La lumière matinale filtre à travers les fenêtres du centre de réduction des méfaits de Montréal tandis que Sarah, une intervenante de première ligne, dispose soigneusement des bandelettes de test sur une petite table. « On le voit presque quotidiennement maintenant, » me confie-t-elle, d’une voix posée mais préoccupée. « Les gens apportent ce qu’ils croient être une substance, et ça contient quelque chose de complètement différent. »
Ce que Sarah et ses collègues découvrent a déclenché une sonnette d’alarme dans tout le système de santé publique montréalais. Un dangereux tranquillisant animal appelé xylazine a été de plus en plus détecté dans l’approvisionnement en drogues de la ville, aux côtés d’autres sédatifs puissants normalement réservés à l’usage vétérinaire.
J’ai visité trois centres de santé communautaires à travers Montréal la semaine dernière, où les intervenants ont décrit un changement inquiétant dans ce qu’on trouve dans les substances qui circulent dans les rues. Il ne s’agit pas simplement d’un lot contaminé – c’est devenu un schéma persistant qui modifie l’approche des intervenants en matière de prévention des surdoses.
« Les protocoles habituels de naloxone ne fonctionnent pas complètement lorsque la xylazine est impliquée, » explique la Dre Carole Morissette, médecin-chef de santé publique de Montréal. « La xylazine n’est pas un opioïde, donc le médicament standard d’inversion des surdoses ne peut pas traiter tous les symptômes. »
L’avertissement de la Direction de santé publique survient après que leur système de surveillance a détecté ces sédatifs vétérinaires dans de multiples échantillons de drogues. Leurs analyses ont révélé que beaucoup de personnes consommaient à leur insu ces puissants tranquillisants pour animaux alors qu’elles pensaient prendre d’autres substances.
Ce qui rend cette situation particulièrement préoccupante, c’est que la xylazine provoque une sédation profonde et une dépression respiratoire, mais ne répond pas à la naloxone, le médicament qui sauve des vies en inversant les surdoses d’opioïdes. Lorsqu’elle est combinée au fentanyl ou à d’autres opioïdes – comme c’est fréquemment le cas – elle crée un cocktail dangereux qui complique les interventions d’urgence.
La Direction de la santé a documenté plusieurs cas où des personnes ont connu une sédation anormalement prolongée et développé des plaies cutanées distinctives qui résistent à la guérison – un signe révélateur de l’exposition à la xylazine que les prestataires de soins de santé apprennent maintenant à reconnaître.
« Nous adaptons nos approches en temps réel, » déclare Jean-François Mary, directeur exécutif de CACTUS Montréal, un organisme communautaire de réduction des méfaits. « Mais l’imprévisibilité de l’approvisionnement en drogues signifie que nous sommes constamment en train de rattraper notre retard. »
L’impact s’étend au-delà des consommateurs réguliers. Les responsables de la santé publique s’inquiètent pour les usagers occasionnels qui n’ont aucune tolérance et ne s’attendent pas à ce que ce qu’ils consomment puisse contenir de puissants sédatifs vétérinaires.
Lorsque je parle avec des personnes qui accèdent aux services de réduction des méfaits, beaucoup expriment leur frustration face à la nature de plus en plus imprévisible des substances disponibles. « Ce n’est pas comme il y a des années quand on savait généralement ce qu’on prenait, » me confie un homme dans la quarantaine, qui souhaite rester anonyme. « Maintenant, c’est comme jouer à la roulette russe à chaque fois. »
Montréal n’est pas seule à faire face à ce défi. Les données de Santé Canada montrent que la contamination par la xylazine a été détectée dans les approvisionnements en drogues de plusieurs provinces, bien que la concentration semble particulièrement élevée au Québec. Les États-Unis ont déclaré la xylazine comme une « menace émergente » après qu’elle a été trouvée dans environ 23 % des échantillons de poudre de fentanyl à travers le pays en 2022.
La Dre Morissette souligne que la santé publique de Montréal adopte une approche à plusieurs volets pour faire face à cette crise. Ils ont élargi les services d’analyse de drogues, où les gens peuvent faire tester anonymement des substances pour détecter des additifs dangereux avant la consommation. Ils distribuent également des bandelettes de test qui peuvent détecter la présence de xylazine et d’autres contaminants.
Plus crucial encore, ils forment les prestataires de soins de santé et les travailleurs communautaires à reconnaître les symptômes uniques de l’exposition à la xylazine, qui peuvent imiter une surdose d’opioïdes mais nécessitent des interventions médicales supplémentaires.
« La présence de ces drogues vétérinaires change toute notre approche clinique, » explique un médecin urgentiste d’un hôpital du centre-ville de Montréal, qui a traité plusieurs patients suspectés d’exposition à la xylazine. « Nous voyons des personnes qui restent inconscientes même après avoir reçu plusieurs doses de naloxone. »
Alors que Montréal est aux prises avec cette menace en évolution, les organismes communautaires continuent de pousser pour des solutions politiques plus larges. De nombreux défenseurs soulignent la nécessité d’un approvisionnement plus sûr et réglementé comme seule façon définitive de prévenir la contamination par des substances inattendues.
« Les tests et les avertissements aident, mais ce sont des pansements sur une blessure beaucoup plus profonde, » dit Mary de CACTUS. « Tant que l’approvisionnement en drogues restera non réglementé, de nouveaux contaminants continueront d’apparaître. »
De retour au centre de réduction des méfaits, Sarah explique soigneusement les risques à une jeune femme venue faire vérifier une substance. La femme acquiesce, son expression mêlant gratitude et résignation. C’est la réalité à Montréal aujourd’hui – où savoir exactement ce qui se trouve dans les drogues circulant dans la ville est devenu une question de vie ou de mort.
Pour ceux qui cherchent des informations ou du soutien, la Direction de santé publique de Montréal a établi une ligne d’information dédiée et étendu les heures d’ouverture des sites de dépistage à travers la ville. Pendant ce temps, les intervenants de première ligne comme Sarah poursuivent leur travail quotidien, espérant que la prochaine personne qui franchira leur porte décidera de tester avant de consommer – une petite décision qui, de plus en plus, pourrait sauver leur vie.