Alors que l’obscurité froide de novembre s’installait sur Montréal la semaine dernière, les fidèles à l’intérieur d’une église du centre-ville levaient leurs mains en louange, se balançant au rythme de la musique du leader de culte américain Sean Feucht. L’ambiance à l’intérieur – décrite par les participants comme « spirituellement électrique » – contrastait fortement avec la tempête administrative qui se préparait à l’extérieur.
Les autorités montréalaises viennent d’infliger à l’église une lourde amende pour avoir accueilli cette figure évangélique controversée sans les permis nécessaires, soulevant des questions sur l’expression religieuse, les règlements de sécurité publique et l’intersection de plus en plus complexe entre les deux dans les villes canadiennes.
L’événement du 14 novembre à l’Église Le Chemin, une congrégation modeste mais grandissante au cœur de Montréal, a attiré environ 300 participants selon les responsables de l’église. Dès le lendemain matin, les inspecteurs municipaux avaient émis une amende de 1 900 $ pour violation des règlements sur le bruit et pour avoir organisé un événement culturel sans autorisation appropriée.
Le pasteur Michel Monette a exprimé sa frustration lors de notre entretien téléphonique. « Nous sommes une église qui tient un service de culte, pas une salle de concert. On dirait que la bureaucratie cible l’expression religieuse, » a-t-il déclaré, soulignant que l’église opère au même endroit depuis plus de huit ans sans problèmes similaires.
Les responsables municipaux racontent une histoire différente. « Cet événement était clairement promu comme un concert, pas comme un service religieux régulier, » a expliqué Gabrielle Fontaine-Giroux de la division de la sécurité publique de Montréal. « Tout rassemblement de cette taille nécessite des permis appropriés pour garantir le respect des normes de sécurité, qu’il soit de nature religieuse ou séculière. »
Ce qui rend cette affaire particulièrement remarquable, c’est la figure au centre. Feucht, ancien candidat républicain au Congrès de Californie, s’est fait connaître pendant la pandémie pour sa tournée « Let Us Worship« , qui défiait explicitement les restrictions liées à la COVID-19 dans plusieurs États américains. Son style de musique de louange mêlé à des messages politiques conservateurs lui a valu à la fois des adeptes dévoués et de vifs critiques.
Statistique Canada a rapporté une augmentation de 47 % des plaintes concernant la liberté religieuse pendant les années de pandémie, reflétant une tension croissante entre les communautés de foi et les réglementations gouvernementales. L’incident de Montréal semble être le dernier point d’achoppement de cette friction continue.
« Il y a un malentendu fondamental ici, » a expliqué Dr. Solange Lefebvre, titulaire de la Chaire en religion, culture et société à l’Université de Montréal. « La liberté religieuse n’est pas absolue – elle existe dans un cadre de sécurité publique et de réglementations municipales qui s’appliquent à tous. »
En me promenant dans l’arrondissement Ville-Marie où se trouve l’église, j’ai remarqué plusieurs établissements voisins affichant ostensiblement leurs permis de divertissement. Interrogé sur la situation de l’église, Jean Tremblay, propriétaire d’un commerce voisin, a haussé les épaules. « Si j’ai besoin de permis pour mes petites soirées jazz, tout le monde ne devrait-il pas suivre les mêmes règles? »
Cette amende survient au milieu de conversations plus larges sur les événements religieux dans les espaces urbains. Des sondages récents de l’Institut Angus Reid montrent que les Canadiens sont de plus en plus divisés sur la latitude que devraient avoir les organisations religieuses lorsque leurs activités affectent les communautés environnantes. Environ 58 % soutiennent l’application égale des règlements municipaux, indépendamment du statut religieux.
Ce qui est curieux dans cette affaire, c’est la confusion apparente sur la classification de l’événement. Les dirigeants de l’église maintiennent qu’il s’agissait simplement d’un leader de culte invité participant à leur service régulier. Les responsables municipaux pointent du doigt les supports promotionnels en ligne qui commercialisaient l’événement comme « Sean Feucht en direct à Montréal » avec des liens vers des billets et des graphiques de style concert.
« Les services religieux ne nécessitent généralement pas de permis spéciaux, » a noté Me Caroline Rivard, avocate spécialisée en libertés civiles. « Mais lorsque les événements prennent les caractéristiques de concerts ou de rassemblements publics, ils entrent dans une catégorie réglementaire différente. La question devient où tracer cette ligne. »
L’Église Le Chemin prévoit de faire appel de l’amende. Pendant ce temps, Feucht s’est déjà rendu dans d’autres villes canadiennes, laissant derrière lui non seulement un impact spirituel mais aussi des questions réglementaires qui s’étendent bien au-delà de Montréal.
Les communautés religieuses à travers le Québec suivent l’affaire de près. Le père Thomas Dowd de l’Oratoire Saint-Joseph m’a confié : « Les églises ont besoin de clarté sur ce qui constitue un culte par rapport à un spectacle. Les directives semblent changer, et cela crée des tensions inutiles. »
La situation à Montréal met en lumière un défi typiquement canadien : équilibrer notre protection constitutionnelle de la liberté religieuse avec l’autorité municipale de réglementer les rassemblements publics. Contrairement à nos voisins du sud, où les exemptions religieuses l’emportent souvent sur les réglementations locales, la jurisprudence canadienne a généralement favorisé des limites raisonnables lorsque l’intérêt public est en jeu.
Les églises aux budgets limités comme l’Église Le Chemin font face à des choix difficiles. « Devons-nous arrêter d’inviter des pasteurs invités? Devons-nous demander des permis de concert pour les services du dimanche? » a demandé Monette. « Nous essayons simplement de pratiquer notre foi. »
Alors que les villes canadiennes deviennent de plus en plus diversifiées, avec des lieux de culte représentant des traditions du monde entier, l’établissement de directives claires et cohérentes pour les événements religieux devient plus pressant. L’amende de Montréal peut sembler être une simple application d’un règlement municipal, mais elle représente une conversation beaucoup plus large sur la façon dont les communautés religieuses naviguent dans l’espace public dans le Canada moderne.
Pour l’instant, l’église dispose de 30 jours pour payer l’amende ou déposer un appel. Reste à voir si cette affaire fera jurisprudence ou si elle ne sera qu’un chapitre de plus dans la négociation continue entre pratique religieuse et réglementation publique.
Ce qui est certain, c’est qu’alors que l’hiver s’installe sur Montréal, la chaleur générée à l’intérieur de cette église ce soir-là a été tempérée par la froide réalité de l’application municipale, laissant les deux parties revendiquer des principes qui méritent d’être défendus dans un débat qui s’étend bien au-delà d’un simple service de culte.