En parcourant les couloirs du Parlement, je constate que les tables à manger des Canadiens sont devenues un champ de bataille politique inattendu. Le dernier sondage d’Angus Reid qui arrive sur mon bureau révèle ce que les experts de l’industrie alimentaire chuchotent depuis des mois : les Canadiens rejettent de plus en plus les régimes strictement végétaliens tout en adoptant des habitudes alimentaires plus flexibles.
Les données dressent un portrait convaincant. Alors que seulement 7 % des Canadiens se définissent comme végétariens et à peine 2 % comme végétaliens, un groupe croissant—près de 25 % selon les études de marché récentes—se considère désormais comme « flexitarien ». Ce sont des personnes qui réduisent leur consommation de viande sans l’éliminer complètement, un juste milieu pragmatique qui semble typiquement canadien dans sa modération.
« Nous observons un changement significatif, s’éloignant des absolus alimentaires, » explique Dr. Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie. « Les Canadiens veulent des options saines et durables, mais ils se méfient des approches alimentaires extrêmes. Il s’agit d’équilibre, pas de restriction. »
Cette tendance a attiré l’attention des grandes épiceries à travers le pays. En me promenant dans un Loblaws du centre-ville d’Ottawa la semaine dernière, j’ai remarqué des sections élargies proposant à la fois des alternatives végétales et des viandes d’origine durable – parfois côte à côte. C’est une réponse du commerce de détail aux consommateurs qui pourraient choisir du tofu le mardi et du poulet local le jeudi.
La politique alimentaire fait rarement les manchettes sans crise, mais sous la surface, ce pragmatisme alimentaire rejoint les valeurs canadiennes plus larges. Mes conversations avec des acheteurs dans les marchés fermiers de Victoria à Halifax révèlent des thèmes constants : préoccupation environnementale équilibrée avec choix personnel, conscience santé tempérée par les traditions culturelles.
Au Manitoba, j’ai rencontré Sandra Thiessen, mère de trois enfants qui illustre parfaitement cette approche. « Nous avons réduit notre consommation de viande, surtout de bœuf, mais nous ne l’avons pas éliminée. Mes enfants adorent toujours les hamburgers, mais maintenant nous préparons aussi des tacos aux lentilles et du stroganoff aux champignons. Il s’agit de faire de meilleurs choix quand on peut. »
L’analyste de l’industrie alimentaire Jordan LeBlanc souligne les facteurs économiques qui motivent cette tendance. « Avec l’inflation alimentaire atteignant 9,7 % l’an dernier selon Statistique Canada, de nombreux ménages ne peuvent tout simplement pas se permettre des produits végétaux haut de gamme ou des viandes de qualité supérieure à chaque repas. Le flexitarisme offre une flexibilité financière. »
Les implications politiques ne sont pas perdues pour les décideurs agricoles. Le bureau du ministre de l’Agriculture Lawrence MacAulay a récemment mis l’accent sur « le soutien à des systèmes alimentaires diversifiés » plutôt que sur la promotion de régimes spécifiques. Cette approche mesurée reflète la conscience du gouvernement que tant les éleveurs traditionnels que les producteurs émergents de protéines végétales représentent d’importantes circonscriptions économiques et électorales.
Le mois dernier, lors d’une assemblée publique en Saskatchewan, le député conservateur Michael Kram a fait face à des questions pointues de la part d’éleveurs de bovins préoccupés par la rhétorique « anti-viande » et de jeunes électeurs poussant pour des pratiques agricoles plus durables. L’échange a souligné comment les choix alimentaires sont devenus des batailles par procuration pour des débats plus larges sur la tradition versus le changement.
Les dimensions environnementales sont significatives. La révision du Guide alimentaire canadien en 2019 a mis l’accent sur les aliments végétaux sans décourager explicitement la consommation de viande – une position nuancée qui reflète le sentiment public. La chercheuse environnementale Emma Wilson de l’Université de la Colombie-Britannique note : « Réduire la consommation de viande de seulement 25 % dans l’ensemble de la population aurait plus d’impact que de convertir un petit pourcentage au véganisme. »
Mais les traditions culturelles restent puissantes. Au Québec, où j’ai passé du temps à couvrir la politique provinciale l’été dernier, les producteurs de fromage artisanal et les boucheries traditionnelles continuent de prospérer aux côtés de startups innovantes à base de plantes. La culture alimentaire unique de la province démontre comment les identités régionales façonnent les habitudes alimentaires, indépendamment des tendances nationales.
Les communautés autochtones offrent une perspective entièrement différente. En parlant avec Melissa Thunder, défenseure de la souveraineté alimentaire anishinaabe, elle a souligné que « les régimes alimentaires autochtones traditionnels comprenaient à la fois des aliments végétaux et des viandes chassées en harmonie avec la disponibilité saisonnière. La distinction binaire entre aliments végétaux et animaux est une construction coloniale. »
Les données de l’industrie de la restauration de Restaurants Canada montrent que les établissements s’adaptent à cet état d’esprit flexible. Près de 70 % des restaurants canadiens proposent désormais d’importantes options végétales, tout en maintenant des plats centrés sur la viande comme piliers de leur menu. C’est une adaptation plutôt qu’une révolution.
« Il y a cinq ans, nous aurions peut-être ouvert un restaurant exclusivement végétalien, » explique James Kim, restaurateur torontois. « Aujourd’hui, nous connaissons le succès avec des menus qui offrent d’excellentes options à base de plantes aux côtés de protéines animales soigneusement sourcées. Nos clients apprécient d’avoir le choix. »
Le message politique autour de l’alimentation continue d’évoluer. Le financement agricole du gouvernement libéral soutient maintenant à la fois l’agriculture traditionnelle et le développement de protéines alternatives, une approche inclusive qui reflète la réalité électorale. Ni les communautés agricoles rurales ni les défenseurs urbains de la durabilité ne peuvent être ignorés.
L’analyse des médias sociaux révèle d’intéressantes variations régionales. Les Canadiens de l’Atlantique partagent davantage de repas centrés sur les fruits de mer, les provinces des Prairies maintiennent de plus fortes traditions bœuf, et la Colombie-Britannique est en tête dans l’expérimentation à base de plantes. Ces modèles reflètent non seulement la disponibilité des aliments, mais aussi des identités régionales profondément enracinées.
Ce qui ressort de mes reportages à travers les provinces, c’est que les Canadiens élaborent des philosophies alimentaires personnelles basées sur la santé, l’environnement, le coût et la culture – priorisant souvent différents facteurs selon les repas. C’est une approche complexe et nuancée de l’alimentation qui défie toute catégorisation simple.
« La tendance alimentaire la plus canadienne pourrait être le refus d’être dogmatique sur la nourriture, » observe Lenore Newman, historienne culinaire. « Nous sommes des mangeurs pragmatiques qui naviguent des choix complexes dans un vaste pays aux traditions diverses. »
Alors que je me prépare à couvrir la conférence sur la politique agricole le mois prochain, je me rappelle que la nourriture dans nos assiettes reste à la fois personnelle et politique. La tendance flexitarienne suggère que les Canadiens trouvent leur propre voie – un repas réfléchi à la fois.