Alors que le ministre des Finances Mark Carney quitte son chalet de vacances à Outremont, le soleil matinal illumine sa chemise fraîchement repassée – bien loin de l’apparence froissée qu’il affichait lors du briefing économique d’urgence du mois dernier. Le vétéran de la banque centrale devenu politicien offre un rare demi-sourire avant de confirmer ce que les initiés d’Ottawa murmurent depuis des semaines.
« Oui, nous présenterons un budget d’automne complet en octobre », me confie Carney, ajustant ses lunettes tout en scrutant l’horizon. « Les Canadiens méritent une certitude économique après ce qui a été une transition difficile. »
Cette « transition difficile » – un euphémisme poli pour la volatilité des marchés qui a suivi le remaniement du cabinet libéral – a défini les cent premiers jours de Carney en fonction. Depuis qu’il a échangé ses références de la Banque d’Angleterre contre un siège au Parlement à travers une élection partielle estivale, Carney a dû relever la tâche peu enviable de stabiliser les perspectives fiscales du Canada au milieu de pressions inflationnistes croissantes.
Selon des sources au sein du ministère des Finances, le budget d’octobre se concentrera fortement sur l’abordabilité du logement, les transferts en santé aux provinces et les infrastructures résistantes au changement climatique – trois piliers que Carney a maintes fois soulignés lors des réunions du caucus. Le document reflétera ce qu’un haut fonctionnaire a décrit comme « l’approche méthodique de Carney en matière de planification fiscale, sans le théâtre politique habituel ».
Le choix du moment est éloquent. En optant pour l’automne plutôt que le cycle budgétaire traditionnel du printemps, Carney gagne des mois cruciaux pour mettre en œuvre son cadre économique distinctif, tout en se distançant de l’approche fiscale de son prédécesseur.
« Le ministre Carney croit à l’établissement d’attentes réalistes », explique Anita Chandra, directrice des politiques au Centre canadien d’analyse économique. « Le calendrier automnal donne à son équipe l’espace nécessaire pour modéliser correctement les impacts inflationnistes et les projections de taux d’intérêt par rapport aux engagements de dépenses. »
Cette décision n’a pas échappé aux critiques. Le porte-parole conservateur en matière de finances, Michael Cooper, a qualifié ce délai de « moyen commode d’éviter de rendre des comptes » lors d’un échange houleux à la période des questions la semaine dernière. « Les Canadiens sont aux prises avec le prix des épiceries maintenant, pas en octobre », a soutenu Cooper, agitant des statistiques d’inflation qui montrent que les coûts alimentaires augmentent de 6,2 % par an.
Lorsqu’on le presse sur ces préoccupations, Carney semble imperturbable. « La politique économique ne consiste pas à trouver des solutions rapides. J’ai géré la politique monétaire à travers des crises mondiales – je comprends l’importance d’un séquençage soigneux et d’une communication claire. »
Ce ton mesuré masque un recalibrage significatif en coulisses. Trois membres du personnel du ministère des Finances, s’exprimant sous couvert d’anonymat, décrivent des sessions intensives de week-end passées à examiner les engagements de dépenses de tous les ministères fédéraux. « Il pose des questions auxquelles les ministres n’ont pas eu à répondre depuis des années », révèle un analyste principal. « Les jours des prévisions vagues sont définitivement terminés. »
Le budget d’automne marquera le premier plan fiscal complet de Carney depuis sa nomination qui a choqué les observateurs politiques en juillet. Son arrivée au Cabinet a suivi des mois d’incertitude économique et un chemin de plus en plus étroit vers la victoire électorale pour les libéraux au pouvoir. Un récent sondage d’Abacus Data suggère que le pari pourrait porter ses fruits – la confiance du public dans la gestion économique a augmenté de 7 points de pourcentage depuis la nomination de Carney.
Au Tim Hortons d’Orléans où je rencontre des navetteurs matinaux, les réactions au calendrier budgétaire de Carney reflètent l’humeur nationale : un optimisme prudent mêlé à des préoccupations pratiques.
« Je suis contente que quelqu’un avec son expérience soit aux commandes, mais j’ai besoin de voir des résultats concrets sur les prix des logements », confie Maryam Khalid, infirmière et mère de deux enfants qui fait la navette jusqu’à l’Hôpital d’Ottawa. « Ma fille ne trouve rien d’abordable même avec un salaire correct dans la tech. »
Ce sentiment fait écho à travers les groupes démographiques. Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a noté dans sa mise à jour fiscale d’août que l’abordabilité du logement demeure « le défi économique majeur auquel font face les Canadiens de la classe moyenne », avec des prix moyens des maisons atteignant maintenant 11 fois le revenu médian des ménages dans les grands centres urbains.
De retour à Outremont, Carney reconnaît ces pressions. « Nous construisons un cadre budgétaire qui répond à la fois aux préoccupations immédiates d’abordabilité et à la résilience économique à long terme », explique-t-il, soulignant son expérience dans la direction de la politique monétaire pendant la crise financière de 2008.
Cette double orientation correspond aux attentes des dirigeants provinciaux. Suite à la réunion du Conseil de la fédération à Winnipeg la semaine dernière, les premiers ministres ont exprimé un soutien nuancé à l’approche de Carney. « Le ministre Carney apporte une précieuse perspective internationale, mais il devra démontrer une réelle compréhension des différences économiques régionales », a noté le premier ministre du Québec François Legault.
Le calendrier budgétaire d’octobre positionne le plan économique environ un an avant une potentielle élection fédérale, donnant au gouvernement le temps de mettre en œuvre des mesures clés tout en présentant la vision économique de Carney aux électeurs.
Alors que notre entretien se termine, l’aide de Carney signale qu’il est temps pour son prochain rendez-vous. Le ministre des Finances offre une réflexion finale qui semble soigneusement calibrée entre expertise technocratique et conscience politique : « Les budgets ne sont pas seulement une question de chiffres – il s’agit de montrer aux Canadiens une voie crédible vers l’avenir. C’est ce que nous livrerons en octobre. »
Reste à savoir si cette voie convaincra un électorat sceptique – c’est la question à 400 milliards de dollars.