Dans l’ombre de la Colline du Parlement, où les débats budgétaires et les décisions en matière de personnel résonnent à travers les corridors de marbre, une proposition controversée vient d’atterrir à la porte d’Ottawa. L’Institut C.D. Howe, l’un des groupes de réflexion politique les plus influents du Canada, a appelé à l’élimination de dizaines de milliers de postes dans la fonction publique fédérale – une recommandation qui a envoyé des ondes de choc à travers les bureaux gouvernementaux et les sièges syndicaux.
« Nous avons vu la fonction publique fédérale croître de près de 40 % depuis 2015, » explique Alexandre Laurin, directeur de recherche de l’Institut et co-auteur du rapport. « Cette expansion a largement dépassé la croissance démographique et créé des inefficacités que les contribuables ne peuvent tout simplement pas se permettre à long terme. »
L’analyse suggère de supprimer environ 15 % de l’effectif fédéral – approximativement 50 000 postes – grâce à une combinaison d’attrition, d’incitatifs à la retraite et de restructuration stratégique. Selon les calculs de l’Institut, de telles mesures pourraient faire économiser aux contribuables canadiens plus de 5 milliards de dollars par année une fois pleinement mises en œuvre.
De l’autre côté de la rue Elgin, au siège de l’AFPC, l’ambiance s’assombrit alors que les représentants syndicaux digèrent ces recommandations. Chris Aylward, président de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui représente plus de 230 000 travailleurs fédéraux, n’a pas mâché ses mots en réponse.
« Cette proposition représente une incompréhension fondamentale de ce que font réellement les fonctionnaires, » m’a confié Aylward lors d’un entretien téléphonique. « Ce ne sont pas juste des chiffres sur un tableur – ce sont les personnes qui traitent vos demandes de passeport, assurent la sécurité alimentaire et fournissent les services essentiels dont les Canadiens dépendent quotidiennement. »
Le moment choisi pour la publication du rapport soulève des questions, alors que la ministre des Finances Chrystia Freeland prépare son énoncé économique d’automne. La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, a reconnu la nécessité d’une restriction budgétaire mais a offert une réponse mesurée aux coupes proposées.
« Bien que nous restions engagés dans une gestion responsable des ressources publiques, nous devons équilibrer l’efficacité avec la prestation de services, » a déclaré Anand dans un communiqué de presse soigneusement formulé. Son bureau a souligné que tout ajustement de la main-d’œuvre serait stratégique plutôt que généralisé.
Pour des communautés comme Gatineau, au Québec, où environ un résident sur cinq travaille pour le gouvernement fédéral, les implications économiques de telles coupes pourraient être graves. Jean-François Belleau, directeur de la Chambre de commerce de Gatineau, a exprimé ses préoccupations autour d’un café dans un bistro local.
« Nous parlons potentiellement de milliers d’emplois bien rémunérés qui disparaîtraient de notre région, » a dit Belleau, en faisant un geste vers les édifices gouvernementaux visibles de l’autre côté de la rivière des Outaouais. « Cela signifie moins de personnes achetant des maisons, magasinant dans nos commerces ou dînant dans nos restaurants. »
Un récent sondage d’Abacus Data suggère que les Canadiens ont des opinions partagées sur la taille de la fonction publique. Alors que 42 % croient que l’effectif fédéral est devenu trop important, 36 % considèrent les niveaux actuels de personnel appropriés pour la prestation des services. Les autres répondants étaient indécis ou estimaient que la main-d’œuvre était trop restreinte.
Le rapport de l’Institut C.D. Howe souligne des domaines spécifiques où il estime que des réductions causeraient une perturbation minimale des services, notamment les rôles administratifs, les postes de gestion et ce qu’il appelle les « bureaux de politiques » qui ont connu une expansion significative sous le gouvernement actuel.
Cependant, Jennifer Robson, professeure associée en gestion politique à l’Université Carleton, met en garde contre les simplifications excessives. « Il existe ce mythe persistant que le gouvernement est rempli de gratte-papiers effectuant un travail inutile, » explique-t-elle lors de notre entretien dans son bureau sur le campus. « La réalité est beaucoup plus complexe. De nombreux ministères sont déjà débordés, essayant de répondre aux normes de service auxquelles les Canadiens s’attendent. »
Les chiffres budgétaires racontent une histoire compliquée. Les dépenses fédérales en personnel sont passées de 39,6 milliards de dollars en 2015 à près de 60 milliards aujourd’hui. Pourtant, cette période a également vu des défis sans précédent nécessitant une réponse gouvernementale, de la pandémie aux catastrophes climatiques et aux crises internationales.
Les recommandations surviennent dans un contexte d’évolution des arrangements de travail pour les fonctionnaires. Le mandat controversé de retour au bureau mis en œuvre plus tôt cette année a déjà tendu les relations de travail, certains employés choisissant de quitter la fonction publique plutôt que d’abandonner les arrangements de télétravail.
À Winnipeg, où les centres de Service Canada traitent les demandes de prestations de tout le pays, les employés expriment leur anxiété face aux éventuelles suppressions d’emplois. Maria Chen, qui m’a demandé d’utiliser un pseudonyme pour protéger son poste, travaille pour le gouvernement fédéral depuis 17 ans.
« Chaque fois qu’on parle de coupes, on retient notre souffle, » a confié Chen pendant sa pause déjeuner. « Nous nous remettons encore du désastre du système de paye Phénix et des pénuries de personnel liées à la COVID. Je m’inquiète de ce qui arrivera aux Canadiens qui ont besoin de nos services si d’autres postes disparaissent. »
Le chef conservateur Pierre Poilievre s’est emparé du rapport, intégrant ses conclusions dans sa plateforme du « bon sens ». « Ce gouvernement a gonflé la bureaucratie tout en ne parvenant pas à fournir les services de base, » a affirmé Poilievre lors de la période des questions la semaine dernière. « Les Canadiens attendent des mois pour obtenir des passeports pendant que ce gouvernement embauche plus de personnel pour produire moins de résultats. »
La réponse du NPD a été, comme on pouvait s’y attendre, différente. La députée Leah Gazan a critiqué le rapport comme étant « un plan d’austérité » qui finirait par nuire aux Canadiens les plus vulnérables et les plus dépendants des services gouvernementaux.
Ce qui se perd souvent dans ces débats, c’est l’élément humain. Derrière chaque poste potentiellement sur le billot se trouve un Canadien avec une hypothèque, des responsabilités familiales et des liens communautaires. L’impact psychologique de l’insécurité d’emploi à travers la fonction publique pourrait lui-même affecter la productivité et la prestation de services.
L’histoire offre des leçons complexes sur les réductions dans la fonction publique. L’Examen des programmes du milieu des années 1990 sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien a supprimé environ 45 000 postes et a contribué à éliminer le déficit fédéral. Cependant, certains ministères ne s’en sont jamais complètement remis, et certaines coupes se sont avérées coûteuses à long terme.
Alors que le Parlement reprend sa session d’automne, le débat sur la taille de la fonction publique va probablement s’intensifier. Avec l’inflation croissante, les préoccupations en matière de logement et les défis de soins de santé qui dominent les manchettes, les Canadiens surveilleront attentivement comment leur gouvernement équilibre la responsabilité fiscale avec la prestation de services.
Pour l’instant, les fonctionnaires continuent leur travail quotidien – traiter les demandes d’immigration, surveiller la sécurité alimentaire, soutenir les anciens combattants et d’innombrables autres fonctions essentielles – tout en se demandant si leurs postes pourraient être parmi ceux jugés superflus.