Installé à ma place habituelle au Café Mercato, des tableurs de données de prix ouverts sur mon portable, je réalise que les factures d’épicerie sont devenues de véritables documents politiques au Canada. La clientèle matinale qui arrive avec ses tasses réutilisables ne sait pas que j’ai passé des semaines à suivre quelque chose que la plupart des gens évitent activement de considérer : exactement combien plus nous payons tous aux caisses d’un bout à l’autre du pays.
L’inflation alimentaire est au cœur des conversations nationales depuis la COVID, mais les Canadiens savent-ils vraiment où leur argent va le plus loin en 2025? Avec les récentes audiences parlementaires qui ont mis sur la défensive les dirigeants des épiceries et les groupes de défense des consommateurs qui exigent plus de transparence, j’ai décidé de mener une comparaison approfondie des prix entre les chaînes d’épicerie dominantes au Canada : Loblaws, Walmart et Sobeys.
La méthodologie était simple mais laborieuse. Mon équipe et moi avons créé un panier standard de 50 articles quotidiens comprenant fruits et légumes, produits laitiers, viandes, denrées de base et produits ménagers essentiels. Nous avons ensuite recueilli des données de prix dans plusieurs magasins répartis dans six provinces canadiennes entre janvier et mars 2025, en contrôlant les marques équivalentes et les formats d’emballage dans la mesure du possible.
Nos découvertes remettent en question certaines idées reçues sur les détaillants qui offrent véritablement le meilleur rapport qualité-prix aux consommateurs canadiens aux prises avec une inflation alimentaire persistante.
Walmart maintient sa position de leader des prix en 2025, avec notre panier standard totalisant 217,43 $ – environ 12 % moins cher que Loblaws et 17 % moins élevé que Sobeys. Cet écart s’est en fait creusé depuis des analyses similaires menées en 2023, ce qui suggère que Walmart a redoublé d’efforts dans sa stratégie de prix agressive en réponse à une concurrence accrue et à la sensibilité des consommateurs aux prix.
« Le pouvoir d’achat mondial de Walmart crée des avantages que les détaillants canadiens peinent à égaler, » explique Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie. « Ils se sont stratégiquement positionnés comme le combattant de l’inflation tout en élargissant leur empreinte alimentaire dans les communautés canadiennes. »
Loblaws, malgré les critiques publiques persistantes concernant ses marges bénéficiaires en période d’inflation, se positionne au milieu avec 244,86 $ pour notre panier identique. Les produits de sa marque Sans Nom sont systématiquement moins chers que les marques nationales de 25 à 30 %, offrant un certain soulagement aux acheteurs soucieux de leur budget et prêts à renoncer à la fidélité aux marques.
Sobeys s’est classé comme l’option la plus coûteuse à 263,18 $, bien que les variations de prix régionales y soient les plus prononcées. Les magasins des provinces atlantiques affichaient des prix plus compétitifs par rapport à leur positionnement national, reflétant probablement la force historique de la chaîne sur ces marchés.
Au-delà des chiffres globaux, plusieurs tendances nuancées sont apparues qui pourraient aider les consommateurs à prendre des décisions plus éclairées :
Les produits frais présentaient les variations de prix les plus importantes entre détaillants. Les fruits et légumes frais de Walmart étaient en moyenne 19 % moins chers que ceux des concurrents, un facteur significatif dans l’avantage global de leur panier. Selon les données de Statistique Canada, les produits frais ont connu certaines des fluctuations de prix les plus volatiles au cours des 18 derniers mois, les impacts climatiques sur les récoltes jouant un rôle majeur.
Les marques maison ont réduit l’écart de perception de qualité. Melissa Wong, cadre en marketing spécialisée dans les produits de consommation emballés, m’a confié : « La différence de qualité entre les marques privées et les marques nationales a pratiquement disparu dans de nombreuses catégories. Les consommateurs canadiens choisissent de plus en plus les marques maison non seulement pour les économies, mais parce qu’ils préfèrent véritablement ces produits. »
Cette tendance semble la plus avancée chez Loblaws, où les produits premium Le Choix du Président étaient parfois plus chers que les marques nationales équivalentes tout en maintenant de solides volumes de ventes.
Les disparités de prix régionales persistent chez tous les détaillants. Nos données montrent que les consommateurs des communautés nordiques et de certaines parties de la Colombie-Britannique paient 8 à 15 % de plus que les acheteurs de l’Ontario et du Québec pour des articles identiques. Ces variations régionales dépassaient souvent les différences entre les chaînes concurrentes d’un même endroit.
« Les coûts de transport des aliments demeurent un facteur important dans la tarification régionale, » note James Downey, chroniqueur économique pour Maclean’s. « Malgré les améliorations dans la logistique de la chaîne d’approvisionnement depuis la pandémie, la géographie fondamentale du Canada continue de créer des inégalités de prix qui touchent de façon disproportionnée les communautés rurales et éloignées. »
Les programmes de fidélité sont devenus de plus en plus influents dans l’équation de valeur totale. Walmart+ et PC Optimum offrent tous deux des économies tangibles qui n’ont pas été prises en compte dans notre comparaison de base. Pour les acheteurs réguliers qui maximisent ces programmes, l’écart de prix effectif entre les détaillants se réduit considérablement.
Lorsque j’ai partagé nos résultats avec Priya Sharma, conseillère financière basée à Toronto qui conseille ses clients sur la budgétisation des ménages, elle a souligné que les habitudes d’achat comptent autant que les prix affichés : « De nombreuses familles canadiennes répartissent maintenant leurs achats d’épicerie entre plusieurs détaillants – peut-être Walmart pour les produits de base et les fruits et légumes, Loblaws pour certains produits Le Choix du Président qu’ils préfèrent, et potentiellement un commerce indépendant local pour des articles spécialisés. »
Cette approche hybride reflète une réponse plus sophistiquée des consommateurs face à l’inflation alimentaire que le simple changement d’allégeance vers le détaillant le moins cher.
Les données du Bureau de la concurrence indiquent que la concentration du marché dans le commerce de détail alimentaire canadien a en fait augmenté depuis 2022, les cinq principales chaînes contrôlant maintenant environ 82 % des ventes au détail de produits alimentaires à l’échelle nationale. Cette consolidation a attiré l’attention des régulateurs préoccupés par son impact à long terme sur les prix à la consommation et les relations avec les fournisseurs.
Pendant ce temps, la transformation numérique continue de remodeler le paysage de l’épicerie. Les trois principales chaînes ont investi massivement dans leurs capacités de commerce électronique, les ventes d’épicerie en ligne représentant désormais environ 14 % des dépenses totales d’épicerie au Canada selon le Conseil canadien du commerce de détail.
Alexandre Martin, consultant en commerce numérique qui a travaillé avec plusieurs grands détaillants, souligne la prochaine évolution : « Nous observons une transition vers des outils de comparaison de prix numériques plus transparents intégrés dans les applications des détaillants. Les épiciers eux-mêmes reconnaissent que les consommateurs vérifient les prix sur différentes plateformes et tentent de les retenir dans leur écosystème en offrant cette fonctionnalité eux-mêmes. »
Pour les ménages canadiens qui ressentent encore la pression des coûts alimentaires élevés, la conclusion pratique est claire : faire ses courses de manière stratégique auprès de plusieurs détaillants en fonction des forces de chaque catégorie peut générer des économies significatives au-delà de ce qu’offre une seule chaîne d’épicerie.
Alors que je range mes notes et me dirige vers la caisse de mon Loblaws de quartier, je jette un coup d’œil à ma propre liste d’épicerie. Comme beaucoup de Canadiens, je suis devenu beaucoup plus conscient non seulement de ce que j’achète, mais aussi d’où je l’achète. Les données confirment ce que de nombreux consommateurs ont intuitivement découvert – dans le paysage de l’épicerie de 2025, la fidélité peut être émotionnellement satisfaisante, mais la flexibilité est financièrement gratifiante.