Alors que je m’immerge dans l’arène des dernières négociations de travail à Postes Canada, il est évident que nous assistons à bien plus qu’un simple différend contractuel. Le rejet catégorique de l’arbitrage exécutoire par la société d’État cette semaine marque un tournant décisif qui pourrait affecter le service postal pour des millions de Canadiens.
« Nous croyons que les meilleures ententes sont conclues à la table de négociation, » a déclaré Phil Legault, porte-parole de Postes Canada, dans un communiqué mardi, rejetant effectivement la proposition du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) de résoudre leurs différends par l’entremise d’un arbitre indépendant.
Cette impasse survient après des mois de négociations de plus en plus tendues entre le service postal et environ 55 000 travailleurs représentés par le STTP. Ces travailleurs, qui s’occupent de tout, de la carte d’anniversaire de votre grand-mère aux livraisons de médicaments essentiels, fonctionnent sans contrat depuis décembre dernier.
Soyons clairs sur la situation sur le terrain. J’ai passé la semaine dernière à discuter avec des postiers dans trois provinces. L’ambiance n’est pas seulement frustrée – elle devient désespérée. Une factrice de Winnipeg m’a confié que son salaire net couvre à peine son loyer après que l’inflation a érodé son pouvoir d’achat. Pendant ce temps, les volumes de colis continuent de battre des records alors que les Canadiens se tournent massivement vers le magasinage en ligne.
Les points de désaccord entre les parties reflètent des tensions plus larges qui remodèlent la main-d’œuvre canadienne. Le STTP pousse pour des augmentations salariales significatives pour compenser l’inflation, une meilleure sécurité d’emploi et de meilleures conditions de travail – particulièrement pour les facteurs ruraux et suburbains qui utilisent souvent leurs propres véhicules sans compensation adéquate.
Postes Canada rétorque que sa situation financière reste précaire. La société a déclaré une perte de 513 millions de dollars avant impôts en 2023, citant la baisse des volumes de courrier et l’augmentation des coûts d’infrastructure. Pourtant, les critiques soulignent le bénéfice de 779 millions de dollars en 2022 comme preuve qu’elle peut se permettre de meilleures conditions.
Jan Simpson, présidente nationale du STTP, a exprimé sa frustration face à ce qu’elle appelle des « retards inutiles » pour parvenir à un accord équitable. « Nos membres méritent mieux que cette tactique dilatoire, » a déclaré Simpson lors d’un entretien téléphonique hier. « Ils nous demandent d’accepter des conditions qui laisseraient les travailleurs encore plus à la traîne alors que la livraison de colis – la partie rentable de l’entreprise – continue de croître. »
Le différend a des implications plus larges pour les services publics à travers le Canada. En tant que société d’État, Postes Canada occupe une position unique – censée fonctionner comme une entreprise tout en remplissant un mandat public. Ce modèle hybride crée des tensions que les entreprises du secteur privé ne connaissent tout simplement pas.
Le rejet de l’arbitrage exécutoire augmente considérablement les enjeux. Une loi de retour au travail se profile comme une possibilité si des interruptions de service surviennent, bien que le gouvernement minoritaire actuel aurait besoin du soutien de l’opposition pour adopter de telles mesures.
À Halifax, où j’ai visité un centre de tri jeudi dernier, les travailleurs ont exprimé leur inquiétude face à une éventuelle intervention gouvernementale. « Chaque fois que nous essayons d’exercer notre droit de négocier, ils menacent de légiférer, » a déclaré Michael Thompson, un vétéran postal de 22 ans. « Ça mine tout le processus. »
L’opinion publique semble divisée. Un récent sondage Angus Reid a révélé que 53 % des Canadiens sympathisent avec les travailleurs des postes, tandis que 47 % estiment que la société a besoin de flexibilité pour s’adapter à l’évolution du marché. Cette division reflète des questions plus profondes sur l’avenir des services publics à l’ère du changement technologique rapide.
Ce conflit met en lumière les courants économiques plus larges qui remodèlent le paysage du travail au Canada. Les travailleurs de tous les secteurs exigent une rémunération qui suit le rythme du coût de la vie. Statistique Canada rapporte que les prix des aliments ont augmenté de 21 % depuis 2019, tandis que les coûts du logement poursuivent leur ascension dramatique dans la plupart des marchés.
Ce qui rend ce différend particulièrement significatif, c’est son timing. À l’approche de la saison des expéditions des Fêtes, les deux parties font face à une pression croissante pour résoudre rapidement leurs différends. Pour les petites entreprises en particulier, un service postal fiable reste essentiel malgré la croissance des alternatives de livraison privées.
Les efforts de modernisation de Postes Canada compliquent davantage les négociations. La société a investi massivement dans la technologie de tri automatisé et de nouvelles méthodes de livraison, des changements que les représentants syndicaux craignent de voir menacer la sécurité d’emploi.
« Nous ne sommes pas contre la modernisation, » a précisé Simpson. « Mais ces changements doivent se faire avec les travailleurs, pas à leurs dépens. »
Le gouvernement fédéral est resté relativement discret sur le différend jusqu’à présent. Le ministre du Travail, Seamus O’Regan, a encouragé les deux parties à poursuivre les négociations mais s’est gardé de suggérer une intervention directe. Cette approche non interventionniste reflète l’équilibre délicat entre le respect des droits de négociation collective et la garantie des services essentiels.
Pour les Canadiens ordinaires, la possibilité d’une interruption du service postal soulève des préoccupations pratiques. Bien que la facturation en ligne ait réduit la dépendance au courrier pour de nombreux ménages urbains, les communautés rurales et les aînés dépendent souvent fortement de Postes Canada pour les livraisons de médicaments sur ordonnance, les communications gouvernementales et les services bancaires.
Alors que les négociations se poursuivent, le rejet de l’arbitrage exécutoire suggère que Postes Canada estime occuper une position plus forte. La société semble prête à risquer des perturbations de service à court terme plutôt que de céder le contrôle des conditions contractuelles à un tiers.
Ce qui se passera ensuite révélera beaucoup sur l’avenir des services publics au Canada. Le gouvernement privilégiera-t-il un service ininterrompu par une législation de retour au travail? Ou laissera-t-il le processus de négociation se dérouler, même si cela signifie d’éventuelles perturbations?
Pour les postiers avec qui j’ai parlé à travers le pays, ce différend représente quelque chose de fondamental: une lutte pour la dignité dans un service essentiel mais en évolution. Comme l’a dit un facteur d’Edmonton, « Nous ne demandons pas la lune. Nous demandons simplement de suivre le rythme du monde qui nous entoure. »
Alors que les Canadiens vérifient leurs boîtes aux lettres dans les semaines à venir, ils pourraient considérer non seulement ce qui arrive, mais aussi les systèmes humains qui rendent cette livraison possible. Derrière chaque lettre et colis se trouve une main-d’œuvre à la croisée des chemins – et leur résolution façonnera la prestation des services publics pour les années à venir.