Je me souviens quand mon rédacteur en chef m’a proposé ce sujet : « Julian, les régions de villégiature ne sont plus réservées uniquement aux nantis. » Sceptique, j’ai pris la route vers le nord de Montréal la semaine dernière, dépassant des pancartes « À vendre » qui auraient tout aussi bien pu indiquer « Réservé aux millionnaires. » Mais quelque chose change dans nos communautés lacustres québécoises, où des modèles créatifs de propriété remettent en question l’idée que les chalets sont exclusivement le terrain de jeu des plus fortunés.
Les chiffres racontent une histoire sobre. Selon le rapport 2024 de Royal LePage sur les propriétés récréatives, le chalet moyen au Québec coûte maintenant 857 600 $ — une augmentation de près de 3 % par rapport à l’année dernière malgré les corrections du marché. Même les propriétés modestes dans des zones autrefois abordables comme les Laurentides ont vu leurs prix doubler au cours de la dernière décennie.
« Nous assistons à une restructuration fondamentale de l’accès à ces espaces, » explique Dr. Sophie Tremblay, économiste spécialisée en logement à l’Université de Montréal. « Quand les revenus médians des ménages n’ont pas suivi l’inflation immobilière, il faut soit innover, soit abandonner l’idée. »
Entre en scène la copropriété — version chalet.
Pacaso, une entreprise américaine de gestion immobilière, s’est récemment implantée dans les Laurentides, offrant la propriété partagée de résidences de luxe. Leur modèle diffère des multipropriétés traditionnelles en proposant de véritables parts de capital plutôt que de simples droits d’utilisation. Parallèlement, des startups d’ici comme Kavøk et ChalePartage ont développé des plateformes qui connectent des inconnus intéressés à partager les coûts d’achat et d’entretien de propriétés au bord de l’eau.
« Nous avons facilité plus de 60 arrangements de copropriété au cours de la dernière année, » affirme la fondatrice de Kavøk, Mélanie Thibault. « La plupart sont des groupes de trois à cinq ménages qui combinent leurs ressources pour acheter des propriétés qu’ils ne pourraient pas se permettre individuellement. »
Pour Jean-Philippe Dumas, cadre tech montréalais, et ses trois copropriétaires, l’arrangement a été transformateur. « Nous avons mis en commun 275 000 $ chacun pour acheter un chalet de 1,1 million de dollars au lac Memphrémagog qu’aucun d’entre nous n’aurait pu se permettre seul, » explique Dumas lors de ma visite à leur propriété récemment rénovée. « Nous utilisons un calendrier numérique pour planifier notre temps, et les coûts d’entretien sont divisés par quatre. »
L’économie a du sens pour de nombreux aspirants propriétaires de chalet. Un quart de part dans une propriété d’un million de dollars nécessite beaucoup moins de capital qu’une propriété entière, tandis que les taxes foncières, les réparations du quai et l’inévitable remplacement du système septique deviennent des fardeaux partagés plutôt que des urgences qui brisent le budget.
Mais la copropriété n’est pas sans complications. Les structures juridiques sont extrêmement importantes, selon Me Geneviève Marquis, avocate immobilière à Montréal. « Vous avez besoin d’accords de copropriété complets couvrant tout, des calendriers d’utilisation aux stratégies de sortie et à la résolution des différends, » prévient-elle. « Sans documentation adéquate, ces arrangements peuvent devenir des cauchemars quand quelqu’un veut sortir ou que des désaccords surviennent. »
Marquis a vu les accords de copropriété évoluer, passant de simples ententes verbales entre amis à des cadres juridiques sophistiqués détaillant tout, des politiques d’invités aux rénovations. « Les arrangements les plus réussis traitent le chalet comme une entreprise avec des structures de gouvernance claires, » note-t-elle.
Les communautés locales observent ces tendances avec des émotions mitigées. Dans les petites municipalités comme Val-des-Lacs, où les résidents saisonniers dépassent déjà les permanents pendant les mois d’été, le potentiel d’une densité accrue soulève des questions.
« Plus de propriétaires par propriété pourrait signifier une utilisation plus intensive de nos lacs et infrastructures, » explique la conseillère municipale de Val-des-Lacs, Marie Lavoie. « Mais cela pourrait aussi signifier plus de jeunes familles et de perspectives diverses dans des communautés devenues de plus en plus homogènes en termes d’âge. »
Les considérations environnementales entrent également dans l’équation. Sylvie Bergeron de l’Organisme de bassins versants des Laurentides voit des avantages potentiels dans les modèles de propriété partagée. « Quand les gens ont des intérêts financiers dans ces propriétés, nous constatons souvent un plus grand investissement dans la naturalisation des berges et les pratiques durables, » observe-t-elle. « La question est de savoir si l’intensité d’utilisation annule ces avantages. »
Le boom des chalets provoqué par la pandémie s’est peut-être refroidi, mais le marché québécois des propriétés récréatives reste prohibitif pour la plupart. Les données de Statistique Canada montrent que la propriété de résidences secondaires est de plus en plus concentrée dans le quintile supérieur des revenus, soulevant des préoccupations sur l’accès équitable à la nature.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) reconnaît ces tendances dans sa dernière évaluation du logement au Québec, mais s’arrête avant de faire des recommandations politiques spécifiques pour les propriétés récréatives. Entre-temps, certaines municipalités ont commencé à explorer des cadres réglementaires spécifiquement axés sur les arrangements de copropriété, y compris les limites d’occupation et les exigences de stationnement.
Pour les jeunes Québécois comme Sarah Bouchard, développeuse de logiciels à Québec, ces nouveaux modèles de propriété représentent la seule voie viable vers la possession d’un chalet. « Mes parents ont acheté leur chalet dans les Laurentides pour 180 000 $ en 1998, » dit-elle. « Cette même propriété vaudrait plus de 800 000 $ aujourd’hui. La copropriété n’est pas juste une préférence — c’est la seule option réaliste pour ma génération. »
Les institutions financières l’ont remarqué. La Banque Nationale et plusieurs caisses populaires offrent maintenant des produits hypothécaires spécialisés conçus pour la copropriété, simplifiant ce qui était auparavant un parcours d’obstacles financiers.
« Nous constatons une demande accrue pour ces arrangements, » confirme François Lemieux, spécialiste en prêts hypothécaires à la Banque Nationale. « La banque dispose désormais de processus standardisés pour qualifier plusieurs emprunteurs sur des propriétés récréatives, ce qui n’était pas le cas il y a même cinq ans. »
En rentrant à Montréal, réfléchissant aux conversations avec des familles qui ont trouvé leur chemin vers les régions de villégiature grâce à des arrangements créatifs, je ne pouvais m’empêcher de voir des parallèles avec les défis plus larges du logement. Quand les voies de propriété conventionnelles deviennent inaccessibles, l’innovation suit la nécessité.
Que ces modèles de copropriété représentent une démocratisation durable des régions de villégiature ou simplement une solution temporaire à des problèmes d’abordabilité plus profonds reste une question ouverte. Mais pour les Québécois comme Dumas et Bouchard, l’équation est simple : un quart de paradis vaut mieux que pas de paradis du tout.