La campagne électorale estivale dans la circonscription de Foothills-Lethbridge en Alberta s’est soudainement animée d’une énergie inattendue. Ce qui était présumé être une victoire confortable pour les Conservateurs s’est transformé en véritable test de résilience démocratique, alors que trois candidats indépendants lancent un sérieux défi à la machine du parti de Pierre Poilievre.
« Les gens ici sont fatigués d’être pris pour acquis, » explique Marilyn North Peigan, une militante de la communauté Blackfoot et l’une des candidates indépendantes qui gagne du terrain. « Cette circonscription vote Conservateur depuis des générations, mais aux portes, j’entends que les électeurs veulent quelqu’un qui place la communauté au-dessus de la loyauté partisane. »
L’élection partielle du 29 juillet, déclenchée lorsque le député de longue date John Barlow a démissionné pour poursuivre des opportunités dans le secteur privé, était initialement considérée comme un territoire acquis aux Conservateurs. La circonscription a élu des représentants de droite sans interruption depuis 1972. Mais le paysage politique a radicalement changé ces dernières semaines.
Sarah Woodgate, une entrepreneure locale et autre candidate indépendante, me confie lors d’un arrêt de campagne au lac Henderson qu’elle ressent une véritable ouverture au changement. « Les électeurs ne cessent de dire qu’ils se sentent oubliés par Ottawa. Ils veulent une représentation qui commence ici, chez eux, pas des politiques dictées par les quartiers généraux du parti. »
Cette élection partielle représente plus que le simple fait de combler un siège vacant. Elle s’impose comme un test décisif pour le leadership de Poilievre et l’image des Conservateurs dans leur fief albertain. Un récent sondage d’Abacus Data suggère que l’avance conservatrice s’est réduite à seulement 9 points par rapport au vote indépendant combiné—un développement surprenant dans une région où des marges de 20 à 30 points sont habituelles.
La candidate conservatrice Tanya Fir, ancienne ministre provinciale, s’est largement appuyée sur la présence de Poilievre durant les événements de campagne. « Nous nous concentrons sur notre message positif pour rendre l’Alberta plus forte au sein du Canada, » a déclaré Fir lors d’un récent rassemblement. Lorsqu’interrogée sur la montée des indépendants, sa campagne a refusé tout commentaire supplémentaire.
Ce qui rend cette course particulièrement remarquable, c’est la nature localisée des préoccupations des électeurs. Dans les conversations à travers la circonscription, des cafés de Lethbridge aux ranchs des contreforts occidentaux, les résidents mentionnent régulièrement la sécurité hydrique, la durabilité agricole et l’accès aux soins de santé—des enjeux qu’ils estiment subordonnés aux batailles partisanes nationales.
« Ma famille cultive ici depuis trois générations, » explique Joseph Mercer, un électeur indécis que j’ai rencontré devant une quincaillerie à Claresholm. « Mais j’ai l’impression que nos députés passent plus de temps à se battre dans les guerres culturelles qu’à sécuriser nos droits à l’eau ou à améliorer les assurances-récoltes. »
Ce sentiment semble répandu. Selon Élections Canada, les candidatures indépendantes ont augmenté de 47% à l’échelle nationale depuis 2019, l’Alberta connaissant la hausse la plus marquée. La politologue Dr. Melanee Thomas de l’Université de Calgary attribue cette tendance à l’insatisfaction envers la politique partisane.
« Ce à quoi nous assistons, c’est que les électeurs remettent de plus en plus en question si l’affiliation à un parti apporte vraiment des résultats pour leurs communautés, » explique Thomas. « Dans les circonscriptions avec de fortes identités régionales comme Foothills-Lethbridge, il y a un scepticisme croissant quant à savoir si les partis nationaux comprennent vraiment les priorités locales. »
Le troisième candidat indépendant, l’ancien conseiller municipal Richard Blakeley, a centré sa campagne sur les préoccupations agricoles. Lors d’une assemblée publique à Pincher Creek rassemblant près de 200 résidents, Blakeley s’est adressé à la foule avec sa franchise caractéristique.
« Ottawa ne comprend pas le sud de l’Alberta et, franchement, ne fait pas d’effort pour le comprendre, » a-t-il déclaré sous les hochements de tête approbateurs. « Nous avons besoin de quelqu’un qui se réveille en pensant aux infrastructures d’irrigation et aux soins de santé ruraux, pas quelqu’un qui cherche à marquer des points à la période des questions. »
Le Parti conservateur a réagi en dépêchant ses poids lourds. Poilievre lui-même s’est déplacé deux fois, tandis que la première ministre albertaine Danielle Smith est apparue lors de trois événements de campagne—une attention inhabituelle pour ce qui devrait être un siège assuré.
Les candidats libéral et néo-démocrate, bien que présents sur le bulletin, peinent à gagner du terrain, récoltant respectivement 12% et 9% des intentions de vote selon le dernier sondage de Mainstreet Research. Cela a effectivement transformé la course en un référendum sur la possibilité de défier la domination conservatrice par des indépendants axés sur la communauté.
Le désavantage financier auquel font face les indépendants demeure substantiel. Les déclarations à Élections Canada montrent que la campagne conservatrice a recueilli plus de 340 000 $, tandis que les trois indépendants combinés atteignent à peine 90 000 $. Pourtant, leur travail de terrain a été impressionnant, avec un nombre de bénévoles qui dépasse même celui de l’opération conservatrice.
« Ce n’est pas une question d’argent, » insiste Woodgate. « C’est une question de conversations. J’ai personnellement frappé à plus de 3 000 portes. Les gens apprécient de voir leur candidate plutôt qu’un bénévole du parti qui lit un texte préparé. »
Pour Poilievre, qui a investi un capital politique considérable pour présenter son leadership comme résonnant auprès des Canadiens ordinaires, un résultat serré—sans parler d’une défaite—minerait son récit d’élan croissant en vue des prochaines élections générales.
À l’approche du jour du scrutin, les ondes se sont remplies de messages de plus en plus acérés. Les publicités conservatrices insistent sur le risque de « votes gaspillés » et « d’avantage donné à Trudeau, » tandis que les campagnes indépendantes se concentrent sur l’autonomie communautaire et la représentation locale.
Le résultat demeure incertain, mais ce qui est déjà clair, c’est que la conversation politique a changé. Dans une province longtemps considérée comme un bastion conservateur, les électeurs posent des questions fondamentales sur la représentation et la responsabilité démocratique.
Comme le dit North Peigan : « Gagnants ou perdants, nous avons déjà réussi d’une manière importante—les gens ici parlent de ce qu’ils veulent vraiment de leur député, au lieu de voter par habitude ou par loyauté partisane. »
Dans une ère politique souvent définie par des récits nationaux et des divisions partisanes, l’élection partielle de Foothills-Lethbridge offre quelque chose de différent : un rappel que la démocratie fonctionne parfois mieux quand elle commence à la maison.