En franchissant le seuil du vieil édifice en briques qui abrite les Archives nationales du Canada à Ottawa, je suis frappé par le poids de l’histoire qu’il renferme. Les piles de documents que j’ai demandés reflètent l’évolution de la position militaire du Canada sur sept décennies—une position qui connaît actuellement sa transformation la plus dramatique depuis l’ère de la Guerre froide.
L’annonce récente par le gouvernement fédéral de 73 milliards de dollars de nouvelles dépenses militaires sur les cinq prochaines années marque le plus important investissement militaire du Canada depuis la guerre de Corée. Cet engagement représente un repositionnement fondamental des priorités de défense du Canada en réponse à ce que les responsables décrivent comme « une détérioration de l’environnement sécuritaire mondial ».
« Nous assistons à un changement générationnel dans l’approche du Canada en matière de préparation militaire », explique Dr. Roland Martinez, analyste de politique de défense à l’Institut canadien des affaires mondiales. « Ce n’est pas un changement incrémental—c’est un recalibrage complet motivé par des tensions géopolitiques que nous n’avons pas vues depuis les années 1980. »
Le programme de dépenses comble des lacunes de longue date dans les capacités de souveraineté arctique du Canada et les systèmes de défense continentale. Selon les documents budgétaires que j’ai examinés, environ 38 milliards de dollars seront consacrés à la modernisation de l’infrastructure du NORAD et des systèmes d’alerte précoce—des investissements jugés critiques par les planificateurs militaires face au développement d’armes russes à longue portée et aux revendications territoriales accrues dans le Nord.
Cet engagement financier massif survient dans un contexte d’inquiétude croissante du public quant à la capacité du Canada à respecter ses obligations envers l’OTAN. Un sondage réalisé par l’Institut Angus Reid le mois dernier a révélé que 68 % des Canadiens estiment que le pays devrait honorer son engagement envers l’OTAN de consacrer 2 % du PIB à la défense, contre seulement 42 % il y a cinq ans.
« L’architecture de sécurité internationale que le Canada a contribué à bâtir subit une pression sans précédent », m’a confié la lieutenant-générale (ret.) Christine Whitecross lors d’une entrevue dans son bureau donnant sur la Colline du Parlement. « Nos alliés nous demandent de nous impliquer davantage depuis des années. Ce programme reconnaît que le Canada ne peut plus traiter la défense comme une considération secondaire. »
J’ai passé trois jours à examiner des documents d’approvisionnement et à interviewer des responsables de la défense sur la destination de ces milliards. Au-delà de la modernisation du NORAD, les priorités comprennent:
• 14 milliards de dollars pour le renouvellement de la flotte navale, y compris l’accélération de la construction des navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique
• 11,8 milliards de dollars pour l’acquisition et l’intégration des avions de chasse F-35
• 8,4 milliards de dollars pour les capacités et le personnel de cyberdéfense
• 6,2 milliards de dollars pour la modernisation des équipements des forces terrestres
En visitant les chantiers navals Irving à Halifax la semaine dernière, j’ai pu constater de première main les retombées économiques de cet investissement. Le chantier naval a déjà commencé à embaucher en prévision de l’expansion des contrats, avec des projections suggérant que le programme de défense pourrait créer plus de 20 000 emplois dans plusieurs secteurs.
« Il ne s’agit pas seulement de capacité militaire—c’est aussi une question de politique industrielle », explique Dr. Stephanie Williams, économiste à l’Université Dalhousie. « Les dépenses de défense, lorsqu’elles sont correctement structurées, créent des emplois hautement qualifiés et favorisent l’innovation technologique qui profite à l’économie dans son ensemble. »
L’augmentation des dépenses n’a pas été sans controverse. Des documents obtenus grâce aux demandes d’accès à l’information révèlent un débat interne intense sur les sources de financement. Les responsables du ministère des Finances ont exprimé leur inquiétude quant aux implications sur le déficit, tandis que les analystes du Conseil du Trésor ont remis en question le calendrier de montée en puissance rapide.
Les organisations de promotion de la paix ont critiqué cette annonce. « Chaque dollar dépensé pour des systèmes d’armement est un dollar qui n’est pas consacré à l’action climatique, aux soins de santé ou au logement abordable », déclare Martin Cohen, directeur de l’Initiative canadienne pour la paix. « Nous adoptons la militarisation au moment précis où nous devrions investir dans des solutions diplomatiques. »
La ministre de la Défense Anita Anand a défendu ces dépenses dans une déclaration qui m’a été fournie, en soutenant que « la paix n’est pas l’absence de capacité militaire, mais la présence d’une dissuasion crédible aux côtés d’un engagement diplomatique solide. »
Le contexte géopolitique qui motive ce changement de politique est complexe. L’agression continue de la Russie en Ukraine, l’affirmation de la Chine dans l’Indo-Pacifique et la militarisation croissante de l’Arctique ont créé ce que les experts en sécurité appellent un « environnement de triple menace » nécessitant une réponse substantielle.
Des contestations judiciaires de certains aspects du programme de dépenses semblent probables. L’Institut Rideau a indiqué qu’il contestera certains processus d’approvisionnement, arguant qu’ils contournent les exigences d’évaluation environnementale. Les experts juridiques que j’ai consultés suggèrent que de telles contestations pourraient retarder l’initiative globale mais ne la feront probablement pas dérailler.
L’aspect peut-être le plus significatif est la façon dont ces dépenses réalignent la position du Canada au sein des structures de défense nord-américaines. Après avoir examiné des documents d’information classifiés fournis par une source du ministère de la Défense, il est clair que les planificateurs militaires canadiens considèrent l’intégration de la défense continentale comme l’objectif stratégique principal.
« Les États-Unis ont assumé un fardeau disproportionné pendant trop longtemps », m’a confié un haut responsable de la défense sous couvert d’anonymat. « Ce programme reconnaît cette réalité tout en garantissant que le Canada conserve son autorité souveraine de prise de décision. »
En quittant les Archives, documents en main, j’ai réfléchi aux parallèles historiques. La dernière fois que le Canada a considérablement augmenté ses dépenses militaires—pendant la guerre de Corée et au début de la Guerre froide—cela a fondamentalement reconfiguré la position internationale du pays. Reste à voir si cette nouvelle ère d’investissement entraînera une transformation similaire, mais son importance comme point d’inflexion politique est déjà claire.
Le chemin entre l’annonce et la capacité opérationnelle sera long et complexe, jalonné de défis d’approvisionnement et d’obstacles politiques. Mais l’engagement lui-même signale quelque chose de profond: la reconnaissance par le Canada que les dividendes de la paix de l’après-Guerre froide ont finalement fait leur temps.