Suite à la baisse des taux de la Banque du Canada ce mois-ci, les investisseurs canadiens ressentent quelque chose qu’ils n’avaient pas éprouvé depuis longtemps : un optimisme prudent. La réduction de 25 points de base par la banque centrale – sa première baisse de taux depuis mars 2020 – a suscité un nouvel enthousiasme dans les cercles financiers, de Bay Street aux centres technologiques émergents de Waterloo et Vancouver.
En traversant le quartier financier de Toronto hier, j’ai remarqué un changement d’énergie palpable. « C’est comme si quelqu’un avait enfin ouvert une fenêtre dans une pièce étouffante », a fait remarquer David Coletto, gestionnaire de portefeuille à la division de gestion de patrimoine de la Banque Nationale, autour d’un café près de King et Bay. « On ne fait pas encore la fête, mais les clients s’intéressent de nouveau aux opportunités de croissance plutôt qu’aux simples stratégies de préservation. »
Les chiffres confirment ce changement de sentiment. L’indice composé S&P/TSX a grimpé de près de 3,8 % depuis l’annonce de la Banque du Canada, surpassant les indices américains durant la même période. Le volume des transactions à la Bourse de Toronto a augmenté de 22 % par rapport à la moyenne du mois précédent, selon les données du Groupe TMX.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est de voir où l’argent se dirige. Alors que les valeurs refuges traditionnelles comme les services publics et les biens de consommation courante ont initialement bénéficié de cette tendance, on observe maintenant une activité accrue dans les actions de croissance à moyenne capitalisation et les titres technologiques délaissés. Les actions de Shopify ont progressé de 8,7 % depuis l’annonce, tandis que Lightspeed Commerce a bondi de près de 11 %.
« Il ne s’agit pas uniquement des taux plus bas en soi », explique Frances Donald, économiste en chef chez Gestion de placements Manuvie. « C’est ce qu’ils représentent. La Banque du Canada signale essentiellement qu’elle estime que l’inflation est suffisamment maîtrisée pour se concentrer sur le soutien à la croissance économique. »
Cet impact psychologique ne doit pas être sous-estimé. Après près de deux ans à subir la hausse des coûts d’emprunt, les entreprises et les investisseurs réévaluent leurs perspectives. Les récentes données de Statistique Canada montrent que les intentions d’investissement des entreprises augmentent pour la première fois en cinq trimestres, les petites et moyennes entreprises étant à l’avant-garde.
Mais une question cruciale demeure : cet optimisme est-il justifié ou n’est-ce qu’une pensée désirée?
Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada, a offert une perspective mesurée lors du déjeuner du Cercle économique du Canada la semaine dernière : « L’économie canadienne se trouve à un point d’inflexion intéressant. Des taux plus bas éliminent certainement certains obstacles, mais les défis structurels liés à la productivité, à l’abordabilité du logement et à la compétitivité mondiale ne disparaîtront pas du jour au lendemain. »
En effet, la situation économique particulière du Canada exige une certaine prudence de la part des investisseurs. Contrairement à nos voisins américains, dont l’économie a fait preuve d’une résilience remarquable, la croissance du PIB canadien a tout juste suivi l’expansion démographique. La productivité du travail a même diminué de 0,7 % au premier trimestre selon les derniers chiffres de Statistique Canada – une tendance inquiétante lorsqu’on considère la prospérité à long terme.
Le secteur de l’énergie présente une autre étude de cas fascinante dans ce paysage en évolution. Les producteurs traditionnels comme Suncor et Canadian Natural Resources ont enregistré des gains modestes, mais ce sont les acteurs de l’infrastructure comme Keyera Corp qui ont surperformé, grimpant de plus de 6 % depuis l’annonce de la baisse des taux.
« Le marché fait la distinction entre l’exposition aux matières premières et les entreprises à flux de trésorerie stables », note Jennifer Stevenson, gestionnaire de portefeuille chez Fonds Dynamique. « Les entreprises ayant un pouvoir de fixation des prix, des niveaux d’endettement raisonnables et une exposition à la croissance des volumes plutôt qu’aux seuls prix des matières premières trouvent la faveur des investisseurs. »
L’intérêt des investisseurs étrangers rebondit également, quoique prudemment. Après des sorties nettes de 1,8 milliard de dollars des titres canadiens au premier trimestre, les données préliminaires de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières montrent environ 780 millions de dollars d’achats nets étrangers depuis la mi-mai.
L’activité de capital-risque, qui était pratiquement au point mort à la fin de 2023, montre des signes précoces de reprise. Selon l’Association canadienne du capital de risque, les premiers tours de financement ont augmenté de 14 % en mai par rapport à avril, bien qu’ils restent bien en deçà des niveaux exubérants de 2021 et du début de 2022.
« Nous devenons plus actifs, surtout dans les domaines où le Canada possède des avantages concurrentiels – technologies propres, applications d’intelligence artificielle et technologies financières », déclare Michelle Scarborough, associée directrice chez BDC Capital. « La combinaison de valorisations plus raisonnables et d’un environnement de sortie amélioré fait que l’équation fonctionne à nouveau. »
Les fiducies de placement immobilier, particulièrement celles axées sur les propriétés industrielles et résidentielles, sont devenues des bénéficiaires inattendues de ce paysage en mutation. Après avoir été malmenées par la hausse des taux, l’indice S&P/TSX des FPI a rebondi de 7,3 % depuis l’annonce de la Banque du Canada.
Cependant, tout le monde n’est pas convaincu que les beaux jours sont revenus pour de bon. Certains économistes craignent que la banque centrale n’ait agi trop tôt avec sa baisse de taux, ravivant potentiellement les pressions inflationnistes qui ne montraient que récemment des signes d’apaisement.
« La Banque du Canada marche sur une corde raide », prévient Douglas Porter, économiste en chef chez BMO Marchés des capitaux. « Réduire trop agressivement et risquer une résurgence de l’inflation; agir trop prudemment et potentiellement bloquer une économie déjà fragile. Je soupçonne que nous verrons une approche très mesurée, dépendante des données, jusqu’à la fin de l’année. »
Pour les investisseurs ordinaires, cet environnement crée à la fois des opportunités et des pièges. Les conseillers financiers signalent une augmentation des demandes de clients concernant le rééquilibrage de portefeuille, avec un intérêt particulier pour les actions versant des dividendes et les obligations d’entreprises – des actifs qui surperforment souvent pendant les cycles de réduction des taux.
« Nous disons aux clients que la sélectivité compte plus que jamais », affirme Christine Tan, directrice des investissements chez Three Bridges Capital. « Cette fois-ci, la marée montante ne soulèvera pas tous les bateaux de manière égale. »
Pour ceux qui envisagent de revenir aux investissements canadiens, les secteurs présentant des histoires de croissance séculaire – innovation en soins de santé, cybersécurité et infrastructures renouvelables – pourraient offrir de meilleurs rendements ajustés au risque que les valeurs cycliques misant uniquement sur l’accélération économique.
Alors que nous naviguons dans le reste de l’année 2024, le sentiment des investisseurs canadiens restera probablement très sensible aux publications de données économiques et aux communications de la banque centrale. Mais après des années de positionnement défensif, le changement psychologique vers la croissance et les opportunités représente un changement bienvenu pour un marché qui avait presque oublié ce que l’optimisme signifie.