Alors que je me promène dans le dédale du quartier gouvernemental d’Ottawa, une tension palpable flotte dans l’air. Les cafés près de la Colline du Parlement, habituellement animés par les conversations dynamiques des fonctionnaires, ne portent maintenant que des chuchotements d’incertitude. C’est ici, dans ces espaces quotidiens, que l’impact humain des décisions politiques se révèle d’abord.
« Nous les appelons ‘coupes furtives’ parce que c’est exactement ce qu’elles sont, » affirme Jennifer Walsh, présidente de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), en se penchant en avant sur sa chaise dans un café du centre-ville. « Le gouvernement n’annonce pas de licenciements massifs – ils réduisent discrètement les budgets, ne comblent pas les postes vacants et laissent dépérir les programmes. »
La mise à jour économique d’automne du gouvernement fédéral, présentée la semaine dernière par la ministre des Finances Anita Anand, a confirmé ce que beaucoup dans la fonction publique craignaient : les budgets ministériels feront face à une réduction de 3 % pour les services non essentiels. Bien que cela puisse sembler modeste, les syndicats du secteur public et les analystes politiques suggèrent que l’impact réel pourrait signifier entre 5 000 et 7 500 postes éliminés d’ici la mi-2026.
Selon un rapport publié hier par le Centre canadien de politiques alternatives, ces réductions représentent la plus importante contraction de l’effectif fédéral depuis les coupes de l’ère Harper en 2012. L’analyse du Centre suggère que contrairement aux rondes précédentes de compressions qui ciblaient des ministères spécifiques, l’approche actuelle répartit les réductions de façon générale, ce qui pourrait affecter la prestation de services de façons moins immédiatement visibles pour les Canadiens.
« Le problème avec cette approche, c’est la transparence, » explique Dr. Michael Tanner, professeur d’administration publique à l’Université Carleton. « Quand on annonce des licenciements importants, il y a un examen public sur les services qui seront touchés. Avec l’attrition graduelle et les réductions discrètes de programmes, c’est plus difficile pour les citoyens de faire le lien lorsque les services se détériorent. »
Dans le North End de Winnipeg, j’ai rencontré Elaine Sutherland, qui a travaillé pour Service Canada pendant 22 ans avant de prendre sa retraite anticipée le mois dernier. Son bureau avait perdu six postes par attrition au cours de la seule dernière année.
« Nous étions déjà débordés, » soupire Sutherland en remuant son thé. « Les personnes qui franchissent nos portes sont souvent déjà frustrées, parfois vulnérables. Maintenant, il y aura moins de personnel pour les aider à naviguer dans les demandes d’assurance-emploi ou de pension. C’est le Canadien ordinaire qui le sentira en premier. »
Le Secrétariat du Conseil du Trésor maintient que les services essentiels ne seront pas touchés, avec une préservation prioritaire pour les transferts en santé, les services aux Autochtones et les fonctions de sécurité nationale. Dans une déclaration fournie aux médias, la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, a souligné qu’une « gestion financière prudente » est nécessaire compte tenu des défis économiques actuels.
« Notre approche donne la priorité à la protection des services de première ligne tout en trouvant des efficacités dans les fonctions administratives, » a déclaré Fortier. « Nous nous engageons à travailler avec les ministères pour identifier des économies qui minimisent les impacts sur les services dont dépendent les Canadiens. »
Mais les représentants syndicaux ne sont pas convaincus. L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) a lancé une campagne « Protégeons nos services », arguant que les exercices d' »efficacité » précédents ont conduit à une dégradation significative des services dans des domaines allant du traitement des prestations des anciens combattants à la surveillance environnementale.
« On ne peut pas continuer à demander aux fonctionnaires de faire plus avec moins indéfiniment, » m’a confié Jennifer Carr, présidente de l’IPFPC, lors d’une entrevue téléphonique hier. « Nous avons déjà vu des systèmes informatiques échouer parce qu’ils manquent de personnel et de financement. Ce ne sont pas juste des chiffres sur un bilan – il y a de vraies conséquences quand la capacité gouvernementale est vidée. »
Les documents budgétaires révèlent que les ministères ont reçu instruction de réaliser des économies par le biais de « stratégies de gestion de la main-d’œuvre » et de « rationalisation des programmes » – un langage bureaucratique qui signale souvent des réductions d’emplois. Le directeur parlementaire du budget estime que ces mesures permettront d’économiser environ 3,2 milliards de dollars par an d’ici 2026.
Dans un centre communautaire de l’ouest d’Ottawa, j’ai assisté à une réunion où des fonctionnaires se sont rassemblés après les heures de travail pour discuter de leurs préoccupations. Marie Chen, qui travaille à l’évaluation des programmes à Environnement et Changement climatique Canada, a exprimé une frustration partagée par beaucoup.
« L’incertitude constante est épuisante, » explique Chen. « On nous dit de préparer des ‘scénarios’ pour des réductions de programmes tout en s’attendant à ce que nous fournissions le même niveau de service. Il n’y a qu’une limite à ce qui peut être rationalisé avant de couper dans le muscle, pas dans le gras. »
Le calcul politique derrière ces réductions est complexe. Avec une inflation qui se refroidit graduellement et une croissance économique projetée à un modeste 1,8 % l’année prochaine, le gouvernement fait face à des pressions pour démontrer une retenue fiscale. Les partis d’opposition ont critiqué à la fois l’ampleur des réductions et l’approche.
« Ce gouvernement tente de cacher les coupes de services aux Canadiens, » a déclaré le critique conservateur en matière de finances, Jasraj Singh Hallan, lors d’un point de presse après la mise à jour économique. « Ils devraient être honnêtes sur les services qu’ils réduisent plutôt que cette mort par mille coupures. »
Pendant ce temps, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a averti que les « mesures d’austérité » toucheraient de façon disproportionnée les Canadiens vulnérables. « Quand vous coupez des emplois dans la fonction publique, vous coupez des services dont les gens dépendent – surtout ceux qui ont le plus besoin du soutien gouvernemental, » a déclaré Singh durant la période des questions.
À Lévis, au Québec, j’ai parlé avec François Bélanger, qui traite les demandes d’assurance-emploi. Son bureau a vu les charges de travail augmenter alors que les postes restent vacants.
« Les retards s’aggravent, » explique Bélanger. « Certaines demandes qui prenaient auparavant deux semaines en prennent maintenant cinq ou six. Derrière chaque dossier, il y a quelqu’un qui attend de l’argent pour payer son loyer ou acheter de la nourriture. »
La composition démographique de ces réductions soulève également des questions. Selon Statistique Canada, les femmes représentent 55 % de la fonction publique fédérale, tandis que les minorités visibles constituent environ 18 %. Toute réduction significative de la main-d’œuvre pourrait avoir des impacts disproportionnés sur ces groupes si elle n’est pas soigneusement gérée.
Alors que le soleil se couche sur la rivière des Outaouais, je pense au paradoxe au cœur de cette histoire. Les services gouvernementaux sont souvent plus visibles dans leur absence – quand les temps d’attente augmentent, quand les programmes deviennent plus difficiles d’accès, quand les téléphones restent sans réponse. Le véritable test de ces « coupes furtives » ne se trouvera pas dans les documents budgétaires ou les communiqués de presse, mais dans les expériences quotidiennes des Canadiens interagissant avec leur gouvernement dans des moments de besoin.
Pour l’instant, des fonctionnaires comme Marie Chen continuent de se présenter au travail, faisant de leur mieux avec des ressources diminuées, se demandant si leurs postes existeront l’année prochaine. Pendant ce temps, dans les cafés et les centres communautaires à travers le pays, la conversation se poursuit sur le type de fonction publique dont les Canadiens ont besoin – et ce qu’ils sont prêts à payer pour cela.