Je m’installe dans mon siège à bord de l’autobus des médias qui suit les opérations des Forces canadiennes au centre de Terre-Neuve. L’air de fin août porte encore l’odeur âcre de fumée des feux de forêt qui ont ravagé plus de 25 000 hectares à travers la province. Mais l’histoire d’aujourd’hui ne parle pas de destruction – elle raconte la remarquable réponse humaine qui émerge souvent en temps de crise.
En arrivant au centre de commandement improvisé près de Grand Falls-Windsor, je le repère immédiatement : un camion de cuisine rouge vif avec une pancarte peinte à la main disant « Merci aux pompiers« . Derrière le comptoir se tient Rose Stoodley, essuyant la sueur de son front pendant qu’elle retourne des hamburgers et prépare des sandwichs au poisson pour une file d’intervenants d’urgence épuisés.
« Je n’allais pas rester à la maison sans rien faire pendant que ces gens risquent leur vie pour nos communautés, » me dit Rose, sans lever les yeux du gril où elle prépare sa vingtième fournée de la journée. « Mon gendre travaille pour le service forestier provincial. Quand j’ai appris qu’ils faisaient des quarts de 16 heures avec à peine un vrai repas, eh bien, ça a été décidé. »
La cuisine mobile de Rose, habituellement stationnée près des sentiers de randonnée populaires pendant la saison touristique, est devenue un phare d’esprit communautaire. Depuis deux semaines, elle sert des repas chauds gratuits aux pompiers, bénévoles et résidents déplacés – fonctionnant entièrement grâce aux dons des entreprises locales et à ses propres économies.
Le ministère des Pêches et des Océans a confirmé que les conditions de sécheresse de cet été ont créé la tempête parfaite pour les feux de forêt dans tout le Canada atlantique. Les responsables provinciaux rapportent que plus de 650 personnes, incluant des équipes du Québec et du Nouveau-Brunswick, ont combattu les incendies qui menaçaient plusieurs communautés et ont forcé des centaines de personnes à quitter leur domicile.
Le chef des pompiers Martin Peddle accepte une assiette bien garnie de Rose avec une gratitude visible. « Les exigences physiques de ce travail sont énormes, » explique-t-il entre deux bouchées d’un sandwich à la morue. « Avoir des repas chauds, faits maison, au lieu de barres énergétiques fait une réelle différence pour le moral et l’endurance. Ce que Rose fait ici – ce n’est pas juste de la nourriture, c’est du carburant pour le combat. »
Le menu change quotidiennement selon les dons. Aujourd’hui, on sert de la morue fraîche d’un transformateur local qui a livré 40 kilos de poisson à l’aube. Hier, une boulangerie de Corner Brook a envoyé du pain et des pâtisseries. Une ferme voisine a fourni des légumes. Chaque repas est accompagné d’un petit mot manuscrit d’écoliers locaux.
« Les petits mots m’émeuvent à chaque fois, » admet Jessica Thornhill, une pompière de Gander qui est en première ligne depuis neuf jours d’affilée. Elle sort de sa poche une carte dessinée au crayon qui dit : « Merci de sauver nos arbres et nos animaux. Tu es mon héros.«
Derrière l’opération de Rose se trouve un impressionnant réseau communautaire. Des chauffeurs bénévoles transportent des fournitures d’aussi loin que St. John’s. Une entreprise locale de propane garde ses réservoirs remplis gratuitement. Le Canadian Tire régional a fait don d’équipement de cuisine quand son installation d’origine ne pouvait plus suivre la demande.
« C’est juste ce que les Terre-Neuviens font, » hausse les épaules Rose quand je commente cet élan de soutien. « Quand les problèmes surviennent, on se serre les coudes. Ça a toujours été comme ça. »
Le coordinateur provincial des services d’urgence, David Parsons, note que le soutien communautaire comme celui de Rose fait une différence tangible dans la réponse aux catastrophes. « Les ressources gouvernementales sont très sollicitées pendant des opérations prolongées comme celle-ci, » explique-t-il. « Quand les communautés mobilisent des systèmes de soutien comme ce camion de cuisine, cela nous permet de concentrer plus de ressources sur la lutte contre les incendies proprement dite. »
Des sondages récents de l’Université Memorial suggèrent que 78% des Terre-Neuviens ont directement contribué aux efforts de secours contre les feux de forêt d’une manière ou d’une autre – que ce soit par des dons, du bénévolat ou en hébergeant des voisins déplacés.
L’initiative de Rose a inspiré des opérations similaires dans toute la province. À Deer Lake, un restaurant a fermé ses portes aux clients habituels pour préparer des repas pour les centres d’évacuation. À Bay d’Espoir, des pêcheurs se sont coordonnés pour fournir un transport par bateau au personnel d’urgence lorsque les routes étaient compromises.
Alors que l’après-midi devient soirée, je regarde Rose comptabiliser les chiffres du jour dans un carnet usé : 267 repas servis, fournitures pour demain sécurisées, dons équilibrés par rapport aux dépenses. Quand je lui demande combien de temps elle prévoit de continuer, elle semble surprise par la question.
« Jusqu’à ce qu’ils aient terminé, bien sûr, » dit-elle, en faisant un geste vers la fumée visible à l’horizon. « Ces gens n’abandonnent pas, alors moi non plus. »
Le lendemain matin, avant de monter dans l’autobus des médias pour retourner à St. John’s, je m’arrête à nouveau au camion de Rose. Elle sert déjà le petit déjeuner – de généreuses portions de toutons (pâte à pain frite) avec de la mélasse et du thé fort. Un pompier de Colombie-Britannique, faisant partie des équipes de renfort arrivées hier, se tient perplexe devant ce petit-déjeuner terre-neuvien peu familier.
« Fais-moi confiance, mon cher, » dit Rose avec un clin d’œil, en chargeant plus de mélasse sur son assiette. « Ça te tiendra jusqu’au souper. »
En partant, je remarque un petit groupe de résidents locaux qui déposent des provisions – des confitures maison, des œufs frais et des dons en espèces glissés dans une vieille boîte à biscuits. Une communauté qui prend soin de ceux qui les protègent, orchestrée par une femme déterminée avec un camion de cuisine et un profond sentiment de gratitude.
Face aux changements climatiques qui apportent des saisons de feux de forêt de plus en plus sévères dans des régions du Canada auparavant moins touchées, ces réseaux de soutien communautaire ne sont pas seulement des histoires réconfortantes – ils deviennent des composantes essentielles de la résilience face aux catastrophes.
Le camion de cuisine rouge de Rose Stoodley nous rappelle qu’en temps de crise, ce sont souvent les actes de bienveillance les plus simples qui nous soutiennent. Parfois, c’est aussi élémentaire qu’un repas chaud servi avec gratitude à ceux qui sont en première ligne.