Clean Tech à Vancouver, ce changement de politique arrive juste à temps. « Nous avons développé une technologie avancée de capture de carbone ici en Colombie-Britannique, mais avons vu des contrats gouvernementaux pour des technologies similaires aller à des multinationales avec une présence canadienne minimale », déclare le fondateur Michael Singh. « Notre espoir est que cela égalise enfin les règles du jeu. »
Le budget alloue également 175 millions de dollars spécifiquement pour des initiatives de diversité des fournisseurs, destinées à accroître la participation des entreprises appartenant aux Autochtones, aux femmes et à d’autres groupes sous-représentés dans la chaîne d’approvisionnement fédérale.
Les critiques de la politique, principalement des groupes de réflexion économiques et des entreprises dépendantes des importations, avertissent que l’approvisionnement préférentiel pourrait augmenter les coûts pour les contribuables et potentiellement déclencher des mesures de rétorsion de la part des partenaires commerciaux. Le Conseil d’affaires du Canada a publié une déclaration mettant en garde contre le fait que « les mesures d’approvisionnement protectionnistes pourraient se retourner contre nous si elles conduisent à un accès réduit aux marchés pour les entreprises canadiennes à l’étranger. »
Le ministère des Finances répond à ces préoccupations avec une modélisation économique suggérant que les avantages économiques nationaux — y compris la création d’emplois, les recettes fiscales et le développement industriel — l’emportent sur les augmentations potentielles des coûts. Les documents budgétaires prévoient la création d’environ 15 000 emplois manufacturiers sur la période de mise en œuvre de cinq ans.
Au-delà des chiffres, cette politique marque un changement philosophique significatif dans l’approche canadienne de la stratégie industrielle. Pendant des décennies, les gouvernements canadiens ont largement adhéré aux principes du marché libre en matière d’approvisionnement, évitant les préférences explicites pour les fournisseurs nationaux.
« Ce que nous voyons est un retour à une politique industrielle plus active », explique Dr. Elena Ramirez, professeure d’économie à l’Université McGill. « Cela reflète une tendance mondiale plus large où les gouvernements deviennent plus intentionnels dans l’utilisation des dépenses publiques pour façonner la capacité industrielle nationale, particulièrement dans les secteurs stratégiques. »
La politique d’Achat canadien arrive au milieu d’initiatives similaires dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, où l’administration Biden a considérablement élargi les dispositions « Buy American », et dans l’Union européenne, qui a introduit ses propres cadres d’approvisionnement stratégiques.
Pour les fabricants canadiens naviguant dans ce nouveau paysage, les mois à venir apporteront à la fois des opportunités et des défis. Le budget alloue 45 millions de dollars spécifiquement pour des programmes de développement des fournisseurs afin d’aider les entreprises canadiennes à mieux se positionner pour les contrats gouvernementaux.
« L’engagement financier est significatif, mais les détails de mise en œuvre détermineront s’il s’agit d’un véritable changement de paradigme ou simplement d’une autre politique bien intentionnée », déclare l’analyste de l’industrie Thomas Chen. « Les entreprises canadiennes doivent se préparer dès maintenant en comprenant les processus d’approvisionnement et en documentant leur contenu canadien et leur impact économique. »
Au fur et à mesure que la politique se déploiera dans les années à venir, son succès sera ultimement mesuré par sa capacité à atteindre l’équilibre délicat entre le renforcement de la capacité de fabrication nationale et le maintien des engagements du Canada envers un commerce international ouvert — un équilibre qui s’est avéré insaisissable dans les précédentes tentatives de réforme des marchés publics.