Dans les étendues enneigées du nord du Québec, un établissement d’enseignement révolutionnaire transforme silencieusement l’avenir des jeunes autochtones. L’institution postsecondaire de la Commission scolaire crie, le Centre régional de formation professionnelle Sabtuan, est devenu un phare d’espoir et de préservation culturelle pour des communautés longtemps mal desservies par les systèmes d’éducation conventionnels.
En parcourant les couloirs du centre à Waswanipi, à environ 700 kilomètres au nord de Montréal, on sent immédiatement quelque chose de différent. Ici, l’éducation n’exige pas que les étudiants laissent leur culture à la porte – elle la célèbre.
« Ce que nous faisons ne concerne pas seulement la formation professionnelle. Il s’agit de guérison, de reconnecter nos jeunes avec leur identité tout en leur donnant les outils pour s’épanouir dans l’économie actuelle, » explique Sarah Pash, présidente de la Commission scolaire crie, lors d’un rassemblement communautaire le mois dernier.
Le centre offre des programmes adaptés aux besoins d’emploi régionaux et aux priorités culturelles. Les étudiants peuvent poursuivre des certifications dans des domaines allant de la menuiserie aux soins de santé, tout en maintenant un lien avec la langue, le territoire et les traditions qui définissent l’identité crie.
Statistique Canada rapporte que seulement 43 pour cent des peuples autochtones vivant dans les réserves possèdent des qualifications postsecondaires, comparativement à 61 pour cent des Canadiens non autochtones. Cet écart éducatif persiste depuis des générations, mais des institutions comme le centre Sabtuan travaillent à changer cette situation.
Ce qui rend cette approche particulièrement efficace, c’est son ancrage dans les besoins communautaires. Plutôt que d’imposer des modèles éducatifs externes, le programme a été élaboré grâce à une vaste consultation avec les aînés, les employeurs et les jeunes eux-mêmes.
« Je n’ai jamais pensé que je pourrais devenir charpentier sans quitter ma communauté et ma famille, » témoigne Jacob Etapp, un récent diplômé qui travaille maintenant sur un projet de logement dans sa communauté. « Ici, j’ai appris non seulement le métier, mais aussi comment nos ancêtres abordaient la construction. Je perpétue cet héritage. »
Le gouvernement du Québec a reconnu l’approche innovante du centre en accordant 10,4 millions de dollars de financement supplémentaire l’année dernière pour élargir les programmes. Cela représente un changement dans la façon dont les autorités provinciales perçoivent l’éducation autochtone – passant de l’assimilation à l’autonomisation.
Pourtant, des défis demeurent. L’héritage des pensionnats continue de projeter une longue ombre sur les établissements d’enseignement dans les communautés autochtones. Bâtir la confiance prend du temps, surtout lorsque de nombreux parents et grands-parents ont vécu des traumatismes profonds dans des contextes éducatifs.
« Nous reconnaissons cette histoire chaque jour, » affirme le directeur de l’éducation Mark Rodgers. « C’est pourquoi tout ce que nous faisons commence par la question: est-ce que cela respecte l’identité de nos étudiants en tant que Cris? »
L’approche du centre semble fonctionner. Les inscriptions ont augmenté de 32 pour cent au cours des trois dernières années, avec des taux de rétention nettement supérieurs aux moyennes provinciales pour les étudiants autochtones. Les témoignages des diplômés qui sont revenus renforcer leurs communautés sont peut-être encore plus révélateurs.
Melissa Neeposh a terminé le programme d’assistance en soins infirmiers du centre l’année dernière et travaille maintenant à la clinique de santé locale. « Quand les aînés viennent et peuvent parler à quelqu’un en cri de leurs problèmes de santé, on voit le soulagement sur leurs visages, » me confie-t-elle lors d’une initiative communautaire de soins de santé. « Cette connexion compte autant que les connaissances médicales. »
Au-delà de la formation professionnelle, le centre a introduit des programmes innovants qui mêlent savoirs traditionnels et compétences contemporaines. Un partenariat avec l’Université McGill permet aux étudiants de commencer des études postsecondaires localement avant de transiter vers les campus montréalais s’ils le souhaitent.
Le Grand Conseil des Cris a soutenu l’expansion de l’institution dans le cadre d’efforts plus larges d’autonomie gouvernementale. En vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, la Nation crie a progressivement assumé un plus grand contrôle sur l’éducation, les soins de santé et le développement économique.
« C’est à cela que ressemble la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans la pratique, » note la Grande Chef Mandy Gull-Masty. « Une éducation conçue par et pour les peuples autochtones, respectant notre droit de préserver nos langues et de préparer nos jeunes au succès tel que nous le définissons. »
L’impact du centre s’étend au-delà des étudiants individuels. Les entreprises locales s’associent de plus en plus aux programmes de formation, créant des voies vers l’emploi dans une région où les opportunités ont historiquement été limitées. Les compagnies minières, les établissements de santé et les entreprises de construction recrutent maintenant directement parmi les étudiants.
Bien que le modèle s’avère efficace, les éducateurs sont lucides quant au travail à accomplir. Les pénuries de logements dans les communautés nordiques rendent difficile la fréquentation pour certains étudiants. La connectivité Internet – essentielle pour accéder à certaines ressources – demeure inégale. Et les blessures psychologiques issues de générations de traumatismes éducatifs nécessitent une guérison continue.
Ce qui rend cette institution remarquable, ce n’est pas seulement son offre académique, mais son engagement à devenir partie intégrante du tissu communautaire. Les cérémonies saisonnières, les festins communautaires et l’implication familiale ne sont pas des activités parascolaires – ils sont fondamentaux dans la façon dont l’éducation se déroule ici.
Alors que les gouvernements fédéral et provinciaux font face à une pression croissante pour faire avancer les efforts de réconciliation, le centre Sabtuan offre un exemple concret d’éducation qui honore la souveraineté autochtone tout en ouvrant des portes vers l’opportunité.
Pour les jeunes qui parcourent ses couloirs, il représente quelque chose de profond: la chance d’avancer sans se laisser derrière.