Le conflit entre les médecins spécialistes du Québec et le ministère de la Santé s’est intensifié cette semaine, les deux parties campant sur leurs positions concernant les changements proposés à la rémunération des médecins. Au cœur du débat se trouve le plan du gouvernement de la Coalition Avenir Québec visant à restructurer le mode de paiement des médecins—une mesure que les responsables affirment améliorer l’accès des patients, mais que les médecins craignent de fragiliser davantage le système de santé québécois déjà vulnérable.
« Nous sommes à un carrefour critique dans la façon dont nous rémunérons nos professionnels de la santé », a déclaré le ministre de la Santé Christian Dubé aux journalistes à l’Assemblée nationale mercredi. « Le modèle actuel ne permet pas d’offrir l’accès que méritent les Québécois, et nous avons besoin d’un cadre qui harmonise mieux les incitatifs des médecins avec les besoins des patients. »
La proposition gouvernementale déplacerait environ 25 % de la rémunération des spécialistes vers des indicateurs de performance liés au volume de patients et aux objectifs d’accessibilité, selon des documents obtenus lors de réunions des autorités sanitaires provinciales. Cela représente la refonte la plus importante de la structure de rémunération des médecins depuis près d’une décennie.
Pour le Dr Vincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), l’approche du gouvernement risque de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout. « On ne peut pas réparer un système de santé en imposant des mesures punitives aux professionnels mêmes qui le maintiennent à flot », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse au siège de la FMSQ à Montréal.
Ce différend survient alors que le Québec continue de lutter contre l’engorgement des urgences et des listes d’attente chirurgicales qui ont augmenté de près de 30 % depuis la pandémie, selon les données du ministère de la Santé. Plus de 150 000 Québécois attendent actuellement une chirurgie, certaines procédures spécialisées étant retardées jusqu’à 18 mois.
À l’Hôpital général du Lakeshore dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal, le Dr Sanjeet Singh, médecin urgentiste, constate quotidiennement les implications pratiques. « Je vois des patients qui ont attendu des heures pour recevoir des soins et qui se demandent pourquoi ils ne peuvent pas consulter des spécialistes plus rapidement », a-t-il partagé lors d’une entrevue. « Ce qu’ils ne réalisent pas, c’est que de nombreux spécialistes travaillent déjà au-delà de leurs capacités dans les contraintes du système actuel. »
Le moment choisi par le gouvernement pour cette initiative a soulevé des questions chez les experts en politique de santé. Erin Strumpf, économiste de la santé à l’Université McGill, souligne que les ententes sur la rémunération des médecins s’alignent traditionnellement sur les cycles électoraux. « Le gouvernement de la CAQ veut probablement résoudre cette question bien avant les prochaines élections provinciales », a-t-elle expliqué. « L’accès aux soins demeure la principale préoccupation des électeurs, et le gouvernement a besoin de réalisations concrètes à mettre en valeur. »
Le premier ministre François Legault a fait de la réforme des soins de santé un élément central du mandat de son gouvernement depuis son arrivée au pouvoir en 2018. Son administration a précédemment négocié d’importantes augmentations de salaire pour les infirmières et élargi le rôle des pharmaciens et des infirmières praticiennes—des mesures conçues pour remédier aux pénuries de personnel qui continuent d’affliger les hôpitaux et cliniques de la province.
Pour de nombreux médecins de famille, ce différend met en lumière des problèmes structurels plus profonds. La Dre Marguerite Duplessis, qui dirige une clinique familiale dans le quartier Limoilou à Québec, estime que les deux parties manquent des occasions de réforme significative. « On se dispute sur les modèles de rémunération alors qu’on devrait discuter de la création d’équipes de soins intégrés qui utilisent au mieux l’expertise de chacun », a-t-elle déclaré.
Les défenseurs des patients ont exprimé leur frustration d’être pris entre deux feux. « Les Québécois ne s’intéressent pas aux détails de la rémunération des médecins—ils veulent recevoir des soins quand ils en ont besoin », a affirmé Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé dans les droits des patients. « Ce conflit risque de retarder davantage les traitements nécessaires pendant que le gouvernement et les médecins se disputent sur des questions d’argent. »
Les changements proposés affecteraient particulièrement les spécialités à haut volume comme la radiologie, l’ophtalmologie et la chirurgie générale. Sous le système actuel de rémunération à l’acte, ces spécialistes comptent parmi les mieux rémunérés du système de santé québécois, certains facturant plus de 800 000 $ par an, selon les rapports de la Régie de l’assurance maladie.
Les résidents en médecine s’inquiètent quant à eux de leurs futures conditions de travail. « Nous nous formons dans un système qui devient de plus en plus bureaucratique et moins centré sur la médecine », a déclaré Sophie Tremblay, résidente en troisième année de médecine interne au CHUM à Montréal. « Plusieurs d’entre nous envisagent des opportunités dans d’autres provinces où l’environnement de pratique semble plus stable. »
Les partis d’opposition ont saisi cette dispute comme preuve de la mauvaise gestion du gouvernement caquiste. Le critique libéral en matière de santé, André Fortin, a critiqué l’approche de l’administration : « Ils créent une confrontation inutile au lieu de chercher des solutions collaboratives. Les professionnels de la santé méritent mieux que d’être traités comme de simples postes budgétaires. »
Alors que les tensions s’intensifient, certains organismes de santé communautaire ont proposé des alternatives. Le Regroupement des centres de santé communautaire du Québec suggère des modèles hybrides qui combinent la rémunération à l’acte avec des composantes salariales basées sur les besoins communautaires. « Les régions rurales et les zones urbaines mal desservies ont besoin de structures d’incitation différentes du centre-ville de Montréal », note leur directrice des politiques, Marie-Claude Goulet.
Ce qui se passera ensuite façonnera probablement la prestation des soins de santé au Québec pour les années à venir. Le gouvernement s’est fixé un calendrier ambitieux, espérant mettre en œuvre les changements d’ici début 2025. Les fédérations médicales ont répliqué en exigeant des négociations prolongées et des garanties contre les interruptions de service pendant la transition.
Pour le Québécois moyen, ce complexe différend se résume à une simple question : cela m’aidera-t-il à consulter un médecin plus rapidement ? La réponse, comme pour la plupart des réformes en santé, demeure désespérément incertaine.


 
			 
                                
                              
		 
		 
		