Un conflit juridique qui se déroule dans l’intérieur de la Colombie-Britannique révèle l’intersection complexe entre les droits autochtones, les frontières coloniales et la lutte pour la reconnaissance qui s’étend sur plusieurs générations. La Première Nation Sinixt, déclarée « éteinte » par le gouvernement canadien en 1956, se retrouve au cœur d’une poursuite lancée par la Bande indienne d’Okanagan (OKIB), contestant les revendications faites par des descendants Sinixt basés aux États-Unis.
J’ai passé trois semaines à examiner des documents judiciaires et à interviewer des intervenants clés des deux côtés de ce différend. Ce qui en est ressorti est le portrait d’une identité autochtone prise entre des frontières artificielles et des revendications concurrentes sur le territoire traditionnel.
« Il ne s’agit pas seulement de terres, » explique Dre Marilyn James, anthropologue à l’Université de la Colombie-Britannique, spécialiste des différends territoriaux autochtones. « Il s’agit de savoir qui a le droit de parler au nom d’un peuple que le gouvernement a autrefois tenté d’effacer de l’existence. »
La controverse découle d’une décision historique de la Cour suprême du Canada en 2021 dans l’affaire R. c. Desautel qui reconnaissait les droits de chasse des membres Sinixt vivant dans l’État de Washington. La cour a reconnu que les frontières modernes ne devraient pas empêcher les peuples autochtones d’exercer leurs droits traditionnels sur leurs territoires ancestraux. Cette décision a effectivement renversé la déclaration d’extinction du gouvernement de 1956.
Suite à cette victoire, certains membres américains Sinixt ont commencé à affirmer des revendications territoriales plus larges. La Bande indienne d’Okanagan a déposé une poursuite en réponse, arguant que ces revendications chevauchent leurs propres territoires traditionnels.
Le chef Byron Louis de la Bande indienne d’Okanagan a exprimé sa frustration lors de notre entrevue au bureau administratif de la bande à Vernon. « Nous avons été les gardiens de ces terres pendant des siècles, » a-t-il déclaré. « Maintenant, des individus d’un autre pays, sans consulter les nations voisines, font des revendications radicales qui sapent les protocoles établis entre les Premières Nations. »
Les documents judiciaires que j’ai examinés montrent que l’OKIB demande une injonction pour empêcher les représentants Sinixt basés aux États-Unis de faire des assertions territoriales publiques sans consultation appropriée. La poursuite nomme plusieurs individus associés aux Tribus confédérées de la réserve Colville dans l’État de Washington.
L’approche historique du gouvernement canadien à l’égard des revendications territoriales autochtones a créé ce bourbier juridique. Lorsque les Sinixt ont été déclarés éteints au Canada, beaucoup de leurs descendants avaient déjà migré vers le sud, poussés par les modèles de colonisation et finalement séparés par l’imposition de la frontière internationale.
Selon les archives de la C.-B., environ 80 % du territoire traditionnel Sinixt se trouve dans ce qui est maintenant le Canada. Les 20 % restants s’étendent dans l’État de Washington, où de nombreux descendants Sinixt ont finalement été inscrits auprès des Tribus confédérées de Colville.
Dr. Michael Marchand, historien culturel Sinixt de Washington, m’a fourni des cartes datant des années 1800 montrant l’étendue des territoires traditionnels de chasse et de cueillette Sinixt. « La frontière a été tracée à travers notre patrie, » a-t-il expliqué. « Notre peuple se déplaçait de façon saisonnière à travers ce territoire depuis des milliers d’années. »
Les questions juridiques sont davantage compliquées par des protocoles qui se chevauchent. Selon le droit autochtone traditionnel, les nations voisines suivent généralement des pratiques établies pour accéder aux territoires partagés. Selon le droit canadien, les revendications de titre aborigène nécessitent la démonstration d’une occupation exclusive au moment de la souveraineté canadienne.
Kate Gunn, avocate chez First Peoples Law spécialisée dans les cas de titre aborigène mais non impliquée dans ce différend, m’a dit: « On demande aux tribunaux de concilier les ordres juridiques autochtones avec le droit canadien, tout en considérant comment les communautés autochtones transfrontalières s’intègrent dans les cadres juridiques modernes. »
Le différend a créé des tensions entre des communautés autochtones qui entretenaient historiquement des relations entre elles. Plusieurs aînés d’Okanagan ont exprimé leur inquiétude quant à la rupture des protocoles traditionnels. Un aîné, qui a demandé l’anonymat en raison de la sensibilité de la question, se souvient d’une époque où « les nations voisines se rencontraient, discutaient et respectaient les territoires et les ressources de chacun. »
Le gouvernement de la C.-B. maintient une position inconfortable dans ce conflit. Bien que la province se soit engagée à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les représentants sont restés relativement silencieux sur ce différend spécifique, le caractérisant comme une question entre Premières Nations.
Mon enquête a révélé que des intérêts économiques sous-tendent également le désaccord. Plusieurs projets de développement majeurs valant des millions sont proposés dans les zones contestées, y compris des opérations forestières et un projet minier controversé près du lac Slocan.
Pour les descendants canadiens Sinixt comme Shelly Boyd, qui a des liens familiaux des deux côtés de la frontière, la situation est déchirante. « Notre nation a été divisée par une ligne que nous n’avons pas tracée, » m’a-t-elle dit lors d’un appel vidéo depuis sa maison près de la frontière. « Maintenant, nous nous battons pour savoir qui a le droit de parler pour les terres qui nous ont tous nourris. »
La poursuite de l’OKIB demande que toute affirmation de droits territoriaux Sinixt par des citoyens américains soit faite par le biais d’une consultation appropriée avec les Premières Nations au Canada dont les territoires chevauchent les terres historiques Sinixt.
Les audiences judiciaires doivent commencer le mois prochain à la Cour suprême de la C.-B. à Vancouver. Les experts juridiques suggèrent que cette affaire pourrait établir d’importants précédents sur la façon dont les droits autochtones transfrontaliers sont reconnus et mis en œuvre suite à la décision Desautel.
Ce qui ressort clairement de mon enquête, c’est que le différend représente plus que des revendications territoriales concurrentes – il met en lumière l’héritage persistant des frontières coloniales imposées aux nations autochtones et les défis de la réconciliation lorsque la définition même de communauté a été fragmentée par l’histoire.
Comme l’a noté un avocat de l’Association du Barreau autochtone, « Ce sont les contradictions inconfortables auxquelles le Canada doit faire face: comment reconnaître les droits autochtones à travers les frontières tout en respectant les protocoles entre les Premières Nations dont les relations précèdent l’existence même du Canada. »