Je suis descendu de l’autobus par un matin frais à Vancouver la semaine dernière, en route pour rencontrer Lydia Chen, dont la ferme familiale dans la vallée du Fraser en Colombie-Britannique a subi trois inondations majeures depuis 2021. Elle m’a accueilli avec un thermos de thé chaud alors que nous parcourions le périmètre des champs qui portent encore les cicatrices des conditions météorologiques erratiques de la saison dernière.
« Mes parents n’ont jamais rien vu de tel », m’a confié Chen, en désignant une section où la terre arable avait été emportée. « Maintenant, nous budgétisons pour la reprise après sinistre chaque année, tout comme nous budgétisons pour les semences. »
Prévoir un budget pour faire face à la réalité climatique est devenu une adaptation nécessaire pour de nombreux Canadiens. Mais l’approche du gouvernement fédéral, présentée dans le Budget 2025, inquiète les scientifiques du climat et les experts en politiques qui craignent que les objectifs de réduction des émissions du Canada demeurent hors d’atteinte malgré les nouveaux engagements financiers.
Le budget, dévoilé la semaine dernière, alloue 3,8 milliards de dollars sur cinq ans aux initiatives climatiques, dont 1,2 milliard pour la fabrication de technologies propres et 800 millions pour des projets d’adaptation communautaire. Bien que cela représente une légère augmentation par rapport aux années précédentes, l’analyse de l’Institut canadien du climat suggère que ces sommes sont nettement insuffisantes pour respecter l’engagement juridiquement contraignant du Canada de réduire ses émissions de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030.
« Les chiffres ne correspondent tout simplement pas », affirme Dre Renata Marquez, économiste climatique à l’Université de la Colombie-Britannique. « Ce budget privilégie les préoccupations économiques à court terme au détriment des investissements transformateurs nécessaires à des réductions significatives des émissions. »
Marquez souligne que les projections d’Environnement Canada montrent que le Canada est en voie de manquer ses objectifs 2030 d’au moins 15 %, même avec la mise en œuvre complète de toutes les politiques actuelles. Le déficit de financement est particulièrement évident dans des secteurs comme les transports et l’industrie lourde, qui représentent ensemble près de la moitié des émissions nationales.
Pour les communautés autochtones, souvent en première ligne des impacts climatiques, l’approche du budget semble déconnectée des réalités du terrain. Lors de ma visite à la Première Nation de Lennox Island à l’Île-du-Prince-Édouard plus tôt cette année, les dirigeants communautaires m’ont montré des rivages qui disparaissent un peu plus à chaque saison.
« Nous demandons des fonds d’adaptation depuis trois ans », explique Marcus Sark, coordinateur de la résilience climatique de la communauté. « L’argent arrive au compte-gouttes, et quand il arrive enfin, nous faisons face à de nouvelles menaces qui n’étaient pas prévues dans la proposition initiale. »
Le budget comprend 350 millions de dollars spécifiquement pour des solutions climatiques dirigées par les Autochtones, mais Sark note que l’accès à ces fonds implique souvent des processus de demande d’une complexité prohibitive que les petites communautés n’ont pas les ressources pour naviguer.
Le Budget 2025 maintient l’accent du Canada sur la tarification du carbone, conservant le calendrier actuel qui verra les prix atteindre 170 $ la tonne d’ici 2030. Mais les chercheurs du Centre canadien de politiques alternatives ont documenté comment les remboursements ne suivent pas le rythme des coûts accrus pour de nombreux ménages vulnérables.
En parcourant le Downtown Eastside de Vancouver avec Teresa Wong, défenseure communautaire, le décalage entre la politique climatique de haut niveau et l’expérience vécue devient douloureusement évident. Wong travaille avec des aînés dans des immeubles à chambres individuelles qui sont devenus dangereusement chauds pendant les vagues de chaleur de l’été dernier.
« La remise de la taxe carbone ne commence même pas à couvrir ce qu’il en coûte pour rafraîchir une pièce en cas de chaleur extrême », me dit Wong. « Nos aînés réduisent leur alimentation pour payer les factures d’électricité estivales. »
Les investissements du budget dans les technologies propres favorisent fortement les projets industriels à grande échelle, avec relativement peu de soutien pour les solutions à l’échelle communautaire. Ce déséquilibre préoccupe Alex Richardson, directeur exécutif de Quartiers pour l’Action Climatique, une coalition de groupes communautaires à travers le Canada.
« L’expérience nous montre que les projets climatiques locaux, à plus petite échelle, donnent des résultats plus rapides et créent plus d’emplois par dollar investi », explique Richardson lors de notre conversation à une installation solaire communautaire dans l’est de Vancouver. « Mais ce budget continue de miser gros sur des mégaprojets industriels aux échéanciers incertains. »
En net contraste avec les juridictions voisines, le Budget 2025 ne contient aucune nouvelle mesure significative pour éliminer progressivement les subventions aux combustibles fossiles. Les données d’Environnement Canada montrent que ces subventions ont atteint 17,6 milliards de dollars en 2023, près de cinq fois le nouveau financement climatique annoncé dans le budget.
Dre Marie-Claude Tremblay du Centre de recherche en énergie durable de l’Université Laval ne mâche pas ses mots : « On ne peut pas s’attaquer sérieusement au changement climatique tout en subventionnant les industries mêmes qui causent le problème. Cette contradiction mine tout progrès réalisé ailleurs. »
Toutes les évaluations du budget ne sont pas négatives. L’Institut canadien du climat a salué son investissement de 600 millions de dollars dans l’amélioration du réseau électrique nécessaire pour soutenir l’expansion des énergies renouvelables. Et les municipalités ont accueilli favorablement la poursuite du Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone, qui a soutenu plus de 3 000 projets climatiques locaux depuis sa création.
De retour à la ferme de Chen, nous observons des ouvriers qui installent un nouveau système de drainage conçu pour faire face aux averses de plus en plus fréquentes. Le système a coûté près de 85 000 $ – financé en partie par un programme provincial d’adaptation et en partie par les réserves décroissantes de la ferme.
« Nous faisons ces investissements parce que nous n’avons pas le choix », dit Chen. « Le climat n’attend pas une politique parfaite. Nous non plus. »
Alors que le Canada fait avancer sa stratégie climatique à travers le Budget 2025, l’écart entre les calendriers politiques et l’urgence climatique continue de s’élargir. L’approche du budget reflète l’équilibre difficile entre les pressions économiques, les réalités politiques et les nécessités environnementales. Pourtant, pour les communautés qui s’adaptent déjà aux impacts climatiques, la question demeure de savoir si des changements budgétaires progressifs peuvent correspondre à l’ampleur et à la vitesse de la crise climatique qui se déroule en temps réel à travers le pays.