Le dernier baromètre des affaires de la Chambre de commerce du Canada brosse un tableau inquiétant pour les perspectives économiques du pays. La confiance des entreprises canadiennes a de nouveau trébuché au deuxième trimestre, marquant ainsi le troisième recul trimestriel consécutif depuis la mi-2023.
Ce qui est particulièrement troublant, c’est l’ampleur de ce ralentissement. Il ne s’agit pas d’un phénomène isolé à un seul secteur ou région—le pessimisme s’est répandu dans toutes les industries d’un océan à l’autre, avec 70% des entreprises qui déclarent être moins optimistes pour l’année à venir qu’elles ne l’étaient il y a seulement trois mois.
« Nous entrons dans un point d’inflexion critique, » explique Marwa Al-Sabouni, économiste en chef de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. « Quand trois quarts des entrepreneurs de différents secteurs expriment leur inquiétude, nous devons reconnaître qu’il ne s’agit pas simplement d’un bruit statistique—c’est un véritable signal d’alarme. »
Les chiffres racontent une histoire sobre. L’Indice de confiance des entreprises se situe maintenant à 48,3, en baisse par rapport au 53,1 du premier trimestre et bien en dessous du seuil de 55 points qui indique généralement une économie saine et en expansion. Pour contextualiser, durant la période pré-pandémique de 2018-2019, cet indice oscillait constamment autour de 59-61 points.
Derrière ces chiffres se trouvent de vraies entreprises qui prennent des décisions difficiles. Prenons l’exemple de NeuralPath, une entreprise technologique basée à Waterloo, qui a récemment reporté ses plans d’expansion malgré l’obtention d’un financement de série A l’année dernière. « Les chiffres ne fonctionnent tout simplement pas en ce moment, » m’a confié la fondatrice Jasmine Teo lors d’une récente entrevue. « Entre l’augmentation des coûts d’emprunt et les dépenses incertaines des consommateurs, nous nous concentrons sur l’efficacité plutôt que sur la croissance. »
Ce sentiment n’est pas propre au secteur technologique. Les secteurs de la fabrication, du commerce de détail et de la construction réduisent tous leurs plans d’investissement, avec le pourcentage d’entreprises prévoyant des dépenses importantes en capital dans les 12 prochains mois chutant à 21%, comparé à 34% à la même période l’année dernière.
Qu’est-ce qui alimente cette anxiété généralisée? Trois facteurs ressortent constamment:
Les taux d’intérêt demeurent la préoccupation principale, cités par 63% des répondants. Malgré les récentes baisses de taux de la Banque du Canada, le coût d’emprunt reste à des niveaux qu’on n’avait pas vus depuis plus d’une décennie. Pour les entreprises avec des prêts à taux variable ou des besoins de refinancement à venir, cela se traduit par des milliers de dollars de coûts mensuels supplémentaires.
Les dépenses des consommateurs poursuivent leur trajectoire descendante, avec des volumes de ventes au détail en baisse pour quatre mois consécutifs selon Statistique Canada. Quand les consommateurs se serrent la ceinture, les entreprises ressentent la pression presque immédiatement.
Les pénuries persistantes de main-d’œuvre présentent un défi paradoxal—42% des entreprises signalent des difficultés à pourvoir des postes, mais elles sont de plus en plus réticentes à embaucher étant donné l’incertitude économique. Cela crée un piège de productivité particulièrement difficile à éviter.
Les variations régionales racontent également une partie importante de l’histoire. Les entreprises québécoises affichent un optimisme légèrement supérieur à la moyenne nationale, tandis que l’Alberta et la Colombie-Britannique signalent les baisses de confiance les plus prononcées. Cette disparité géographique reflète probablement les différentes compositions industrielles et dynamiques du marché immobilier entre les provinces.
« Ce que nous observons n’est pas nécessairement un indicateur de récession, mais plutôt des entreprises adoptant une posture défensive, » explique Dr. Rohan Kapoor de l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto. « Elles se préparent aux turbulences en conservant leurs liquidités, en retardant leur expansion et en se concentrant sur leurs opérations essentielles. »
Cette stratégie défensive se manifeste dans les plans d’embauche. Seulement 16% des entreprises prévoient augmenter leurs effectifs au cours du prochain trimestre—un creux de sept ans en dehors des périodes de confinement liées à la pandémie. Pendant ce temps, 27% s’attendent à réduire leur nombre d’employés, créant ainsi des perspectives d’emploi nettes négatives qui n’avaient pas été observées depuis 2015.
Pour les petites entreprises, ces défis sont particulièrement aigus. Les firmes de moins de 20 employés rapportent une confiance significativement plus faible (44,7 sur l’indice) comparé aux entreprises de taille moyenne (51,2). Cet écart reflète les réserves financières plus limitées des petites entreprises et leur plus grande sensibilité aux fluctuations des taux d’intérêt.
Le moment de cette baisse de confiance crée des complications supplémentaires pour les décideurs politiques économiques. La Banque du Canada a déjà commencé son cycle d’assouplissement avec une baisse de taux en juin, mais le rythme des réductions futures reste incertain. Trop agressif, et l’inflation pourrait se rallumer; trop prudent, et l’investissement des entreprises pourrait davantage se détériorer.
« Nous sommes dans la phase intermédiaire difficile de ce cycle économique, » note Priya Sharma, gestionnaire de portefeuille chez Northern Capital Partners. « Les hausses de taux ont clairement impacté le sentiment des entreprises, mais nous n’avons pas encore vu suffisamment d’assouplissement pour restaurer la confiance. Cette période transitoire est toujours difficile. »
Certaines industries offrent toutefois des lueurs de résilience. Les services technologiques, particulièrement ceux axés sur l’amélioration de la productivité et la réduction des coûts, signalent une demande plus stable. De même, les services de santé et les entreprises d’énergie renouvelable maintiennent des perspectives plus positives, suggérant que les tendances structurelles peuvent parfois surmonter les vents contraires cycliques.
Pour les travailleurs, cet environnement crée un tableau mitigé. Bien que le marché global de l’emploi reste tendu avec un chômage proche des plus bas historiques, les nouvelles opportunités se font plus rares. La croissance des salaires se modère également, les entreprises prévoyant des augmentations moyennes de 3,1% pour l’année prochaine, contre 3,8% au trimestre précédent.
Pour l’avenir, les économistes restent divisés sur la question de savoir si cette baisse de confiance représente un ajustement temporaire ou le début d’un ralentissement plus prolongé. La réponse dépend probablement de plusieurs facteurs: la rapidité avec laquelle les dépenses de consommation se stabiliseront, si les marchés immobiliers réussiront un atterrissage en douceur, et si les tensions commerciales mondiales s’atténueront dans les mois à venir.
Ce qui est clair, c’est que les entreprises canadiennes font face à une fin d’année 2024 difficile. Leur prudence actuelle—bien que judicieuse au niveau individuel—pourrait collectivement contribuer à une croissance économique plus lente si elle se traduit par une réduction des investissements et des embauches.
Comme l’a si bien résumé un répondant à l’enquête, propriétaire d’une entreprise de construction de Winnipeg: « Nous ne paniquons pas, mais nous battons certainement les écoutilles. Mieux vaut traverser cette tempête avec un bilan solide que d’être pris en surextension. »
Pour les décideurs politiques, les investisseurs et les dirigeants d’entreprise, cette dernière lecture de confiance sert de rappel important que les transitions économiques se déroulent rarement sans heurts. Le chemin allant d’une inflation élevée et de taux croissants vers une croissance durable implique de naviguer précisément dans le genre d’incertitude dont nous sommes témoins aujourd’hui.