Je sors de l’ascenseur au cinquième étage du site St. Catharines de Niagara Health, où les couloirs bourdonnent d’un chaos contrôlé familier à quiconque a passé du temps dans un hôpital achalandé. Une infirmière passe en vitesse avec des fournitures, offrant un sourire fatigué. Trois ans après la phase la plus intense de la pandémie, les hôpitaux à travers l’Ontario continuent de naviguer dans une nouvelle normalité—où les préoccupations en matière de personnel sont devenues aussi routinières que les tournées des patients.
« Certains jours, nous fonctionnons avec la moitié des infirmières dont nous avons besoin, » confie Sarah, une infirmière chevronnée des urgences qui m’a demandé de n’utiliser que son prénom. « Nous faisons de notre mieux, mais ça pèse sur tout le monde—le personnel et les patients. »
Cette réalité contraste nettement avec le message du ministère de la Santé de l’Ontario, qui a vivement critiqué la semaine dernière un rapport sur la dotation en personnel hospitalier, l’accusant d' »induire délibérément le public en erreur » concernant les conditions de la main-d’œuvre dans le secteur de la santé à travers la province.
Le rapport contesté, publié par le Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario (OCHU) et le SCFP, affirmait que les hôpitaux de la province fonctionnaient avec des pénuries critiques de personnel—suggérant que jusqu’à 45 000 travailleurs de la santé supplémentaires seraient nécessaires pour répondre aux demandes actuelles.
Les responsables du ministère ont rapidement rejeté ces chiffres, arguant que le rapport utilise une méthodologie défectueuse et ignore les récents investissements gouvernementaux dans le personnel de santé. Le ministère a souligné son engagement de 4,9 milliards de dollars pour embaucher 33 000 nouvelles infirmières et l’ajout de 13 000 travailleurs de la santé au cours des trois dernières années.
« Le rapport déforme délibérément l’état de la dotation hospitalière et mine la confiance du public, » a déclaré Hannah Jensen, porte-parole de la ministre de la Santé Sylvia Jones, dans une déclaration fournie aux médias. « Notre gouvernement a fait des investissements historiques pour renforcer notre effectif de soins de santé. »
Michael Hurley, président de l’OCHU, a défendu les conclusions du rapport, me disant par téléphone que la méthodologie comparait les niveaux de personnel de l’Ontario à la moyenne nationale. « Quand on examine objectivement les chiffres, les hôpitaux ontariens fonctionnent avec moins de personnel par patient que la plupart des autres provinces. Cela se traduit par une charge de travail accrue et l’épuisement du personnel existant. »
Le rapport a mis en lumière la tension croissante entre les messages gouvernementaux sur les investissements en soins de santé et les expériences vécues par les travailleurs de première ligne. Selon les données de Statistique Canada, les postes vacants dans le secteur de la santé en Ontario ont atteint un sommet de plus de 49 000 postes à la fin de 2022, et bien que ces chiffres se soient quelque peu améliorés, des milliers de postes restent non pourvus dans toute la province.
Le Dr Adil Shamji, député libéral et médecin urgentiste, a exprimé son inquiétude quant à l’impact de ce différend sur la confiance du public. « Lorsque le gouvernement rejette d’emblée la recherche plutôt que de s’engager avec les préoccupations, nous manquons des occasions d’aborder les défis réels auxquels notre système de santé est confronté, » a-t-il déclaré lors d’une récente session législative.
En traversant le service des urgences à St. Catharines, je remarque le placement stratégique du personnel infirmier—moins de personnes couvrant plus de terrain. Une infirmière responsable chevronnée fait un geste vers le poste de surveillance où trois infirmières s’occupent de douze lits de soins aigus.
« Avant la pandémie, nous aurions au moins une personne de plus ici, » explique-t-elle. « Le ministère ne cesse de parler de toutes ces nouvelles embauches, mais nous ne les voyons pas sur cet étage. Les gens partent plus vite que nous ne pouvons les remplacer. »
Les données de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario appuient cette observation. Leur enquête sur la main-d’œuvre de 2023 a révélé que, bien que les inscriptions dans les écoles de soins infirmiers aient augmenté, la rétention reste problématique, près de 15 % des infirmières autorisées envisageant de quitter complètement la profession dans l’année à venir.
Le Dr Bernard Ho, médecin urgentiste qui travaille dans plusieurs hôpitaux de Niagara et Hamilton, offre une perspective plus nuancée. « Il y a une part de vérité des deux côtés de ce débat. Nous voyons quelques nouveaux diplômés rejoindre les rangs, ce qui est encourageant. Mais le rythme ne correspond pas au besoin, surtout alors que le personnel expérimenté prend sa retraite ou part pour des opportunités moins stressantes. »
Le paysage de la dotation en personnel de santé n’est pas seulement une question de nombres, mais de distribution et d’expérience. Inforoute Santé du Canada rapporte que les communautés rurales et nordiques continuent de faire face à des défis de dotation disproportionnés, avec des taux de vacance presque doubles de ceux des centres urbains. Entre-temps, les domaines spécialisés comme les soins intensifs et les services d’urgence luttent contre des pénuries particulières.
Pour les patients, ces préoccupations de personnel se traduisent par des expériences tangibles. Des données récentes de Qualité des services de santé Ontario montrent que les temps d’attente aux urgences sont en moyenne de 2,2 heures avant l’évaluation initiale—une augmentation de 20 minutes par rapport aux niveaux prépandémiques. Pendant ce temps, le pourcentage de patients admis des urgences qui ont reçu un lit d’hôpital dans les huit heures est tombé à 23 % en 2022, contre 34 % en 2019.
« Nous approchons d’un point de bascule, » affirme le Dr Raghu Venugopal, médecin urgentiste et défenseur des soins de santé. « La pandémie a exposé des fissures dans notre système, mais ces fissures étaient présentes avant la COVID. Nous voyons maintenant les conséquences de décennies de contraintes de capacité face aux besoins croissants en soins de santé. »
Les responsables du ministère soutiennent que les efforts actuels de recrutement et de rétention combleront progressivement l’écart. Leur programme de bourses « Apprendre et rester », qui couvre les frais de scolarité des étudiants en soins infirmiers qui s’engagent à travailler dans des communautés à besoins élevés, a inscrit plus de 2 500 étudiants l’année dernière. De plus, le gouvernement souligne les initiatives pour les infirmières formées à l’étranger qui ont amené près de 1 000 nouveaux professionnels dans les hôpitaux ontariens depuis 2022.
Pourtant, ici à St. Catharines, en observant les professionnels de la santé s’étirer à travers des services occupés, le décalage entre les statistiques gouvernementales et les opérations hospitalières quotidiennes est palpable. Les deux peuvent contenir des éléments de vérité, mais les réconcilier nécessite d’aller au-delà des accusations de discours public trompeur.
Alors que ma visite se termine, je passe devant une salle de repos du personnel où un petit groupe d’infirmières et d’inhalothérapeutes partagent un repas rapide. Leur conversation alterne entre les préoccupations concernant les soins aux patients et les plans pour la fin de semaine—la juxtaposition normale entre dévouement professionnel et vie personnelle.
Une chose semble claire : quelle que soit la statistique qui représente le plus précisément la situation du personnel de santé de l’Ontario, les personnes travaillant au sein du système naviguent dans des pressions que les chiffres seuls ne peuvent pleinement capturer. Le désaccord entre les responsables ministériels et les représentants syndicaux met en évidence non seulement différentes interprétations des données, mais des expériences fondamentalement différentes du même système de santé.
Pour Sarah et ses collègues qui commencent un autre quart de 12 heures, le débat académique sur la méthodologie semble lointain par rapport à la réalité immédiate de s’occuper des patients qui arriveront tout au long de la journée. « Les rapports et les réponses vont et viennent, » dit-elle, en ajustant son badge avant de retourner à son poste. « Pendant ce temps, nous serons ici à faire le travail, peu importe combien nous sommes.«