Des tensions internes au sein du cabinet du premier ministre Justin Trudeau se sont intensifiées cette semaine, alors que le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault a publiquement défendu les délais de la politique climatique du gouvernement face à la pression croissante de collègues qui souhaitent ralentir sa mise en œuvre.
« Nous avons passé des années à développer ces cadres avec l’industrie, les provinces et les territoires, » a déclaré Guilbeault aux journalistes mardi à la sortie d’une conférence sur la résilience climatique à Ottawa. « Simplement tout jeter serait une gouvernance irresponsable. »
Les commentaires du ministre de l’Environnement surviennent après que trois ministres libéraux distincts ont exprimé en privé des inquiétudes concernant le rythme des réglementations climatiques, selon des sources familières avec les récentes discussions du cabinet. Ces ministres affirment que les pressions économiques sur les ménages canadiens exigent un recalibrage des priorités climatiques.
Ce débat interne éclate alors que les libéraux fédéraux font face à des sondages en baisse et à une frustration croissante du public concernant les problèmes d’abordabilité. Un récent sondage d’Abacus Data montre que 62 % des Canadiens classent maintenant le coût de la vie comme leur principale préoccupation, tandis que l’action climatique a glissé à la cinquième place avec 34 %.
« Ce que nous voyons est la tension prévisible entre les engagements climatiques à long terme et les pressions politiques à court terme, » a déclaré Dre Catherine McKenna, ancienne ministre de l’Environnement et maintenant présidente du Groupe d’experts de haut niveau des Nations Unies sur les engagements de neutralité carbone. « Mais reculer sur les objectifs climatiques serait à courte vue tant sur le plan environnemental qu’économique. »
La division du cabinet porte apparemment sur trois politiques climatiques clés : le Règlement sur les combustibles propres, entré en vigueur en juillet; le plafond prévu sur les émissions pétrolières et gazières; et le calendrier d’augmentation du prix fédéral du carbone, actuellement fixé pour atteindre 170 $ la tonne d’ici 2030.
La ministre des Finances Chrystia Freeland aurait exprimé des préoccupations quant à l’impact économique cumulatif de ces politiques, particulièrement alors que les Canadiens continuent de lutter contre les coûts du logement et l’inflation persistante. Cependant, lorsque des journalistes l’ont approchée mercredi, Freeland a évité les questions directes sur les désaccords au sein du cabinet.
« Notre gouvernement a toujours équilibré une action climatique forte avec des considérations économiques, » a déclaré Freeland. « Ces discussions sont normales et saines au sein de tout cabinet prenant des décisions difficiles. »
Cette division survient à un moment crucial pour la stratégie climatique du Canada. Les dernières projections d’Environnement Canada montrent que le Canada doit réduire 140 mégatonnes supplémentaires de gaz à effet de serre pour atteindre son objectif de réduction de 2030. Pendant ce temps, le chef conservateur Pierre Poilievre a gagné du terrain auprès des électeurs en promettant « d’abolir la taxe carbone » s’il est élu.
La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a alimenté la division libérale fédérale en écrivant à Trudeau le mois dernier pour exiger une « pause complète » des initiatives climatiques fédérales affectant le secteur pétrolier et gazier de sa province. Deux députés libéraux de circonscriptions albertaines auraient partagé la lettre de Smith lors d’une récente réunion de caucus, exhortant leurs collègues à envisager un calendrier modifié.
« Le cabinet fait face à une pression classique du cycle électoral, » a expliqué Mark Winfield, professeur de politique environnementale à l’Université York. « Avec des sondages en baisse et des élections probables d’ici 18 mois, la tentation de reculer sur des politiques climatiques ambitieuses devient forte, même si ces mêmes politiques étaient au cœur de leur dernière plateforme. »
En coulisses, des sources affirment que la ministre du Développement économique rural Gudie Hutchings et le ministre du Travail Seamus O’Regan ont plaidé pour une approche plus graduelle dans la mise en œuvre des plafonds d’émissions pour les producteurs de pétrole et de gaz. Les deux ministres représentent des circonscriptions de Terre-Neuve-et-Labrador où le développement pétrolier offshore reste économiquement important.
Le ministre Guilbeault, cependant, semble peu disposé à céder du terrain. Mardi, il a annoncé un nouveau financement de 72 millions de dollars pour des projets de résilience climatique tout en soulignant les coûts économiques de l’inaction.
« Chaque dollar investi dans l’adaptation climatique permet d’économiser jusqu’à 15 dollars en coûts futurs liés aux catastrophes, » a déclaré Guilbeault. « Les Canadiens paient déjà le prix du changement climatique par l’augmentation des coûts d’assurance, les dommages matériels et les défaillances d’infrastructure. »
Ce désaccord public reflète des défis plus profonds au sein du gouvernement libéral alors qu’il tente d’équilibrer ses promesses climatiques avec les pressions économiques immédiates. Des sondages internes partagés avec les ministres du cabinet montrent un soutien public décroissant pour la tarification du carbone, malgré les remises conçues pour compenser les coûts pour la plupart des ménages.
Les experts en politique climatique qui observent le débat voient émerger des compromis potentiels. Le gouvernement pourrait maintenir ses objectifs d’émissions tout en ajustant les calendriers de mise en œuvre ou en améliorant les programmes de soutien pour les industries et les travailleurs touchés.
« Ce que nous allons probablement voir, c’est un compromis du cabinet qui préserve l’architecture de la politique climatique tout en accordant plus de marge de manœuvre sur les échéanciers, » a suggéré Sarah Petrevan, directrice des politiques chez Clean Prosperity. « Ce n’est pas nécessairement une mauvaise politique, mais cela risque de miner la confiance des investisseurs dans la transition énergétique propre du Canada. »
Pour l’instant, Trudeau a publiquement soutenu la position de Guilbeault, déclarant vendredi dernier que « l’action climatique reste non négociable » pour son gouvernement. Cependant, le premier ministre a également demandé aux ministres de revoir toutes les politiques affectant l’abordabilité, laissant la place à d’éventuels ajustements des calendriers de mise en œuvre climatique.
À l’approche de l’hiver, alors que les Canadiens font face à des coûts de chauffage élevés, cette division au sein du cabinet signale un équilibre politique délicat pour les libéraux – maintenir la crédibilité climatique tout en répondant aux anxiétés économiques immédiates qui menacent leurs perspectives de réélection.