Dans un revirement politique qui signale une attention accrue sur la fabrication nationale, Mark Carney, conseiller économique libéral et ancien gouverneur de la Banque du Canada, a exprimé son ferme soutien à la protection des industries canadiennes de l’acier et du bois d’œuvre face à la concurrence étrangère. Lors d’un événement à Hamilton, Ontario—le cœur sidérurgique du Canada—Carney a présenté une vision qui remet en question des décennies d’orthodoxie du libre-échange.
« Nous sommes passés d’un monde d’interdépendance et d’efficacité à un monde où la résilience importe », a déclaré Carney aux leaders de l’industrie réunis dans les installations de Stelco. « Le Canada doit reconstruire sa colonne vertébrale industrielle, à commencer par l’acier et le bois—les véritables piliers de notre économie. »
Le moment ne pourrait être plus chargé politiquement. Avec les Libéraux à la traîne dans les sondages et les villes manufacturières subissant la pression des importations moins chères, particulièrement de Chine et d’autres producteurs asiatiques, les commentaires de Carney suggèrent un recalibrage stratégique. Ses remarques font écho aux sentiments protectionnistes similaires qui gagnent du terrain mondialement, de Washington à Bruxelles.
Les dirigeants de l’industrie sidérurgique présents à l’événement ont accueilli favorablement les propos de Carney. « Depuis des années, nous faisons face à des règles du jeu inégales », a déclaré Catherine Cobden, présidente de l’Association canadienne des producteurs d’acier. « L’acier étranger ne respecte souvent pas nos normes environnementales mais casse nos prix. Reconnaître cela n’est pas seulement une question d’emplois—c’est une question de sécurité nationale. »
L’approche de Carney représente ce que les économistes appellent le « commerce géré »—un écart contrôlé des principes du marché libre pur. Selon ce modèle, des tarifs ciblés, des exigences d’approvisionnement national et des ajustements carbone aux frontières aideraient à protéger les producteurs canadiens des concurrents opérant sous des réglementations environnementales moins strictes.
Le secteur forestier pourrait également en bénéficier considérablement. Les producteurs de bois d’œuvre de la Colombie-Britannique ont traversé des disputes répétées avec les États-Unis tout en faisant face à un accès réduit au bois en raison des efforts de conservation et des impacts des feux de forêt. « Nous avons été pris dans une tempête parfaite », a noté Susan Yurkovich du Conseil du commerce du bois de la C.-B. « Une certitude réglementaire au pays combinée à un commerce équitable à l’étranger serait transformatrice. »
Ce qui rend la position de Carney particulièrement remarquable est son parcours comme champion de la mondialisation pendant son mandat à la Banque d’Angleterre et à la Banque du Canada. Son apparente évolution reflète des changements politiques plus larges qui se produisent dans le monde entier, alors que les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement exposées pendant la pandémie continuent de remodeler la pensée économique.
L’approche proposée n’est pas sans critiques. Les économistes spécialistes du commerce pointent vers des mesures de représailles potentielles de la part des partenaires commerciaux et des coûts plus élevés pour les consommateurs canadiens. « Chaque fois que vous protégez une industrie, vous augmentez les coûts pour d’autres », a averti Trevor Tombe, économiste à l’Université de Calgary. « Les tarifs sur l’acier signifient des bâtiments, des machines et des véhicules plus chers. »
D’autres se demandent si le timing indique un opportunisme politique plutôt qu’une stratégie économique solide. Les députés conservateurs ont déjà qualifié cette initiative de « posture électorale » plutôt que de politique substantielle.
Pourtant, les communautés manufacturières y voient une raison d’espérer. Hamilton, autrefois surnommée « Ville de l’Acier », a connu des décennies de déclin industriel malgré des réinvestissements récents. Le représentant syndical local Mickey Mercanti voit positivement ce changement de politique : « Nous ne demandons pas l’aumône—juste des règles du jeu équitables. Nos travailleurs respectent des normes de classe mondiale tandis que les concurrents étrangers contournent souvent les réglementations environnementales et de travail. »
La question de la politique climatique est au cœur de cette discussion. Carney, qui a construit une grande partie de sa carrière post-banque centrale autour de la finance climatique, soutient que les industries canadiennes de l’acier et du bois sont en réalité plus propres que de nombreux concurrents étrangers. « Notre acier produit environ la moitié des émissions de carbone par tonne par rapport à l’acier chinois », a-t-il noté. « Choisir des produits canadiens signifie souvent choisir l’option respectueuse du climat. »
Cet angle environnemental donne aux Libéraux une voie potentielle pour concilier leur politique industrielle avec les engagements climatiques—un exercice d’équilibre qui s’est avéré difficile dans toutes les démocraties occidentales.
Les détails de mise en œuvre restent rares, bien que des sources suggèrent qu’une stratégie manufacturière complète pourrait émerger avant la fin de l’année. Un tel plan inclurait probablement des ajustements carbone aux frontières, des exigences élargies d’approvisionnement gouvernemental pour les matériaux canadiens, et des investissements ciblés dans les infrastructures des communautés manufacturières.
Les enjeux économiques s’étendent au-delà des industries directement concernées. L’acier et le bois représentent des intrants fondamentaux pour la construction, l’industrie automobile et les infrastructures—des secteurs qui emploient collectivement des millions de Canadiens. Les effets d’entraînement d’une production nationale plus forte pourraient renforcer la résilience de la chaîne d’approvisionnement dans de multiples industries.
Pour des communautés comme Nanaimo, en Colombie-Britannique, ou Sault Ste. Marie, en Ontario, où les usines forment le fondement économique, cette orientation politique signale un renouveau potentiel. « Quand nous perdons ces emplois, nous ne perdons pas seulement des chèques de paie—nous perdons des communautés entières », a observé le maire Christian Provenzano de Sault Ste. Marie.
Le timing s’aligne avec des mouvements similaires à l’international. La loi sur la réduction de l’inflation du président Biden a injecté des milliards dans la fabrication américaine, tandis que l’Union européenne avance sa propre politique industrielle pour contrer le capitalisme d’État chinois.
Reste à voir si la vision de Carney se traduira par une politique efficace—et si elle arrivera à temps pour aider le gouvernement libéral en difficulté. Ce qui est clair, c’est que le Canada semble prêt à rejoindre le virage mondial vers un nationalisme économique dans les secteurs stratégiques, mettant fin à des décennies de foi sans entrave dans la promesse de la mondialisation.
Pour les travailleurs des communautés qui ont vu les emplois manufacturiers disparaître à l’étranger, ce changement ne peut pas arriver assez tôt.