Les Canadiens ne reculent pas quand il s’agit de tenir tête aux pressions commerciales américaines, même si cela pourrait affecter leur portefeuille. Un récent sondage de Nanos Research a révélé que 69 % des Canadiens soutiennent des mesures de représailles contre les tarifs américains – un consensus frappant dans un pays souvent divisé sur la politique économique.
Ce sondage survient alors que le gouvernement Trudeau marche sur une corde raide diplomatique, choisissant la retenue plutôt qu’une riposte immédiate face aux hausses de tarifs sur l’aluminium annoncées par le président Biden en mai dernier. Bien que l’approche d’Ottawa semble prudente, les Canadiens moyens semblent prêts à adopter une position plus confrontationnelle.
« Il y a quelque chose de profondément canadien dans cette réponse, » affirme Keith Brooks, analyste commercial au Centre canadien de politiques alternatives. « Nous avons historiquement valorisé l’équité dans les relations commerciales, et ces chiffres suggèrent que les Canadiens considèrent les tarifs sur l’aluminium comme fondamentalement injustes. »
La force surprenante de ce sentiment transcende les clivages politiques. Le soutien aux représailles était le plus élevé au Québec à 76 % – ce qui n’est pas surprenant étant donné l’importante industrie de l’aluminium de la province – mais est resté fort dans l’Alberta traditionnellement conservatrice à 64 %.
Cette réponse unifiée reflète une frustration croissante face aux tensions commerciales récurrentes. Le Canada a traversé plusieurs cycles de tarifs américains ces dernières années, notamment les droits sur l’acier et l’aluminium de 2018 qui ont provoqué 16,6 milliards de dollars de contre-mesures canadiennes.
Mary Ng, ministre canadienne du Commerce international, a maintenu que le gouvernement « explore toutes les options » tout en poursuivant les voies diplomatiques. Cette approche mesurée contraste avec la position plus agressive que les Canadiens semblent favoriser.
« La prudence du gouvernement a un sens économique mais risque d’apparaître comme une faiblesse sur le plan national, » explique Meredith Lilly, professeure de commerce international à l’Université Carleton. « Les tarifs de représailles nuisent inévitablement aux consommateurs canadiens et aux entreprises qui dépendent des importations américaines. »
Le calcul économique est complexe. Le Canada a exporté 11,2 milliards de dollars de produits d’aluminium vers les États-Unis en 2023, selon Statistique Canada. Bien que les tarifs de représailles puissent satisfaire le sentiment public, ils pourraient accélérer l’inflation qui atteint déjà 2,9 % à l’échelle nationale.
Pour les entreprises prises dans le feu croisé, l’incertitude crée des défis de planification. « Nous nous approvisionnons en composants des deux côtés de la frontière, » explique Marco Fortier, dont l’entreprise manufacturière montréalaise emploie 48 personnes. « Chaque fois que les tarifs deviennent un enjeu politique, nous devons reconsidérer l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement. »
Les experts en commerce notent que la retenue du Canada pourrait refléter la reconnaissance de l’élection américaine à venir. « Ottawa n’a guère envie d’antagoniser l’un ou l’autre des candidats présidentiels avant novembre, » suggère Jean-François Perrault, économiste principal à la Banque Scotia. « Le gouvernement espère probablement que cette question deviendra sans objet après l’élection. »
L’opinion publique semble plus chargée émotionnellement que guidée par des considérations politiques. Lorsque les sondeurs ont interrogé sur les conséquences économiques potentielles, le soutien aux représailles n’a baissé que légèrement à 61 %.
Ce soutien résilient à une position ferme survient malgré des vents économiques contraires. La croissance du PIB du Canada a ralenti à 1,1 % au premier trimestre 2024, et l’endettement des ménages reste parmi les plus élevés des économies développées.
Pour les communautés dépendantes de la production d’aluminium, comme le Saguenay-Lac-Saint-Jean au Québec, la question transcende l’économie. « Ce n’est pas seulement une question de politique commerciale; c’est une question de dignité, » déclare Christine Tremblay, responsable du développement économique régional. « Ce sont des industries multigénérationnelles qui définissent qui nous sommes. »
Le schéma historique suggère que la réponse modérée du Canada pourrait être temporaire. Lors de précédents différends commerciaux, les responsables canadiens ont généralement élaboré des contre-mesures ciblées conçues pour avoir un impact sur des régions politiquement sensibles aux États-Unis.
« Ce qui est différent cette fois, c’est le moment, » note Louis Pauly, économiste politique de l’Université de Toronto. « Avec les élections canadiennes et américaines à l’horizon, les relations commerciales sont encore plus chargées politiquement que d’habitude. »
Pour l’instant, l’écart entre le sentiment public et l’action gouvernementale souligne les défis de la gestion d’une relation commerciale asymétrique. Le Canada envoie environ 75 % de ses exportations aux États-Unis, créant un déséquilibre de pouvoir inévitable.
Alors qu’Ottawa navigue dans ces eaux, le fort soutien public aux représailles offre une couverture politique pour des mesures plus sévères si les efforts diplomatiques échouent. Reste à voir si le gouvernement finira par répondre à cet appétit public pour la confrontation.
Le message des Canadiens, cependant, semble clair : quand il s’agit d’équité commerciale, ils sont prêts à payer le prix pour défendre leur position.