Debout dans les champs détrempés par la pluie près de Chasiv Yar la semaine dernière, j’ai observé les tirs d’artillerie ukrainiens illuminer le ciel avant l’aube. Le tonnerre des obus sortants est devenu plus désespéré ces derniers jours alors que les forces russes avancent à un rythme jamais vu depuis les premiers mois de l’invasion.
« Nous tirons tout ce que nous avons, mais ce n’est pas suffisant, » m’a confié le Lieutenant Dmytro, son visage éclairé par la lueur d’une cigarette. « Les Russes arrivent par vagues. Quand un groupe meurt, un autre apparaît. »
Ces trois dernières semaines, les forces russes ont réalisé leurs gains territoriaux les plus importants dans l’est de l’Ukraine depuis 2022. Les troupes de Moscou ont avancé jusqu’à 10 kilomètres dans certaines sections de la région de Donetsk, capturant plusieurs villages et menaçant des positions défensives ukrainiennes clés qui tenaient depuis des mois.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a reconnu la situation difficile lors de son allocution nocturne dimanche, déclarant que les combats avaient atteint « l’intensité maximale » dans plusieurs secteurs de l’est. « Nos soldats font tout leur possible pour tenir les positions et infliger un maximum de pertes aux occupants, » a-t-il affirmé.
Mais derrière les déclarations officielles se cache une réalité plus dure. Les forces ukrainiennes font face à des pénuries critiques de munitions tandis que les troupes russes exploitent leur énorme avantage numérique. Selon les données du ministère ukrainien de la Défense, la Russie a déployé environ 50 000 soldats supplémentaires sur le front est depuis avril, leur permettant de maintenir des opérations offensives malgré de lourdes pertes.
La chute de la petite ville minière de Niu-York (New York) le 13 juin a ouvert une dangereuse brèche dans les lignes ukrainiennes. Les forces russes ont rapidement exploité cette percée, avançant vers Toretsk et menaçant d’encercler les unités ukrainiennes dans plusieurs localités. Les analystes militaires ukrainiens estiment que la Russie a capturé plus de 300 kilomètres carrés de territoire dans la région est de Donetsk depuis fin mai.
« La situation approche du point critique, » m’a expliqué Oleksandr Solonko, un analyste militaire que je consulte régulièrement durant mes cinq mois de couverture de ce conflit. « Les Russes exercent une pression simultanée sur plusieurs axes, empêchant les commandants ukrainiens de renforcer les sections menacées. »
Ces avancées rapides ont choqué de nombreux observateurs qui croyaient que les lignes de front s’étaient largement stabilisées. Depuis fin 2022, les progrès se mesuraient généralement en mètres plutôt qu’en kilomètres. Ce changement dramatique découle de plusieurs facteurs interconnectés.
D’abord, les forces ukrainiennes continuent de faire face à de sévères contraintes en matière de munitions, particulièrement pour les systèmes d’artillerie. Plusieurs commandants de brigade m’ont confirmé que les unités sont limitées à tirer seulement 10 à 20% de ce que les forces russes peuvent déployer. Cette disparité permet aux troupes russes de supprimer efficacement les positions ukrainiennes avant d’avancer.
« J’ai cinq obus pour chaque centaine qu’ils tirent, » m’a confié un officier d’artillerie ukrainien près de Toretsk vendredi dernier. « Nous devons choisir nos cibles avec soin. Pendant ce temps, ils tirent sur tout ce qui bouge. »
Ensuite, la Russie a adapté ses tactiques. Plutôt que les assauts blindés massifs observés plus tôt dans la guerre, les forces russes emploient maintenant de petits groupes d’infanterie soutenus par des drones et de l’artillerie de précision. Lorsque les défenseurs ukrainiens révèlent leurs positions pour contrer ces groupes, ils font face à des frappes immédiates de drones ou des barrages d’artillerie.
Le coût humain a été effarant. Les équipes ukrainiennes d’évacuation médicale rapportent prendre en charge entre 80 et 120 soldats blessés quotidiennement du seul secteur Toretsk-Chasiv Yar. Les pertes russes semblent encore plus élevées, mais Moscou paraît prêt à accepter ces pertes pour maintenir l’élan offensif.
En visitant un hôpital de campagne près de Kramatorsk, j’ai été témoin de la réalité sombre qui attend le personnel médical ukrainien. « Les blessés arrivent plus vite que nous ne pouvons les traiter, » a expliqué Dr. Iryna Kostenko alors que des médecins se précipitaient pour sortir un autre soldat d’une ambulance. « Beaucoup ont des blessures complexes causées par des munitions larguées par drones—difficiles à traiter dans des conditions de terrain. »
La détérioration de la situation a intensifié la pression sur les partenaires occidentaux de l’Ukraine pour accélérer les livraisons d’armes. Le récent paquet d’aide américain, retardé pendant des mois par des querelles au Congrès, commence seulement à atteindre les unités en première ligne. Les responsables militaires affirment que l’impact ne se fera pas sentir avant plusieurs semaines.
Les ministères européens de la défense ont promis un soutien supplémentaire, le Royaume-Uni annonçant 300 millions de livres d’aide militaire supplémentaire la semaine dernière. Pourtant, l’écart entre l’assistance promise et la réalité du champ de bataille demeure substantiel.
Plus inquiétant encore est la capacité apparente de la Russie à maintenir ce rythme offensif malgré les sanctions internationales et les contrôles d’exportation. Des sources de renseignement occidentales indiquent que la Russie a considérablement élargi sa production nationale d’obus d’artillerie, atteignant près de 4 millions d’obus par an—dépassant significativement la production occidentale combinée pour l’Ukraine.
« La Russie a essentiellement transformé son économie pour l’adapter à l’effort de guerre, » a noté Emma Ashford de la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale. « Pendant ce temps, les nations occidentales continuent de traiter cela comme un conflit limité qui peut être géré avec des paquets d’aide périodiques. »
Pour les civils pris dans la trajectoire des avancées russes, la situation est devenue de plus en plus désastreuse. À Toretsk, où environ 10 000 résidents demeurent sur une population d’avant-guerre de 30 000, les efforts d’évacuation se sont accélérés. Les autorités locales rapportent entre 100 et 150 personnes partant quotidiennement alors que les forces russes approchent de trois directions.
« Je ne voulais pas partir, mais les bombardements se rapprochent chaque jour, » a déclaré Maria Petrenko, 67 ans, en montant dans un bus d’évacuation avec une petite valise. « La maison de ma voisine a été touchée hier. Il ne reste plus rien pour rester. »
Le commandement militaire ukrainien fait face à des décisions difficiles dans les jours à venir. Continuer à tenir des positions face à la puissance de feu russe écrasante risque l’encerclement et davantage de pertes. Pourtant, chaque retrait rapproche les forces russes des centres logistiques critiques de Kramatorsk et Sloviansk.
Si les tendances actuelles se poursuivent, les analystes militaires prévoient que les forces russes pourraient menacer ces grands centres urbains d’ici la fin de l’été—un scénario que les planificateurs ukrainiens ont désespérément cherché à éviter.
Alors que l’obscurité tombait sur l’est de l’Ukraine hier soir, le son des tirs d’artillerie intenses résonnait à travers la steppe. Pour les soldats ukrainiens épuisés creusant de nouvelles positions défensives, le soutien occidental promis depuis longtemps ne peut arriver assez tôt.